« La diversité cultivée est garante de rendements stables et d’une meilleure alimentation »

Regard d'expert·e 21 avril 2025
Ce lundi 21 avril débute à Meknès le Salon international de l'agriculture au Maroc (SIAM). L’occasion pour le Cirad d’échanger avec ses partenaires sur les problématiques communes à l’agriculture méditerranéenne. Parmi les questions abordées : la diversité cultivée, source de résilience des agro-écosystèmes face aux changements climatiques. On en parle avec Salama El Fatehi, chercheuse à l’Université Abdelmalek Essaadi de Larache et membre du projet ARISER sur la circulation des semences en zones semi-arides.
Séparation des grains de pois chiche avec la plante et tamisage, lors d’une récolte dans le village de Lakhtoute au Maroc © Wissal Msellek, Faculté Polydisciplinaire de Larache
Séparation des grains de pois chiche avec la plante et tamisage, lors d’une récolte dans le village de Lakhtoute au Maroc © Wissal Msellek, Faculté Polydisciplinaire de Larache

Séparation des grains de pois chiche avec la plante et tamisage, lors d’une récolte dans le village de Lakhtoute au Maroc © Wissal Msellek, Faculté Polydisciplinaire de Larache

L’essentiel
  • L’intensification agricole de ces dernières décennies a engendré une homogénéisation des cultures. Au Maroc, plusieurs variétés traditionnelles ont ainsi quasi disparu.
  • Ces variétés anciennes étaient pourtant bien adaptées aux contextes agricoles du pays, et souvent plus résistantes aux épisodes climatiques extrêmes. Aujourd’hui, la recherche se tourne vers ces variétés oubliées pour remettre de la diversité dans les champs, et dans les assiettes.
  • Dans cette optique, le projet ARISER tente de revaloriser des variétés traditionnelles de plusieurs plantes, dont le blé, le niébé ou encore le pois chiche.
Salama El Fatehi © DR

Salama El Fatehi © DR

Salama El Fatehi est enseignante chercheuse à la Faculté Polydisciplinaire de Larache. Biologiste et généticienne, elle se spécialise sur la diversité des plantes en milieu agricole et sur la manière dont les êtres humains la façonnent. La scientifique participe au projet ARISER, sur l’accès à la diversité cultivée et son rôle dans la résilience des agro-écosystèmes. Le projet est financé par l’Union européenne et coordonné par le Cirad.

Qu’entend-on par « diversité cultivée » et quels en sont les enjeux aujourd’hui pour l’agriculture marocaine ?

Salama El Fatehi : La diversité cultivée regroupe bien sûr les plantes cultivées, mais aussi toute la biodiversité des écosystèmes liés aux systèmes agricoles. Cette question est aujourd’hui au cœur de plusieurs enjeux pour le Maroc. En tête de ces défis : le changement climatique, avec des températures qui augmentent et une pluviométrie de plus en plus irrégulière. De plus en plus souvent, les pluies arrivent au mauvais moment pour la culture, sont trop intenses ou trop tardives. Les écarts de température d’une semaine à l’autre sont tels que les plantes n’ont pas toujours le temps de s’adapter. On a des cycles de culture complètement déstabilisés par ces changements rapides. Dans ces conditions, choisir des espèces ou des variétés capables de s’adapter est crucial. Et miser sur une grande diversité de plantes est plus sécurisant que de rester en monoculture et risquer de perdre l’entièreté de sa production en cas de catastrophe.

L’intensification agricole de ces dernières années est allée de pair avec une sélection de semences jugées productives. Sauf que cette sélection est venue appauvrir le pool génétique des plantes cultivées, que ce soit sur le plan des espèces ou des variétés. On a donc vu une perte de variétés locales et traditionnelles dans plusieurs régions du Maroc. Perte que nous essayons d’enrayer aujourd’hui à travers des actions de conservation. Cette question est très liée aux pratiques paysannes, car la majorité de ces variétés anciennes sont maintenues par les agriculteurs eux-mêmes. Chaque année, en fonction du climat ou des conditions dans leur champ, ils décident de ce qu’ils sèment et de la manière dont ils sèment. Au fil des générations, ils mettent au point des variétés de céréales ou de légumineuses plus résistantes à la sécheresse ou à la salinité des sols. Ces pratiques sont marginalisées mais persistent dans les systèmes traditionnels, là où la mécanisation ou l’accès aux ressources restent limités. En montagne par exemple, sur les terrasses, où le travail se fait toujours à la main.

Tous ces enjeux ne concernent pas seulement le Maroc, loin de là. Les pays du bassin méditerranéen font face aux mêmes défis, et il y a urgence à développer des stratégies pour améliorer la résilience de nos agricultures. C’est ce que nous faisons par exemple dans le cadre du projet Change-Up, financé par le programme PRIMA de l’Union européenne, autour de pratiques agroécologiques pour la culture du blé. Nous impliquons les savoirs traditionnels pour créer des variétés plus hétérogènes. La diversité génétique créée assure à la fois une meilleure résilience au champ et une plus grande diversité dans l’assiette.

Dans le projet ARISER, qui est présenté au SIAM, vous travaillez aussi sur les légumineuses. Quels sont les enjeux autour de ces cultures, et qu’avez-vous appris avec ARISER ?

S. E. F. : Au niveau des systèmes de cultures, les légumineuses contribuent à la fixation de l’azote dans les sols, ce qui permet de réduire l’apport d’engrais minéraux. Au Maroc, les agriculteurs utilisent beaucoup des systèmes de rotation céréales-légumineuses par exemple, qu’ils alternent à chaque cycle de cultures afin de régénérer les sols. Les oliveraies en revanche sont plutôt des polycultures, avec des fèves, petits pois et lentilles cultivés sous les arbres.

Au-delà d’améliorer la santé des sols, les légumineuses permettent aussi de diversifier l’alimentation. Ce sont des sources de protéines et de micronutriments qui participent à la sécurité nutritionnelle des populations. Ce sont des produits très consommés au Maroc, malheureusement les prix ont rapidement augmenté à cause de la sécheresse. En six ans, les lentilles sont passées de 7 à 25 dirhams le kilo. De 9 à 30 dirhams pour les haricots blancs… Les variétés actuelles tolèrent mal ces nouvelles conditions climatiques, et la production est en baisse.

Il est donc aujourd’hui nécessaire de revaloriser des variétés locales qui résistent mieux, et c’est ce à quoi on s’attèle dans le cadre du projet ARISER. On a par exemple effectué des échantillonnages sur des variétés de pois chiches que l’on teste en serres sous différentes conditions : stress hydrique, salinité des sols, etc. Cela nous permet d’identifier des variétés, et donc des écotypes, plus résilients. Ce qui nous intéresse en particulier, ce sont les plantes qui vont être capables d’assurer un rendement malgré des contraintes difficiles.

Récolte du pois chiche dans le village de Lakhtoute © Wissal Msellek, Faculté Polydisciplinaire de Larache

Récolte du pois chiche dans le village de Lakhtoute © Wissal Msellek, Faculté Polydisciplinaire de Larache

L’objectif d’ARISER, c’est d’identifier ces variétés, de comprendre comment elles circulent, et d’encourager les pratiques paysannes qui participent à leur utilisation et à leur conservation. C’est un travail que l’on mène au Maroc, mais aussi au Sénégal et à Madagascar, à chaque fois dans des zones semi-arides.

Le SIAM sera l’occasion d’échanger avec les partenaires sur les perspectives pour les agricultures méditerranéennes. Quelles sont les trajectoires que vous souhaitez défendre autour de la diversité cultivée, des légumineuses, ou encore des pratiques paysannes ?

S. E. F. : Aujourd’hui, il nous faut cultiver la diversité, aussi bien au niveau spécifique qu’au niveau variétal. Cela passe par le soutien aux agriculteurs, mais aussi par la sensibilisation des consommateurs. Si la demande pour une diversité de produits augmente, alors la production devra suivre. Côté champs, la diversité assure une stabilité des rendements. Dans les conditions actuelles, cette stabilité est devenue une caractéristique cruciale, tout aussi importante que la productivité. Car les variétés à haut rendement et cultivées en monoculture sont en général les premières à dépérir en cas de conditions climatiques difficiles. On a alors des agriculteurs qui perdent tout, et des prix qui augmentent à cause d’une offre en baisse, donc des problèmes aussi en termes de sécurité alimentaire.

Les légumineuses offrent justement une solution prometteuse pour renforcer la résilience agricole et diversifier l’alimentation, au Maroc comme ailleurs. Miser sur ces cultures passe par la promotion de la recherche et l’amélioration génétique, par l’identification de variétés intéressantes, comme nous le faisons dans le projet ARISER. Mais nous devons aussi nous pencher sur le soutien à la transformation et à la commercialisation de ces produits. Les variétés locales pourraient par exemple être encouragées via des circuits courts. Toute cette trajectoire devra être soutenue par des politiques publiques qui intègrent les légumineuses dans les plans de développement agricole.

Paysage agricole, Maroc © O. Cobelli, Cirad

Paysage agricole, Maroc © O. Cobelli, Cirad

Enfin, nous devons garder en tête que la diversité cultivée, de tout temps, nous vient des paysans. C’est par leurs pratiques que sont nées les variétés traditionnelles vers lesquelles nous nous tournons aujourd’hui. Apprendre de leur expérience me paraît donc primordial, car leurs savoirs sont porteurs de solutions et d’innovations.