Semences : quand les paysans façonnent la biodiversité

Résultats & impact 20 mai 2021
Les paysans d’Afrique de l’Ouest jonglent avec une grande diversité de semences. Face aux nombreuses manières d’utiliser cette biodiversité, les politiques publiques peinent à accompagner les organisations paysannes dans l’accès et la gestion des semences. Dans l’optique de construire des cadres politiques plus efficaces et justes, le projet CoEx s’est fixé pour but de décrire toute la complexité des systèmes semenciers en Afrique de l’Ouest. Les études de terrain dessinent une richesse biologique façonnée par les activités humaines, résultat d’une diversité d’expériences de vie.
Un maraicher de la région de Mboro au Sénégal en train de semer son champ © R. Belmin, Cirad
Un maraicher de la région de Mboro au Sénégal en train de semer son champ © R. Belmin, Cirad

Un maraicher de la région de Mboro au Sénégal en train de semer son champ © R. Belmin, Cirad

Comment les paysans s’approvisionnent-ils en semences, comment les utilisent-ils et pour répondre à quels besoins ? Coordonné par le Cirad et financé par la Fondation Agropolis le projet étendard CoEx, s’est fixé un objectif ambitieux : étudier les différentes pratiques de gestion des semences en Afrique de l’Ouest. Les résultats, présentés le 11 mai dernier lors du webinaire de clôture du projet, pavent le chemin vers des politiques agricoles plus justes et favorables à une plus grande diversité biologique, mais également de contextes et d’acteurs.

Aléas climatiques, volatilité des prix des matières agricoles, maladies… Pour Sélim Louafi, chercheur en sciences politiques au Cirad et co-coordinateur de Coex, « les sociétés rurales doivent leur résilience en partie à la biodiversité présente au champ. Améliorer les possibilités d’accès aux semences, c’est donc augmenter les solutions disponibles face à différents risques. »

Pendant plus de quatre ans, les partenaires français, canadiens et ouest-africains de CoEx ont étudié la diversité des plantes cultivées au Sénégal, au Mali, au Burkina Faso et au Niger. 32 espèces, dont le sorgho, le mil, le maïs, l’arachide, le niébé, le gombo et l’oignon, ont été passées à la loupe. Plus de 500 paysans ont été interviewés et des groupes de discussion ont été ouverts dans près de 150 villages.

Les semences : à la croisée du biologique et du culturel

Le premier axe du projet CoEx a mis au jour les différentes stratégies de choix des semences à l’échelle locale. Loin d’être considérées comme de simples ressources biologiques par les paysans, les semences s’avèrent être le résultat d’une multitude d’expériences de vie, individuelles et collectives.
Héritage, rituel, adaptation au climat, réponse à une demande du marché… Les besoins et attentes des paysans façonnent ainsi ce que les chercheurs appellent la « diversité cultivée ».

« La diversité cultivée représente non seulement les espèces et variétés choisies par les paysans, mais aussi les dynamiques sociales qui motivent ces choix, explique Hélène Joly, généticienne au Cirad. L’utilisation de telle ou telle semence représente ainsi un enjeu politique et social, et pas seulement biologique. »

Christian Leclerc, éco-anthropologue au Cirad, précise : « En moyenne, le nombre d’espèces cultivées par village était de 17. Mais ce chiffre pouvait fluctuer selon l’ancienneté du village, le nombre de langues parlées, ou encore le nombre de paysans membres d’une organisation paysanne. On a identifié plus d’une dizaine de facteurs socio-culturels influençant le nombre d’espèces par village. »

Traduire la complexité des stratégies locales en des termes politiques

« Les législations nationales portent sur les transactions de semences du seul secteur industriel et commercial, le secteur dit “ formel”. Pourtant, d’autres formes d’organisation sont à l’œuvre dans le réseau semencier utilisé par les agriculteurs, souligne Sélim Louafi. Les termes “alternatif” ou encore “informel”, utilisés pour caractériser ces réseaux, masquent une pluralité de pratiques d’approvisionnement en semences et de gestion de la diversité cultivée. Ce sont ces pratiques que nous avons cherché à mettre en lumière à une échelle régionale. Dans le viseur : améliorer les politiques publiques pour qu’elles correspondent à la réalité de terrain. »

Les chercheurs ont ainsi dégagé les tendances régionales des principaux modes d’approvisionnement de semences : l’autoproduction (41 %), les marchés (40 %), puis les dons-échanges (14 %) et les ONG (5 %). Cependant, ces chiffres ne permettent pas de résumer la grande variabilité des pratiques, en fonction par exemple des espèces ou des contextes.

Construire une législation plus inclusive

Les lois et réglementations côtoient souvent des règles dites « informelles », régies notamment par la coutume. En Afrique de l’Ouest, la diversité des pratiques de gestion des semences se traduit ainsi par toute une diversité de « normes », formalisées légalement ou non.

Un volet du projet s’est focalisé sur ces aspects juridiques et économiques. Qui participent à l’élaboration des règles, comment les font-ils évoluer et dans quel but ? L’objectif, à terme, est de faire coïncider cette multitude de règles et de pratiques, en s’assurant d’inclure un maximum de parties prenantes lors des prises de décision.

La recherche, loin d’être neutre dans le débat sur l’accès aux semences

Pour finir, le projet s’est intéressé aux pratiques des organismes de recherche. Ces derniers assument en effet un rôle dans la production de connaissances, mais aussi dans l’accès aux semences, notamment via les banques de gènes.

Pour cela, CoEx a associé sept organisations paysannes d’Afrique de l’Ouest et de France à onze laboratoires de recherche français et ouest-africains. « Nous nous devions d’exprimer par nos propres méthodes de recherche l’ambition d’imaginer des politiques publiques qui prennent en compte toute la diversité des besoins et du vécu des paysans », note Mathieu Thomas, généticien au Cirad et co-coordinateur de CoEx.

« La recherche n’est pas neutre en tant que partie prenante dans ce débat sur la diversité des systèmes semenciers, ajoute Sélim Louafi. CoEx a interrogé ce rôle, afin de remédier aux inégalités habituellement à l’œuvre, à la fois dans les collaborations de recherche entre paysans et scientifiques, mais aussi dans les systèmes de gouvernance des banques de gènes. »

Le manque de collaboration entre instituts de recherche et organisations paysannes est parfois source de méfiances. L’expérience de CoEx a pourtant démontré toute la richesse des échanges pour les deux parties. Les membres du projet espèrent par exemple que ces enseignements feront évoluer les pratiques de gestion des banques de gènes, pour des collaborations plus ouvertes avec les organisations paysannes.

Un manuel pour une collaboration juste entre scientifiques et paysans
Relations non équitables, blocages administratifs dans le partage des ressources, tensions… Les instituts de recherche sont souvent mal équipés pour travailler avec les organisations paysannes. CoEx a ainsi voulu se faire un laboratoire vivant de nouvelles pratiques, plus justes et collaboratives. Cette démarche a donné naissance à un manuel de recommandations pour améliorer leurs relations. Tordre le cou aux idées reçues, ouvrir des espaces de discussion où paysans et chercheurs se sentent à l’aise pour partager informations et compétences… Ce manuel participe in fine à enrichir les travaux de recherche, tout en légitimant les savoirs et attentes des organisations paysannes.