Résultats & impact 16 octobre 2025
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La justice climatique pour imaginer d’autres voies de développement
Rassemblement de mouvements sociaux lors de la pré-COP Juventude das florestas organisée par les Gardiens du Bien-vivre, en mai 2025 © Guilherme Firmino, FEFACCION
L’essentiel
- Depuis les années 2000, plusieurs milliers de plaintes relatives au climat ont été déposées à travers le monde, entre autres par des pays menacés de submersion. Mais plus qu’une approche juridique, la “justice climatique” désigne aussi des approches éthiques et politiques.
- Parmi les tenants de ce concept, on retrouve les Gardiens du Bien-Vivre au Brésil. Ce collectif revendique la liberté de choisir leur propre voie de développement, un choix aujourd’hui entravé par des dérèglements climatiques auxquels ils n’ont pourtant pas contribué.
- Lors de la COP30, qui débute le 10 novembre prochain au Brésil, plusieurs pays porteront la question du financement des initiatives durables.
« Derrière la notion de justice climatique, il y a le constat d’une injustice : les populations qui s’adaptent et cherchent des solutions face au changement climatique sont aussi celles qui en souffrent le plus, alors même qu’elles n’y contribuent quasiment pas. » Emilie Coudel est socio-économiste au Cirad. La chercheuse accompagne des organisations paysannes au Brésil depuis quelques dizaines d’années. « On est témoin d’un décalage qui devient de plus en plus insupportable. Depuis une quinzaine d’années, on presse les populations rurales pour qu’elles trouvent des systèmes de production capables de s’adapter au changement climatique. On vente par exemple l’agroforesterie pour sa résilience, sauf que les dérèglements climatiques sont tels que même les systèmes agroforestiers n’arrivent pas à suivre. »
Récemment, l’Amazonie a subi à la suite deux sécheresses extrêmes, phénomènes qui n’arrivaient avant qu’une fois par siècle. De nombreux arbres sont morts. La violence des chocs climatiques tue ainsi dans l’œuf les tentatives d’adaptation des populations qui sont pourtant les premières à conserver les ressources forestières.
Dans ce contexte, de nombreuses communautés revendiquent leur droit à des réparations. Mais plus que des réparations, il s’agit pour ces mouvements de s’assurer qu’ils aient la possibilité de développer des modes de vie qui leur conviennent.
La justice climatique, un concept opérationnel pour penser le futur : exemple du collectif des Gardiens du Bien-Vivre
À travers les revendications de justice climatique, les communautés amazoniennes réinventent aujourd’hui un cadre d’action qui dépasse la seule question environnementale, en ouvrant la voie à une réflexion plus large sur les inégalités sociales, la répartition des terres et les enjeux de réforme agraire. C’est ce que fait le collectif de jeunes amazoniens et amazoniennes appelé « Gardiens du Bien-vivre », qui cherchent à défendre leur mode de vie et leur territoire du Lago Grande, dans la région de Santarém, face à l’arrivée d’entreprises minières et d’extraction de bois. Depuis 2019, ce collectif réalise des actions de sensibilisation, de formation et de mobilisation des communautés paysannes du territoire pour défendre leur vision de la justice climatique qu’ils définissent comme « la garantie des droits historiquement revendiqués par les peuples qui sont les véritables gardiens de la nature ».
Lors d'ateliers d’anticipation territoriale réalisés dans le cadre du projet JUNTES et de la thèse de doctorat de Beatriz Abreu dos Santos, le collectif a imaginé un scénario de justice climatique pour leur territoire et défini ensemble les actions prioritaires pour arriver à ce futur envisagé. « Dans ce scénario, les terres des différentes communautés locales sont démarquées et reconnues, détaille Beatriz Abreu dos Santos. L’agriculture familiale garantit la sécurité alimentaire, une université locale du Bien-Vivre est fondée, un tourisme durable est développé, la rivière Arapuins est reconnue comme un sujet de droit et l’implantation d’acteurs et entreprises considérées comme prédatrices ont été interdits par décision judiciaire. »
Dans les actions prioritaires listées, il est possible de distinguer les initiatives visant à renforcer les communautés rurales et la culture, que le collectif réalise déjà au sein de son territoire, des mesures structurelles qui demandent une forte présence de l’État et la création de politiques publiques. Cette distinction met en lumière les limites de l’action communautaire face à des défis structurels. La justice climatique suppose une responsabilité partagée, où l’État et les mécanismes de financement public garantissent la continuité et la durabilité des efforts portés depuis les territoires.
Des partenariats forts entre la recherche brésilienne et française, et la société civile
La thèse de Beatriz Abreu dos Santos a été co-encadrée par Stéphanie Nasuti, de l’Université de Brasília, et Emilie Coudel et Marc Piraux, du Cirad. JUNTES, qui signifie « ensemble » en portugais, est utilisé ici en diminutif de « Jeunesses vivantes tissant des savoirs ». Il s’agit d’un partenariat entre le Coletivo de juventudes « Guardiões do Bem-viver », l’Université de Brasília, l’IRD, l’Université Fédérale de l’Ouest du Pará (UFOPA), la Fondation Getúlio Vargas (FGV-CES) et l’ONG Sapopema.
Durant la COP30 sur le climat qui se déroulera en novembre à Belém, une forte mobilisation de la société civile et notamment des différentes communautés amazoniennes est attendue pour exiger des actes concrets et une véritable justice climatique.
Comment financer les territoires porteurs des solutions de développement durable ?
Sans la création de financement global, redistribué jusqu’aux territoires, il n’est pas possible de garantir un développement durable et inclusif. Le Brésil, sous l’impulsion du président Lula, s’est positionné comme leadeur des pays du Sud global pour demander aux nations historiquement responsables du réchauffement de contribuer de manière équitable aux efforts de transition.
Un des mécanismes proposés et qui sera lancé durant la COP30 est le Tropical Forests Forever Facility (TFFF), un fonds destiné à rémunérer la préservation des forêts tropicales. Le TFFF prévoit qu’au moins 20% des fonds reçus par les pays bénéficiaires soient directement reversés aux peuples autochtones et aux communautés locales. Alors que le Brésil va allouer un milliard de dollars dans ce fonds, le président Lula demande aux pays les plus riches d’y contribuer pour atteindre le montant minimum de 25 milliards de dollars nécessaire pour sa mise en activité.
Cette initiative illustre la volonté d’inventer de nouveaux mécanismes de financements, fondés sur la protection des biens communs plutôt que sur leur exploitation. Pour atteindre la justice climatique, il faut repenser l’économie mondiale où la solidarité devient le moteur d’un avenir durable.