Des pédiluves contre les tiques

Résultats & impact 15 juillet 2024
Au Zimbabwe, 60 % de la mortalité dans les élevages bovins est liée aux maladies transmises par les tiques. Jusqu’à présent, la principale technique de lutte consistait à faire passer les animaux dans des couloirs profonds remplis d’eau et d’acaricide. Très coûteux, ces bains sont difficilement accessibles pour les petits éleveurs. En guise d’alternative, des pédiluves ont été testés dans plusieurs fermes. Efficace, peu chère et beaucoup plus durable, cette innovation est sur le point de se diffuser dans tout le pays.
Acaricide footbath for tick control. Cattle farm in Marirangwe, Zimbabwe © Christopher Gadzirayi
Acaricide footbath for tick control. Cattle farm in Marirangwe, Zimbabwe © Christopher Gadzirayi

Acaricide footbath for tick control. Cattle farm in Marirangwe, Zimbabwe © Christopher Gadzirayi

Au Zimbabwe, le secteur agricole fait vivre près de 70 % de la population. L’élevage représente une part importante des activités en milieu rural et participe à la production locale de protéines. Les fermes sont en majorité des petites exploitations de subsistance et la quasi-totalité a recours au pâturage. La lutte contre les tiques, premières vectrices de maladies dans les élevages, est donc une priorité pour le pays. 

En 2023, une équipe composée de scientifiques, d’éleveurs et de vétérinaires ont installé des pédiluves à la sortie des routes de pâturage, dans trois zones distinctes du Zimbabwe. Cette innovation, imaginée par le Cirad il y a une vingtaine d’années, avait déjà fait ses preuves en Afrique de l’Ouest. Sur la dizaine d’éleveurs ayant participé à l’étude, tous sont convaincus : la solution fonctionne et est facile à mettre en place.

M. Makondo agriculteur à Chiredzi, est enthousiaste : « depuis que nous utilisons le bain, nous n'avons plus détecté de maladies transmises par les tiques. Il est un peu cher à construire pour un seul agriculteur, mais il est possible de le mutualiser avec d’autres.  L'utiliser est très simple, mes jeunes garçons le font sans mon aide ».

Pour Mr. Gumbe, directeur de la ferme Marirangwe, « le pédiluve réduit effectivement le nombre de tiques sur le bétail. Le bain est bien plus simple à utiliser que la pulvérisation manuelle que nous utilisions habituellement, et il nécessite moins d'eau car le même produit est utilisé pendant plus d'un mois ».

Efficace, économique, écologique 

Initialement développés en Afrique de l’Ouest, les pédiluves ont été transposés au contexte zimbabwéen dans le cadre des projets DESIRA LIPS et PACMAN, financés par l’Union européenne. L’objectif était de proposer une alternative aux « dip tanks », ces bains acaricides profonds où les animaux sont immergés après le pâturage. « Les dip tanks sont efficaces, mais ils sont très gourmands en eau et en produit acaricide, détaille Laure Guerrini, géographe géomaticienne au Cirad. Il faut sans cesse   réajuster les dosages pour une bonne efficacité, nombreux sont obsolètes par manque d’entretien et ils sont une source de stress pour les animaux, qui doivent entièrement plonger et ont à peine la tête hors de l’eau. »

Entre l’accélération des épisodes de sécheresse et la crise économique qui secoue le pays, de nombreux éleveurs ne sont plus en mesure d’accéder à ces bains ou de les utiliser correctement. En comparaison, les pédiluves sont faciles à construire, peu coûteux, ils demandent moins d’eau et d’acaricide et permettent le passage d’un grand nombre d’animaux en peu de temps. Et surtout, ils sont efficaces contre les tiques du genre Amblyomma, vectrice d’une des maladies prioritaires des bovins et des ovins au Zimbabwe : la cowdriose.

Obey Daga, étudiante à l’Université du Zimbabwe, a effectué le suivi de l’innovation auprès des éleveurs. Elle explique le principe du pédiluve : « La tique Amblyomma se fixe aux pieds des vaches et des chèvres et se cache entre les orteils pendant toute la durée du pâturage. La tique ne se détache qu'au moment du repos pour se déplacer vers le corps de l'animal. Des pédiluves ont donc été installés vers l'entrée de l'enclos, de sorte que les animaux passent par le bain lorsqu'ils se rendent à l'enclos pour la nuit. Grâce à ces bains de pieds, la densité des tiques Amblyomma chez les animaux baisse considérablement ».

L’efficacité des pédiluves ne s’arrête pas là, puisqu’ils agissent aussi sur d’autres espèces de tiques. « Lorsque le pédiluve est utilisé en même temps que la graisse à tiques, il réduit également de manière significative certaines tiques brunes et bleues, se réjouit Obey Daga. Il fonctionne également très bien dans les zones où le sol est peu ou pas couvert d'herbe, ce qui est plus fréquent dans les régions les plus sèches du pays. » Un pédiluve n’a besoin que de faibles quantités d’acaricide, et utilise moins d'eau qu’un dip tank. Un avantage certain pendant la saison sèche, qui s'étend de mai à octobre ou novembre au Zimbabwe.

Une diffusion de l’innovation à tout le pays ?

L’implication des fermiers, dans la construction des pédiluves mais aussi dans le suivi, a permis une appropriation par les communautés locales de l’innovation. Devant le succès des résultats préliminaires, les pédiluves se construisent à grande échelle sur l’ensemble du territoire : dix d’entre eux sont désormais en fonctionnement, tandis que le budget pour la construction de cinq nouveaux pédiluves vient d’être accepté. Les autorités locales en prennent la charge, et les services vétérinaires accompagnent les éleveurs. 

« Le principe du pédiluve convient particulièrement aux conditions de notre région semi-aride, explique M. Gono, agent de vulgarisation vétérinaire au Zimbabwe. Économe en eau et en produit, il est à la portée de tous les agriculteurs, y compris ceux aux ressources limitées. C’est notamment pour cela que cette innovation est si bien accueillie. Plusieurs agriculteurs nous consultent sur la manière de construire les pédiluves et certains les ont même déjà mis en œuvre dans leur exploitation. »

Chercheur à l’Université du Zimbabwe, le Dr. S. Chikerema soutient une adoption générale de la méthode dans les régions sèches du pays. « Les pédiluves sont non seulement très efficaces, mais ils sont aussi abordables et ont un impact minimal sur l'environnement, si le trempage est effectué conformément aux recommandations. »

En parallèle de cette méthode de lutte, des traitements et des vaccins sont en cours de développement. Néanmoins, le secteur de l’élevage au Zimbabwe étant très dispersé entre fermes de petites tailles, l’acheminement de médicaments reste difficile. Les pédiluves, au contraire, permettent de mutualiser les ressources sur des zones rurales déjà peu dotées.

En mai 2024, l’inauguration d’un pédiluve à Masvingo avait rassemblé des bailleurs de fonds et des ONG internationales pour débloquer des financements. L’évènement avait eu lieu en présence de l'Institut international de l'élevage (ILRI), du Cirad, de la direction des services vétérinaires du Zimbabwe et de l’Université du Zimbabwe.