Mobilisons la biodiversité cultivée pour affronter le changement climatique
Plaidoyer28 septembre 2022
Sécheresses, canicules, tempêtes, inondations… Le changement climatique menace la production agricole d’une bonne partie de la planète, et l’alimentation des plus vulnérables. Pour y faire face, les agriculteurs et agricultrices doivent puiser dans la richesse offerte par la biodiversité cultivée. Les scientifiques du Cirad et leurs partenaires se tiennent à leurs côtés grâce à une expertise unique sur la diversité et la capacité adaptative des plantes tropicales.
Face aux évolutions du climat, la création de variétés plus résistantes à la sécheresse et à la chaleur est, dès aujourd’hui, incontournable. De par son histoire et sa vocation, le Cirad dispose d’une expertise unique sur la diversité des plantes tropicales cultivées. Mais le défi est éminemment ambitieux.
L’amélioration variétale est à la croisée de multiples enjeux : alimentaires et nutritionnels, bien sûr, mais aussi scientifiques, culturels ou socio-économiques. Les caractères d’adaptation au changement climatique (tolérance aux stress hydriques, thermiques, capacités à tirer parti de l’augmentation du CO2 atmosphérique, etc.) sont nombreux et imbriqués. Ils dépendent de facteurs génétiques, physiologiques et d’interactions avec l’environnement.
Pour une approche interdisciplinaire d’amélioration variétale
Face à cette complexité, le Cirad et ses partenaires expérimentent depuis une dizaine d’années une approche pluridisciplinaire en appui aux programmes de sélection variétale. Cette dynamique associe généticiens, sélectionneurs, écophysiologistes, modélisateurs et chercheurs en sciences sociales. Tous œuvrent en complémentarité pour définir les caractères cibles de sélection répondant aux attentes sociétales et aux contraintes agroclimatiques, comprendre leurs bases physiologiques et génétiques et mobiliser la diversité cultivée pour sélectionner et améliorer des variétés localement adaptées.
Ces approches sont au cœur du dispositif en partenariat Iavao (Innovation et amélioration variétale en Afrique de l’Ouest). Ce réseau régional met en œuvre des programmes d’amélioration en combinant l’exploration de la diversité des céréales sèches et des légumineuses avec l’analyse des attentes sociétales en termes de pratiques et d’usages, ainsi que des programmes de modélisation et d’expérimentation en milieu contrôlé et chez les paysans.
Du terrain aux expérimentations de pointe
Les caractères d’adaptation à la sécheresse dépendent d’un grand nombre de caractères et de gènes. Les identifier et les comprendre nécessite de combiner des expérimentations permettant de couvrir un gradient de conditions agroclimatiques représentatif d’une région cible, avec des infrastructures de recherche à la pointe.
En compléments d’approches de terrain, le Cirad s’est équipé d’un espace d’expérimentation en chambres climatiques : la serre Abiophen. Ce dispositif permet de simuler des scénarii climatiques actuels et futurs et d’étudier avec précision les réponses des plantes aux facteurs du changement climatique (température, hygrométrie, CO2 atmosphérique).
Le Cirad s’est ainsi positionné comme un expert mondial incontournable sur la diversité génétique et la sélection variétale du sorgho, céréale prometteuse par ses sources d’adaptations aux contraintes liées au changement climatique.
Le même type d’approche intégrée a été déployé dans le cadre de l’amélioration de plantes pérennes mieux adaptées au changement climatique comme le caféier, dans le cadre notamment du projet Breedcafs.
Depuis plusieurs décennies, le Cirad est convaincu que l’avenir de la caféiculture passe par l’agroforesterie. Les recherches menées visent à améliorer les variétés, les techniques culturales et l’évaluation des performances de ce système de culture agroécologique. Pendant 4 ans, le projet européen H2020 Breedcafs a œuvré sur tous ces fronts scientifiques au Cameroun, au Nicaragua, au Vietnam et dans plusieurs organismes européens (torréfacteurs, universités et centres de recherche). Le point sur des résultats qui pourraient bien transformer toute la filière.
Des plantes du sud déjà cultivées au nord
Dans certaines régions, la diversité génétique au sein d’une même espèce n’est plus suffisante pour surmonter l’amplification des périodes de sécheresse. Il est alors avantageux de se tourner vers une autre espèce cultivée, dont les usages sont proches. Comme ces agriculteurs européens qui délaissent pour partie le maïs au profit de son espèce cousine : le sorgho. « L’établissement s’investit dans le renforcement du partenariat nord-sud sur cette espèce (réseau Sorgnet), souligne Delphine Luquet, écophysiologiste au Cirad et spécialiste du sorgho. Le Cirad fédère les recherches autour de filières, telles que le sorgho, offrant des sources prometteuses d’adaptation au changement climatique des agricultures du nord comme du sud. Pour nous, c’est aujourd’hui une urgence ».
L’expertise reconnue du Cirad sur cette céréale est mobilisée dans plusieurs projets tournés vers la résilience des agricultures du sud (ABEE, Sorghum Genomics Toolbox, AFAFI-sud) ou vers la culture de ces plantes au nord (Biomass For the Future). En outre, le Cirad coorganisera une conférence mondiale sur le sorgho en juin 2023 à Montpellier.
Réintroduire des variétés et espèces traditionnelles
Dans les régions soumises à de forts aléas climatiques, une stratégie gagnante repose sur la diversité des espèces et des variétés cultivées. Parmi celles-ci, les espèces traditionnelles et indigènes jouent un rôle majeur qu’il faut valoriser davantage. Nombre d’entre elles ont été délaissées au profit de produits ou de cultures importés et sont ainsi dites, oubliées et orphelines. Il s’agit entre autres du fonio, du millet sanguin, du millet perlé ou encore de plantes à tubercules comme le taro. Pourtant, ces cultures ont une grande valeur nutritionnelle et culturelle, elles sont adaptées aux goûts locaux et à différents agroécosystèmes.
Du fait de leur origine et de leur histoire adaptative, elles ont souvent été sélectionnées pour leur tolérance à la sécheresse ou à des épisodes de températures extrêmes. On peut dès lors parier que leurs diversités sont porteuses de multiples opportunités pour une amélioration variétale agile et adaptée à divers contextes sociaux et environnementaux. Une plus grande résilience des agro-socio-écosystèmes passe sans doute par un investissement plus important dans la recherche et le développement de ces cultures, relayé en cela par différentes initiatives comme la Société Scientifique des cultures oubliées (Forgotten Crops Society) présidée par Michel Ghanem, chercheur au Cirad ou encore le réseau régional de sélection variétale animé par le dP IAVAO qui veille à intégrer progressivement ces espèces « oubliées ».
Atténuer le réchauffement par la biodiversité cultivée ? La valorisation de la diversité cultivée s’axe davantage sur l’adaptation au changement climatique plutôt que sur son atténuation. Toutefois, des recherches émergent sur des solutions variétales permettant d’améliorer la séquestration du carbone dans les systèmes de culture tout en évaluant les compromis et synergies potentiels avec des solutions d’adaptation. Le récent projet européen BOLERO vise, par exemple, à améliorer les porte-greffes des caféiers et cacaoyers pour obtenir des systèmes racinaires profonds et vigoureux, avantageux pour tolérer la sécheresse tout en séquestrant plus de carbone.