Racines, tubercules et bananes : pour des variétés utiles, demandez aux consommateurs

Science en action 13 juin 2024
Qu’elle résiste aux sécheresses ou aux maladies n’aura aucune importance : si une plante n’est pas appréciée par les consommateurs, elle ne sera pas cultivée. Pour aider les programmes d’amélioration variétale des racines, tubercules et bananes à cuire, une équipe de recherche menée par le Cirad s’est intéressée aux qualités recherchées par les consommateurs et les transformateurs en Afrique subsaharienne. Ces nouveaux outils et méthodes de sélection variétale viennent d’être publiés dans Journal of the Science of Food and Agriculture.
Épluchage de manioc au Nigéria © D. Dufour, Cirad
Épluchage de manioc au Nigéria © D. Dufour, Cirad

Épluchage de manioc au Nigéria © D. Dufour, Cirad

Racines difficiles à éplucher, tubercules trop longs à cuire, bananes sans goût… Ces dernières années, de nombreux programmes d’amélioration variétale se sont heurtés au manque d’adoption de nouvelles variétés développées pour résister aux maladies ou aux sécheresses. La raison principale : ces plantes ne répondaient pas aux besoins des « utilisateurs finaux » que sont les consommateurs et les transformateurs.

Or créer des variétés coûte très cher et prend du temps. L’efficacité de la sélection variétale, dans une optique de sécurité alimentaire, est donc primordiale. En 2018, la fondation Bill & Melinda Gates lance une cohorte de projets autour de l’amélioration variétale des racines, tubercules et bananes plantains. La Fondation confie au Cirad un projet dédié à la compréhension et à l’évaluation des traits de qualités recherchés par les consommateurs, le projet RTBfoods

« Nous avons pu établir les caractéristiques les plus recherchées pour ces produits, en passant par la texture, la couleur, le goût, les arômes, détaille Dominique Dufour, coordinateur du projet RTBfoods et chercheur au Cirad. Aujourd’hui, nous partageons des méthodes concrètes pour incorporer ces critères de qualité dans les programmes d’amélioration variétale, en plus des critères agronomiques. » Les résultats sont publiés en accès libre dans un numéro spécial de Journal of the Science of Food and Agriculture, et rassemblent les travaux de plus de 150 auteurs et autrices issus de 15 pays, en majorité d’Afrique subsahélienne.

Les besoins des consommateurs au cœur de la sécurité alimentaire

Près de 350 millions de tonnes de racines, tubercules et bananes sont produites et consommées en Afrique chaque année. Ignames, bananes plantain, patate douce, matooke, taros ou encore manioc : ces plantes sont au cœur des régimes alimentaires dans tous les pays tropicaux et participent au développement rural et économique de ces régions. 

Problème : ces cultures souffrent d’un manque de diversité génétique, ce qui les rend très sensibles aux changements climatiques ou aux maladies. Le développement de nouvelles variétés locales, adaptées aux nouveaux épisodes climatiques et résistantes aux maladies, est donc crucial pour la sécurité alimentaire de nombreuses populations. Cependant, les performances agronomiques ne font pas tout. Comme le rappelle Dominique Dufour : « l’utilité d’une variété se mesure d’abord par son acceptabilité par les consommateurs et les transformatrices. En Afrique subsaharienne, ce sont souvent les femmes qui cuisinent, et elles ont leur préférence en matière de goût, de facilité de transformation ou de méthodes de cuisson. On a connu le même phénomène en France, avec la création de variétés de tomates et de fraises très fermes et faciles à transporter, mais qui n’avaient aucun goût et qui ont finalement été abandonnées ». 

Pendant plus de quatre ans, l’équipe transdisciplinaire menée par le Cirad a conduit des tests en laboratoires et des enquêtes auprès de communautés rurales d’Afrique subsaharienne, afin de définir les caractéristiques indispensables aux yeux des consommateurs et des consommatrices. Patate douce, igname, plantain, manioc… : une douzaine de produits agricoles locaux ont été passés au peigne fin. Conclusion : la clé est que la variété plaise, même si ses performances agronomiques sont moins bonnes.

« Nous avons pu obtenir ces résultats grâce à nos partenaires scientifiques africains, des sélectionneurs, mais aussi des nutritionnistes, des spécialistes des questions de genre, précise Dominique Dufour. Nous sommes fiers de ces résultats, qui auront un impact concret sur la sélection variétale de ces cultures et donc sur l’amélioration des conditions de vie des populations rurales. »

Les échanges amorcés par RTBfoods ont permis de tisser des solidarités scientifiques régionales en Afrique subsaharienne. L’objectif est désormais de renforcer cette intégration pour améliorer encore les méthodes et déboucher sur une diversité de variétés de racines, tubercules et bananes à la hauteur de l’ampleur actuelle de la demande locale. 

Voir le numéro spécial

Journal of the Science of Food and Agriculture: Volume 104, Issue 8. Special issue: Tropical roots, tubers and bananas: New breeding tools and methods to meet consumer preferences