La course au bois : se caler sur le rythme des arbres

Science en action 19 juillet 2023
Les mégafeux que subissent les forêts depuis quelques années sont le symptôme de leur vulnérabilité, due à une dégradation et des pratiques d’exploitation non durables et le plus souvent illégales. Face à une demande en bois en constante augmentation, des scientifiques se sont regroupés derrière un dispositif unique au monde : un observatoire des forêts tropicales dites « aménagées ». Objectif : suivre l’évolution de forêts tropicales exploitées et en déduire des modèles d’exploitations enfin durables.
La construction de routes en pleine forêt engendre souvent des dégradations et une fragilisation des écosystèmes. Pour éviter cet écueil, les exploitations durables de bois dressent des inventaires des espèces d'arbres à éviter, et cartographient consciencieusement le territoire. © C. Bourgoin, Cirad
La construction de routes en pleine forêt engendre souvent des dégradations et une fragilisation des écosystèmes. Pour éviter cet écueil, les exploitations durables de bois dressent des inventaires des espèces d'arbres à éviter, et cartographient consciencieusement le territoire. © C. Bourgoin, Cirad

La construction de routes en pleine forêt engendre souvent des dégradations et une fragilisation des écosystèmes. Pour éviter cet écueil, les exploitations durables de bois dressent des inventaires des espèces d'arbres à éviter, et cartographient consciencieusement le territoire. © C. Bourgoin, Cirad

Amazonie, bassin du Congo et Sud-Est asiatique : ces trois régions concentrent 80 % des forêts tropicales du monde. Au cœur de ces bassins sont implantés 32 sites expérimentaux, regroupés au sein d’un réseau nommé TmFO (Tropical managed Forests Observatory – « Observatoire des forêts tropicales aménagées »). Unique en son genre, ce dispositif de recherche pantropical ambitionne de mettre à jour des modèles d’exploitations durables, adaptés aux capacités de reconstitution du stock de carbone, de bois et de la biodiversité des forêts tropicales exploitées. 

« Ce sont les seuls observatoires forestiers au monde à s’intéresser aux forêts déjà exploitées, ainsi qu’à leur renouvellement, confie Plinio Sist, directeur de l’unité de recherche Forêts et Sociétés au Cirad et coordinateur du réseau d’observatoires. L’objectif de ces sites est de définir des règles de gestion durable tout en étudiant les services environnementaux offerts par ces forêts. Conserver, tout en permettant aux populations d’y vivre et d’en tirer parti ».

Une exploitation qui va trop vite

Les régimes actuels d’exploitation de bois d’œuvre vont trop vite par rapport au rythme de croissance des arbres. Au Brésil, les travaux du réseau TmFO montrent qu’il faudrait diviser la récolte par deux et doubler la durée des cycles de rotation pour garantir le maintien de la ressource. Une situation qui ne permettrait d’atteindre qu’un tiers de la production annuelle actuelle de bois en Amazonie.

Face à ce défi, les sites de TmFO testent des modèles d’exploitation les plus efficients possibles, au regard des enjeux environnementaux et socio-économiques. « Lorsque l’exploitation est bien faite elle devient un outil de conservation, car en générant des profits les populations sont plus enclines à les protéger, détaille Plinio Sist. Par ailleurs, les prélèvements d’arbres peuvent bénéficier à la forêt. En choisissant les arbres les plus vieux et gros, qui finiraient par tomber, elles créent un trou de lumière qui permet aux arbres plus jeunes de pousser ». 

Malgré ces connaissances, le rythme de prélèvement reste trop rapide et la réglementation autour des exploitations illégales peine à entrer en vigueur.

Augmenter les sources de production de bois ?

Aujourd’hui, la quasi-totalité du bois est prélevée au sein des forêts dites « naturelles », soit encore peu touchées par les activités humaines. Or, les travaux de TmFO montrent que les forêts naturelles ne peuvent pas à elles seules répondre à la demande croissante en bois. Il est donc urgent de développer d’autres sources de production. 

Pour Plinio Sist, l’actuel engouement international sur la restauration des paysages forestiers est une opportunité unique à saisir. Le chercheur y voit un moyen pour diversifier les systèmes de production de bois, « à travers la gestion des forêts secondaires, la promotion de plantations plurispécifique d’espèces de bois d’œuvre, et enfin la réhabilitation des forêts dégradées par des pratiques sylvicoles ». Considéré comme moins « noble », car moins ancien, ce bois pourrait être utilisé pour certains usages comme la fabrication de contreplaqué, tandis que le bois issu de forêts primaires pourrait être réservé à des usages plus nobles.

En Amazonie, la moitié du bois est illégale 

Est-ce qu’augmenter l’offre sera suffisant ? Sans système d’exploitation durable des forêts, les impératifs du marché risquent de continuer à piétiner les limites physiques et écologiques des forêts, qu’elles soient naturelles ou restaurées. Il est donc urgent que les politiques publiques combattent de façon déterminée la déforestation et l’exploitation illégale qui, en Amazonie, concernent plus de 50 % de la production de bois d’œuvre. Sans cette volonté politique, les effets des pratiques de gestion durable et les actions de restauration forestière seront très limités et ne pourront résoudre cette situation de crise.

Écoutez et explorez les observatoires de Tapajós au Brésil et de Paracou en Guyane

Tapajós et Paracou sont les plus anciens sites de suivi du réseau TmFO. Plus de trente ans d’études au cœur de la forêt amazonienne brésilienne et guyanaise, au plus près des arbres :