Amazonie : entre conservation des forêts et bonnes pratiques agricoles, développer les territoires durablement

Science en action 2 août 2023
L’Amazonie s’étend sur neuf pays, dont la France (Guyane). Elle abrite la plus grande forêt tropicale de la planète, réserve inestimable d’eau douce, de carbone et de biodiversité. Mais comment concilier la préservation de cet environnement exceptionnel avec les besoins de ses 47 millions d’habitants ? Alors que s'ouvre le 8 août à Belém au Brésil un Sommet qui réunit les Etats Amazoniens (Brésil, Bolivie, Colombie, Guyana, Équateur, Pérou, Suriname et Venezuela), tour d’horizon des actions du Cirad autour des enjeux de développement durable de ces territoires.
Paysage qui intègre espaces forestiers et cultivés en Amazonie © R. Poccard-Chapuis, Cirad
Paysage qui intègre espaces forestiers et cultivés en Amazonie © R. Poccard-Chapuis, Cirad

Paysage qui intègre espaces forestiers et cultivés en Amazonie © R. Poccard-Chapuis, Cirad

En Amazonie, les scientifiques du Cirad et leurs partenaires orientent et accompagnent les initiatives de territoires qui allient agriculture et élevage durables, inclusion sociale, conservation et restauration des écosystèmes forestiers. Dans le cadre de projets, comme TerrAmaz, et de réseaux de partenaires, comme le dP Amazonie - qui s’organisent entre les régions du Pará, l’Amapá, le Mato Grosso au Brésil, la Guyane française, le Guaviare en Colombie, Madre de Dios au Pérou - ils travaillent à la transition agroécologique des territoires, pour le développement de filières agricoles et forestières responsables, respectueuses des capacités de renouvellement des écosystèmes. Le Cirad contribue également au Science Panel for the Amazon, un réseau de plus de 250 scientifiques de diverses disciplines.

Repenser la gestion forestière

Le Cirad analyse des données sur le fonctionnement de l’écosystème forestier amazonien depuis plus de trente ans, afin de comprendre les effets de l’exploitation forestière et sa capacité à se régénérer dans un contexte de changement climatique. Il coordonne ainsi un réseau international de sites de suivi de la dynamique des forêts tropicales (TmFO), qui regroupe 30 sites expérimentaux, dont 17 en Amazonie, répartis sur 12 pays (Bolivie, Brésil, Guyana, Guyane française, Pérou, Surinam, RCA, Gabon, RCI, Malaisie, Indonésie).

Les résultats de TmFO montrent que la demande de bois ne pourra pas être satisfaite entièrement et durablement par les forêts naturelles, dont 20 % sont exploitées en Amazonie. Pour Plinio Sist, directeur de l’unité Forêts et sociétés du Cirad, « il est nécessaire d’initier une véritable transition forestière visant à mettre en place d’autres systèmes de production sur des terres déjà dégradées grâce aux plantations et à la gestion des forêts secondaires et dégradées ». L’engouement actuel pour la restauration forestière des paysages (Bonn Challenge, décennie de la restauration des écosystèmes) est une opportunité unique pour initier cette transition forestière. « Encourager la gestion forestière par les communautés et les petits agriculteurs peut aussi contribuer à conserver les forêts existantes tout en générant des bénéfices pour les populations locales responsables de la gestion de leurs ressources forestières », ajoute-t-il.

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Restaurer des paysages forestiers en incluant les activités agricoles

Le Cirad et ses partenaires orientent ainsi des programmes ambitieux de restauration des paysages forestiers au sein de plusieurs territoires amazoniens historiquement affectés par la déforestation, comme les municipes de Paragominas et Cotriguaçu, la région Nordeste de l’Etat du Para au Brésil ou encore le département du Guaviare en Colombie. Scientifiques, gestionnaires et agriculteurs se basent sur les caractéristiques intrinsèques des paysages, tels que la topographie et les ressources en eau, pour mieux organiser dans l’espace des synergies entre d’une part l’intensification écologique de l’agriculture et de l’élevage, la conservation et la restauration des forêts d’autre part. « En redessinant ainsi des paysages qui intègrent espaces cultivés et forestiers, on pose la clé de voûte du développement durable de ces territoires amazoniens », souligne René Poccard-Chapuis, géographe au Cirad.

Concilier les deux dynamiques, agricoles et forestières, c’est aussi l’engagement du Brésil dans les accords de Paris en 2015, avec la promesse de restaurer 12 millions d’hectares de forêt d’ici 2030, la Colombie s’étant engagée à en restaurer un million.
Depuis, l’intérêt pour la restauration s’est élargi au-delà des seules forêts, vers un concept de territoires en mosaïques, plus complexe et où la forêt est un des éléments structurant de paysages multifonctionnels.

« Le projet Refloramaz, par exemple, a cartographié plus de 400 initiatives dans la région Nordeste du Pará, au Brésil : 78 % des agricultrices et agriculteurs interrogés ont pratiqué la restauration par des agroforêts », dévoile Emilie Coudel, socioéconomiste au Cirad.

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Investir dans l’agroécologie et des filières valorisant la biodiversité et des paysages équilibrés

Au sein des agroécosystèmes amazoniens, la production agricole peut devenir plus vertueuse qu’ailleurs sur le plan environnemental, grâce à l’agroécologie.
Une gestion agroécologique des pâturages, comme le pâturage tournant par exemple, dans des paysages équilibrés, permet de produire une viande bovine avec un bilan positif en carbone tout en préservant, voire en augmentant les réserves forestières des exploitations : de fait, le stockage de carbone dans les sols sous pâturages, et dans les forêts restaurées ou protégées, peuvent dépasser les émissions du troupeau.

Il s’agit aussi d’organiser avec les agriculteurs, les communautés rurales et les services de conseil agricole, des synergies entre différentes espèces végétales, où des plantes « de services » soutiennent les plantes commerciales, par exemple en fertilisant le sol, améliorant la pollinisation ou étouffant les mauvaises herbes. La promotion d’une agriculture sans feu pour la culture du manioc, si prépondérante en Amazonie, ou encore la mise en place d’agroforêts et systèmes agroforestiers performants (cacaoyers, cajou, palmier açaí,…), et leurs filières, passent par cette ingénierie agricole, où l’innovation interagit avec les traditions, et où la biodiversité devient une ressource effective.

Le Cirad et ses partenaires se donnent comme objectif de faire monter en puissance la dynamique enclenchée dans le cadre du projet Açai’action (Suriname, Brésil et Guyane française), en renforçant l’autonomie des acteurs économiques des filières valorisant la biodiversité des territoires concernés et en ouvrant l’espace de collaboration à d’autres pays du bassin amazonien comme le Guyana et la Colombie.

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Enfin, pour financer cette transition agroécologique, le Cirad travaille avec les institutions financières locales et régionales à la mise au point de lignes de financements verts. Les outils proposés incluent des systèmes de vérification et suivis, de formation des parties prenantes, de communication et transparence. Le produit financier « élevage vert », lancé avec le Banco da Amazônia en 2021, en est un exemple.

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Mettre en œuvre le principe de gouvernance partagée

L’ensemble de ces actions est mené dans un esprit de gouvernance partagée, afin que toutes les parties prenantes se sentent protagonistes des changements socio-environnementaux et participent aux décisions qui garantiront un équilibre entre activités économiques et conservation de l’environnement. Le Cirad et ses partenaires stimulent et accompagnent la mise en place d’espaces d’information et de concertation comme les observatoires citoyens, les forums et les plateformes d’échanges.

Pour valoriser les territoires qui font ces efforts, les rendre attractifs aux yeux d’investisseurs responsables, le Cirad et ses partenaires élaborent de nouveaux types de certification comme la certification territoriale à Paragominas au Brésil, construite de manière collaborative avec les populations locales.

De même, « au Pérou, les travaux coordonnés par le Cirad ont permis d’insuffler une dynamique inclusive dans la construction d’une marque territoriale à Madre de Dios », précise Marie-Gabrielle Piketty, coordinatrice du projet TerrAmaz.

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Bref bilan du Sommet Amazonie