Plaidoyer 26 août 2024
- Accueil
- Les actualités du Cirad
- Actualités
- La biodiversité ne se conserve pas au réfrigérateur
La biodiversité ne se conserve pas au réfrigérateur
Tout le monde a vu au moins une fois les impressionnantes photos de la réserve mondiale de semences du Svalbard. Qualifiées de grenier de la planète ou encore de rempart contre une crise alimentaire mondiale, ces banques de graines ont certes leur utilité, mais ne suffiront pas seules à protéger la biodiversité cultivée, ni même à faire face aux changements globaux.
Pour une gestion dynamique de la biodiversité
Pour Christian Leclerc, éco-anthropologue au Cirad et coanimateur de la thématique de recherche prioritaire Biodiversité, « l’expression "conserver la biodiversité" évoque une mise sous cloche, une protection figée comme c’est le cas pour les semences conservées à Svalbard. Pourtant le monde vivant est fait d’interactions entre les espèces, les sociétés et leur environnement. La biodiversité est dynamique et doit se gérer comme telle ».
Utiliser pour mieux conserver
Au Cirad, une équipe de chercheurs et de chercheuses font valoir une gestion dynamique de la biodiversité et a fortiori de la diversité des espèces cultivées. « Contrairement à la biodiversité sauvage, les espèces cultivées sont façonnées par les sociétés humaines depuis plusieurs millénaires. De fait, leur conservation dépend de leur utilisation. C’est parce qu’on arrête de les utiliser qu’elles disparaissent », explique Mathieu Thomas, généticien au Cirad. Et c’est ce qu’il se passe aujourd’hui.
La biodiversité pour l'alimentation et l'agriculture est en déclin selon un rapport publié par la FAO en 2019 (voir encadré). Aujourd’hui, seulement 9 plantes composent 66% des récoltes mondiales. Pourtant plusieurs études montrent les bénéfices de la diversification des cultures sur les écosystèmes, mais aussi sur la résilience des ménages ruraux.
Une partie de la biodiversité cultivée est conservée dans des centres de ressources biologiques (CRB) aussi appelés banques de semences, de graines ou de gènes. Ces infrastructures collectent, conservent et distribuent les ressources génétiques sous forme de lots de semences en petites quantités.
Histoire d’une divergence entre agriculteurs et semenciers
Les premières banques de graines ont vu le jour au début du XXe siècle. Elles ont accompagné la professionnalisation de la sélection pour les principales espèces cultivées et ont conduit à une distanciation entre semenciers et agriculteurs. « Ces collections génétiques ont été construites et pensées par et pour les scientifiques sélectionneurs », précise Christian Leclerc. Depuis quelques années, cependant, la communauté scientifique prend conscience de l’importance d’impliquer les agriculteurs et agricultrices dans les programmes de sélection pour aboutir à des variétés adaptées à leur besoin et à ceux des consommateurs. Alors pourquoi ne pas associer aussi les agriculteurs à la gestion des collections de semences ? D’autant qu’« il n’y a pas de meilleur moyen de conserver la biodiversité cultivée qu’en l’utilisant, rappelle Christian Leclerc. Ce constat pousse les scientifiques à s’interroger sur le fonctionnement et la gouvernance de ces collections de semences.
Ouvrir l’accès des banques de semences
Avec 40.000 échantillons de semences, le centre de ressources génétiques Arcad, au nord de Montpellier, est devenu la plus moderne grainothèque d'Europe. Paule Teres est responsable du CRB GAMéT (Graines adaptées aux conditions méditerranéennes et tropicales) à Arcad. Son défi est d’ouvrir l’accès à ces semences et d’établir des collaborations avec les acteurs impliqués dans la gestion de la diversité pour mieux répondre à leurs besoins et attentes. Cette gestion dynamique des ressources génétiques du CRB est un impératif pour la chercheuse afin de faire face aux dérèglements climatiques : « aujourd’hui, les changements globaux sont tellement rapides que si je sors un sachet de semences dans 25 ans, il y a très peu de chance qu’elles soient encore adaptées à leur environnement ».
Articuler conservation ex-situ et in-situ
Mais cette gestion dynamique n’est pas si simple et oblige les scientifiques à s’interroger sur leurs pratiques. Jusqu’à présent, l’essentiel des semences conservées ex situ étaient des lignées génétiquement homogènes avec des caractères d’intérêt agronomiques fixés par les sélectionneurs. « A contrario, dans les champs des paysans, en particulier dans les contextes d’agriculture vivrière, ce sont essentiellement des variétés-populations, génétiquement hétérogènes, qui sont gérées in situ », précise Mathieu Thomas. Cette gestion est dynamique parce que les plantes cultivées s’adaptent au fil du temps aux évolutions climatiques et aux besoins.
« En ouvrant l’accès aux semences à des agriculteurs, la circulation des graines entre les CRB et les champs des paysans constitue une nouvelle modalité de gestion, plus dynamique et plus ouverte, explique Paule Teres. Mais n’est-ce pas ce que l’on veut ? Il s’agit de renforcer la complémentarité entre les deux modes de gestion pour conserver une biodiversité le plus large possible, avec un continuum entre la conservation ex-situ et in situ ».
L’ambition de la chercheuse est de profiter du contexte d’Arcad pour poser de nouvelles questions de recherche sur ces enjeux de complémentarité. Et en la matière, les questionnements sont multiples. « Par exemple, nos CRB permettent-ils vraiment de conserver la diversité inter et intra variétale ? Sachant que c’est cette dernière qui est déterminante pour adapter des plantes au dérèglement climatique en cours ».
Un tiers lieu dédié à la biodiversité cultivée
Deux projets de recherche ont cherché à valoriser la diversité au sens le plus large possible : Coex coordonné par le Cirad et Dynaversity. Il est ressorti un même constat global : restaurer la confiance entre acteurs est un préalable indispensable à un travail en commun. C’est avec cette visée qu’est née l’initiative Tiers-div. Ce tiers-lieu dédié à la biodiversité cultivée réunit des scientifiques, des agriculteurs, des artisans semenciers et des gestionnaires de CRB. « Sortir ainsi les acteurs de leur environnement et de leurs institutions permet de faire un pas de côté et facilite grandement le dialogue, souligne Mathieu Thomas. Tiers-div est une passerelle entre différents univers pour relever ce challenge décisif et commun : gérer collectivement et dynamiquement la diversité cultivée pour permettre aux systèmes de production agricole et alimentaire de s’adapter aux changements globaux ».
La biodiversité pour l'alimentation et l'agriculture est en déclin. Ces disparitions se reflètent dans nos régimes alimentaires. Un rapport de la FAO annonçait en 2019 que moins de 200 espèces sur 6000 connues contribuent de manière substantielle à la production alimentaire mondiale et que seulement 9 espèces représentent 66% de cette production.
Pour José Graziano da Silva, alors directeur général de la FAO, « la perte de la biodiversité pour l'alimentation et l'agriculture compromet sérieusement notre capacité à alimenter et à nourrir une population mondiale en croissance constante ».