Agroécologie : en Guadeloupe, des producteurs font appel aux animaux pour désherber

Science en action 6 novembre 2025
Utiliser des animaux pour « tondre » les mauvaises herbes ? L’idée est séduisante : elle permettrait de réduire l’usage des herbicides, mais aussi d’éviter le désherbage mécanique, souvent coûteux et pénible. En Guadeloupe, des moutons ont été introduits dans des bananeraies afin de tester l’efficacité de cette méthode. Découvrez où en est cette innovation de la recherche et de l’agriculture guadeloupéenne, qui œuvrent ensemble à la transition agroécologique du territoire.
moutons brouttent l'herbe dans bananeraies, Guadeloupe
moutons brouttent l'herbe dans bananeraies, Guadeloupe

Moutons dans une bananeraie de Capesterre Belle-Eau, en Guadeloupe. Il s'agit d'une race locale élevée principalement en Martinique et appelée d'ailleurs martinik. © Y. Sanguine, Cirad

L’essentiel

  • Malgré de gros efforts de réduction des pesticides, les herbicides sont toujours très utilisés dans les bananeraies antillaises, un enjeu commun à toutes les zones tropicales où la pousse est rapide tout au long de l’année. 
  • En 2022, des tests initiés par le Cirad en bananeraies ont vu le jour avec des animaux dits « de service » pour contrôler les mauvaises herbes.
  • Aujourd’hui, l’IT2 et INRAE continuent les essais en bananeraies mais aussi en plantations de canne. Les résultats chez les producteurs sont très encourageants, même s’ils nécessitent un accompagnement.

« Animaux de service » : l’expression est empruntée à la pratique agronomique des « plantes de service ». Les plantes de services sont associées à la culture principale et choisies pour apporter certains services, comme protéger le sol contre l’érosion ou améliorer sa structure, ou encore réguler les populations d’insectes ravageurs. « On avait déjà des plantes de service pour diminuer l’enherbement en bananeraie, mais c’était insuffisant face à la pousse rapide des mauvaises herbes, relate Steewy Lakhia, ingénieur agronome au Cirad. Alors on s’est dit : et si on trouvait des animaux de service, qui viendraient brouter l’herbe au milieu des bananiers ? »

Les performances des moutons face à l’enherbement semblent intéressantes, mais elles doivent être contrebalancées par les contraintes de la réorganisation qu’engendre l’introduction des animaux dans l’exploitation. Clôtures, étables, dressage, suivi quotidien, mais aussi décontamination suite à l’exposition à la chlordécone dans cette zone du croissant bananier… Des recherches appliquées ont succédé à cette première preuve de concept et sont désormais menées par l'Institut technique tropical (IT2) en Guadeloupe.

Une innovation née du projet Territoires durables

Le projet Territoires durables vise à faciliter la transition agroécologique de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion. La transition est pensée pour trois échelles : celle de la parcelle, de l’exploitation agricole, jusqu’au bassin versant. Le projet est financé par le ministère des Outre-mer et porté par le Cirad.

En Guadeloupe, les efforts se concentrent sur le problème de l’enherbement dans les bananeraies. Face aux enjeux de durabilité, mais aussi de conformité aux règlementations sanitaires, les producteurs de bananes sont demandeurs d’alternatives aux herbicides. 

Moutons en bananeraies : une opportunité qui nécessite des réorganisations pour les producteurs

Sur les premiers dispositifs avec cinq moutons pour un demi hectare, les animaux ont consommé un peu plus de la moitié des herbes indésirables logées entre les bananiers. Pour les agriculteurs, cela a engendré une baisse de l’utilisation des herbicides, mais aussi des pratiques de désherbage mécanique et manuel, pénibles, coûteuses et chronophages.

La performance des moutons comme animaux de service est donc plutôt bonne, mais elle est conditionnée. « On a relevé deux contraintes majeures, détaille Steewy Lakhia. La première est relative aux attaques de chiens errants, qui obligent la mise en place de clôtures électrifiées. La seconde est liée aux parasites et maladies que peuvent contracter les animaux. Autrement dit, même un petit troupeau nécessite une formation et un accompagnement technique auprès de producteurs qui n’ont pas été initiés à l’élevage. » 

Un accompagnement qui demande d’abord de peaufiner le processus : l’IT2, ainsi que des zootechniciens d’INRAE, expérimentent actuellement chez plusieurs producteurs de bananes. Lucas Archimède, ingénieur agronome à l’IT2, rapporte : « nous suivons les animaux dans les exploitations en examinant plusieurs indicateurs. Le premier, bien sûr, c’est l’évolution de la biomasse entre les bananiers : est-ce que les animaux de service sont meilleurs que le désherbage mécanique ? Nous étudions aussi la prise de poids et la santé des animaux, et nous mettons en place le système de décontamination à la chlordécone avant d’emmener les moutons à l’abattoir ».

Car oui, les animaux sont ensuite destinés à être consommés. Au fur et à mesure des expérimentations, les zootechniciens ont noté un gain de poids satisfaisant chez les moutons évoluant en bananeraies. Avec les producteurs, ils y ont vu une opportunité : la vente de viande permettrait de diversifier les revenus, ou pourrait en partie supporter l’investissement de départ.

Pour Lucas Archimède, il reste à savoir comment calibrer cette pratique : « combien de moutons doit-on mettre par hectare ? Combien de temps faut-il les laisser pâturer ? Actuellement, nous testons le mouton en bananeraie, mais plusieurs exploitations de canne à sucre sont aussi intéressées. Et là, quel animal de service choisit-on ? ».  

enherbement bananeraie capesterre belle-eau, guadeloupe

Certaines plantes de couverture peuvent être utilisées pour rendre des services aux bananiers, et réduire la présence des adventices, aussi appelées « mauvaises herbes ». Malgré cela, les adventices poussent très rapidement. © Y. Sanguine, Cirad

Un contexte propice aux innovations agroécologiques

Suite au choc de la pollution par la chlordécone, la filière banane antillaise a fait des efforts indéniables sur la réduction des pesticides. Sur la lutte fongique par exemple, la filière a mis au point des techniques préventives via des effeuillages, ainsi que des techniques curatives à base d’huiles minérales. Cette trajectoire vers la réduction des pesticides dans leur globalité (fongicides, insecticides, herbicides…) permet aussi à la filière d’anticiper la diminution des produits autorisés en agriculture par l’Union européenne. 

Dans un contexte où les moyens de production sont coûteux, les producteurs cherchent à innover, et ce, même si la rentabilité économique n’est pas tout de suite au rendez-vous. Un exploitant de Capesterre Belle-Eau raconte ainsi : « les moutons ne sont pas très efficaces chez moi, ils ont tendance à passer la clôture par exemple. Mais je pense qu’à terme, ce n’est qu’une question de technicité et de mise à l’échelle ».

L’agriculteur est pour l’instant appuyé par l’IT2. « Souvent, les producteurs de bananes n’ont pas la « patte » éleveur, explique Lucas Archimède. Beaucoup n’ont jamais eu d’animaux à gérer, et ils se rendent compte lors des expérimentations du travail que cela représente. L’introduction de moutons, c’est donc aussi une transformation : soit le producteur devient un agriculteur-éleveur, soit il intègre dans son exploitation une prestation d’éleveur externe. » 

Un besoin de recherche appliquée et de collaborations étroites avec les producteurs
Quoiqu’il advienne de cette innovation, le processus aura montré l’importance d’une recherche appliquée conduite avec les producteurs. C’était la posture initiale du projet Territoires Durables et c’est ce que poursuit l’IT2 en menant ces tests directement chez les exploitants. « Le contexte actuel pousse la filière vers des pratiques innovantes, et notamment vers l’agroécologie, souligne Lucas Archimède. En tant qu’institut technique, on doit être en mesure de transmettre ces pratiques aux agriculteurs. Cela passe par de l’écoute, et bien sûr tester les innovations en conditions réelles, si possible chez eux. »

Un constat partagé par Nadine Andrieu, agronome au Cirad : « l’adoption d’une innovation passe forcément par une co-construction avec les personnes qui vont l’utiliser. C’est comme cela qu’on peut, par exemple, identifier les réorganisations du travail que toute nouvelle pratique risque d’engendrer ».  

Les recherches avec des animaux de service, en bananeraies comme ailleurs, ne font que commencer. Steewy Lakhia s’intéresse aujourd’hui à l’introduction des bovins sur les parcelles de bananes mises en jachère. La pratique n’est pas nouvelle en Guadeloupe. Le chercheur vise plutôt à la documenter, afin d’identifier les pistes d’amélioration et de diffusion. Côté IT2, les tests en canne à sucre démarrent. D’ici novembre, l’institut pourra choisir un animal de service pour la canne : entre le mouton, l’oie ou le canard. En parallèle, le lycée agricole Alexandre Buffon, basé à Baie-Mahault, incorpore désormais les animaux de services dans son programme de formation pour les étudiants en BTS.