Face à la sécheresse, quel avenir pour l’agriculture et l’élevage ?

Plaidoyer 8 septembre 2022
Quelles solutions pour l’agriculture face aux épisodes de sécheresses de plus en plus récurrents ? Pour le Cirad, confronté depuis longtemps à ce problème dans ses recherches en partenariat dans les pays du Sud, la question est désormais cruciale avec le changement climatique.
Irrigation au tuyau percé dans la région de Popo, au Bénin. Cette technologie relativement peu couteuse permet des gains de temps considérables pour les producteurs. © R. Belmin, Cirad
Irrigation au tuyau percé dans la région de Popo, au Bénin. Cette technologie relativement peu couteuse permet des gains de temps considérables pour les producteurs. © R. Belmin, Cirad

Irrigation au tuyau percé dans la région de Popo, au Bénin. Cette technologie relativement peu couteuse permet des gains de temps considérables pour les producteurs. © R. Belmin, Cirad

Les épisodes climatiques violents s’accentuent partout dans le monde : en témoigne notamment la sécheresse qui s’est abattue cet été en Afrique du Nord et sur une partie de l’Europe. Le secteur agricole, qui consomme 70 à 80 % des ressources hydriques, est le plus impacté par la baisse de la disponibilité en eau. Depuis plus de vingt ans, le Cirad expérimente des innovations dans les pays méditerranéens et tropicaux pour adapter l’agriculture et l’élevage à ces aléas climatiques.

Des variétés plus résistantes au stress hydrique

Le premier levier d’adaptation se situe au niveau du comportement de la plante face au manque d’eau, appelé « stress hydrique ». Pour Delphine Luquet, écophysiologiste des plantes au Cirad, il s’agit de sélectionner des variétés à même d’éviter ou tolérer ce stress pour maintenir les rendements : « l’amélioration variétale consiste à s’appuyer sur toute la richesse de la diversité cultivée connue afin de développer des nouvelles variétés qui combinent les caractères d’intérêt pour un contexte agro-climatique et sociétal donné ».  

Dans un contexte de sécheresse, il peut s’agir de combiner, dans une même variété : 

  • un système racinaire profond permettant d’accéder plus efficacement à la ressource en eau ;
  • une capacité des feuilles de photosynthétiser tout en économisant de l’eau en limitant leur transpiration
  • et si possible un cycle de culture plus court, ou plus précoce, permettant d’éviter autant que possible les périodes les plus à risque de sécheresse.

Le développement de variétés moins sensibles au stress hydrique est particulièrement crucial pour les cultures pérennes, dont les plantations durent plusieurs dizaines d’années et se doivent d’être adaptées aux climats futurs.

Des espèces adaptées aux zones arides

En plus de la sélection de variétés, le choix des espèces cultivées elles-mêmes devient un enjeu majeur pour l’adaptation de l’agriculture à la sécheresse. En France, par exemple, de plus en plus d’agriculteurs et de sélectionneurs se tournent vers le sorgho comme substitut au maïs, voire à d’autres cultures céréalières. Originaire d’Afrique, le sorgho tolère mieux la chaleur et les épisodes de sècheresse grâce à son système racinaire profond, sa capacité à garder ses feuilles vertes pour la photosynthèse durant tout son cycle et la résistance de son appareil reproducteur aux fortes températures. Le Cirad a fortement contribué à l’exploration et la compréhension de la diversité génétique du sorgho. 

Par ailleurs, dans les régions du monde marquées par des épisodes de sécheresse depuis des siècles, une stratégie de plus en plus envisagée est un retour à la culture d’espèces traditionnelles. Nombre d’entre elles ont été délaissées face à la concurrence de cultures importées. Pourtant, du fait de leur bassin d’origine et de leur histoire adaptative, celles-ci offrent souvent des sources d’adaptation à la sécheresse bien plus efficaces. En Afrique de l’Ouest, c’est le cas du fonio, du mil ou encore du niébé. 

Des systèmes de cultures et d’élevage agroécologiques plus économes en eau

L’échelle de la parcelle cultivée offre d’autres leviers d’adaptation à la sécheresse. Associations d’espèces, rotations, intercultures, mélanges variétaux… La diversification des systèmes de culture, via des pratiques agroécologiques, joue sur la mise en œuvre de services écosystémiques qui entraîne bénéfices partagées ou complémentarité de niche entre plantes et biodiversité du sol. 

L’association d’une culture de légumineuses à des cultures céréalières, par exemple, apporte notamment une couverture végétale plus dense au niveau du sol, qui limite l’évaporation de l’eau tout en permettant à la céréale de bénéficier de la fertilisation naturelle du sol par la légumineuse au travers du fonctionnement de son système racinaire.  

Une autre pratique de couvert végétal, qui permet aussi de conserver un maximum d’eau dans les sols cultivés, est l’usage de paillage avec des résidus de cultures. Julien Demenois, agronome et forestier au Cirad, précise : « cette pratique est souvent mise en œuvre à travers l’agriculture de conservation et a plusieurs effets, comme la réduction du ruissellement, l’augmentation de l’infiltration de l’eau, ou la diminution de l’évaporation. Dans les conditions chaudes et ensoleillées des tropiques, la présence des résidus de cultures permet de stocker plus rapidement l’eau dans le sol en début de saison des pluies, et ainsi limiter les impacts négatifs d’une période de sécheresse en début de cycle cultural. »

Les avantages de l’agroforesterie

« L’agroforesterie constitue un autre très bon exemple d’adaptation, renchérit Delphine Luquet. Les arbres apportent de l’ombrage et protègent les plantes qui vivent mal du manque d’eau et des fortes chaleurs. » En effet, leur système racinaire très ramifié permet de retenir l’eau et les nutriments dans le sol dans un périmètre autour de l’arbre. Leur ombrage est attractif pour les animaux qui fertilisent le sol dans la zone cultivée par leurs excréments, tout cela bénéficiant à la culture. 

Un tel écosystème complexe est étudié par le Cirad au Sénégal dans le cas du mil cultivé sous les arbres de l’espèce Faidherbia albida. « Cet arbre présente la capacité exceptionnelle de garder ses feuilles pendant la saison sèche, détaille Vincent Blanfort, agro-écologue des pâturages au Cirad. Il offre de l’ombrage à la fois pour les cultures et le bétail, ainsi que des ressources alimentaires complémentaires, via la récolte et l’émondage de ses gousses. » 

Le chercheur va jusqu’à généraliser cet exemple, en décrivant l’association agriculture-élevage comme un fonctionnement très ancien capable d’offrir des solutions d’adaptation aux épisodes de sécheresses récurrents des zones tropicales et méditerranéennes. 

Le pastoralisme, levier de résilience face à la sécheresse

Les élevages familiaux en zones méditerranéennes et tropicales sont fortement soumis au changement climatique et à l’exacerbation des phénomènes extrêmes, comme la succession de plusieurs années de sécheresse. Le Cirad participe à des nombreux travaux en Afrique de l’Ouest sahélienne sur le pastoralisme en zones sèches. Au Burkina Faso, par exemple, le Cirad expérimente avec ses partenaires des gestions concertées et durables des territoires qui incorporent des activités d’élevage : gestion de la fumure, ressource fourragère de saison sèche, charte foncière pour une gestion durable des ressources agro- sylvo-pastorales... 

Les scientifiques s’accordent sur les avantages de la mobilité des animaux en élevage agropastoral face au changement climatique. Cependant, ces activités pastorales peuvent être remise en question face à des enjeux de sécurité, sanitaire, ou d’accès au foncier.  

Développer des politiques agricoles territorialisées

La transformation des systèmes agricoles et alimentaires face aux changements climatiques requiert aussi une mobilisation politique de grande ampleur, afin de développer des politiques d’adaptation ambitieuses et efficientes et d’accompagner les agriculteurs.  

« Il s’agit d’abord de financer de façon massive des politiques et des instruments d’adaptation de l’agriculture au changement climatique », comme l'explique Marie Hrabanski, chercheuse en sociologie politique au Cirad. A partir de plusieurs projets de recherche menés au Nord et au Sud, les scientifiques du Cirad identifient cinq stratégies politiques d’adaptation de l’agriculture :

  1. Financer le fonctionnement des structures publiques et parapubliques impliquées dans le développement de ces projets de transition ;
  2. Impliquer entièrement le secteur bancaire pour qu’il joue pleinement son rôle afin de ne financer que des projets adaptés ;
  3. Réhabiliter la planification et se servir de cet outil pour identifier, à l’échelle des différents territoires, des objectifs agricoles et de souveraineté alimentaire adaptés, ainsi que les orientations qui permettront d'y parvenir ; 
  4. Accompagner les agriculteurs en associant différents types d’initiatives et en développant à la fois des instruments contraignants (interdiction d’irriguer certaines plantes…), des instruments incitatifs (aides massives pour accompagner les agriculteurs vers des cultures adaptées…) et des instruments communicationnels (informations climatiques, mutualisation des bonnes pratiques…) ;
  5. Développer la participation citoyenne, les acteurs des territoires étant les mieux à même d’exprimer la complexité des enjeux, les attentes et les contraintes.