Plaidoyer 22 novembre 2023
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En Afrique subsaharienne, fertilisation minérale et agroécologie ne sont pas incompatibles
Les approches agroécologiques fondées par exemple sur l'utilisation de légumineuses et de fumier peuvent-elles, à elles seules, augmenter durablement la productivité des cultures annuelles en Afrique subsaharienne (ASS), sans nécessiter davantage d'engrais minéraux ?
La réponse est non, selon une équipe d’agronomes, qui publie une analyse approfondie de 150 articles et ouvrages scientifiques portant sur les cultures annuelles (maïs, sorgho, mil, riz, manioc…) et les légumineuses tropicales annuelles (niébé, arachide) ou pérennes (acacia, sesbania) en milieu tropical.
Ces publications regroupent 50 ans de connaissances sur les bilans nutritionnels en Afrique subsaharienne, la fixation biologique de l'azote atmosphérique par les légumineuses tropicales, la valorisation du fumier dans les systèmes de production agricole familiaux, ainsi que l'impact environnemental des engrais minéraux.
« Lorsqu’on regarde des conditions de climat et de contraintes physiques des sols comparables, les rendements du maïs - principale source de calories pour les populations - en Afrique subsaharienne sont trois à quatre fois plus faibles qu’ailleurs dans le monde. Cela est lié en grande partie à l’apport d’engrais minéral - azote, potassium – qui y est en moyenne quatre fois plus faible », précise Gatien Falconnier, chercheur au Cirad basé au Zimbabwe, premier auteur de l’article. « En moyenne, 13 kg d’azote par hectare et par an sont utilisés en Afrique subsaharienne, toutes cultures confondues, sachant que les agriculteurs les plus pauvres n’ont pas accès aux engrais azotés et ne les utilisent donc pas. Ce sont surtout les agro-industriels et les producteurs maraîchers qui accèdent à l'engrais », ajoute François Affholder, agronome au Cirad basé au Mozambique et co-auteur de l’article.
« Notre objectif n’est pas de produire comme en Europe ou Amérique du Nord, mais de produire plus et plus régulièrement selon les saisons et années, et donc d’accroître la durabilité économique de notre agriculture. Pour cela, il faut assurer un minimum de nutrition des plantes qui ont besoin d'éléments minéraux essentiels, pour que la photosynthèse, et donc leur croissance, soit efficace. Les sols sont généralement déficients en éléments minéraux en Afrique subsaharienne et les apports organiques largement insuffisants conduisant à des carences nutritionnelles des plantes. Cela constitue le principal facteur limitant de la production végétale, hors situation de sécheresse », explique Pauline Chivenge de l’Institut Africain pour la nutrition des plantes (APNI). « Les travaux de Christian Pieri ont démontré dès 1989 qu’il est possible de restaurer une fertilité élevée des sols africains grâce à une approche raisonnée des apports organiques et minéraux de nutriments », complète François Affholder.
L’article met en évidence cinq raisons pour lesquelles davantage d'engrais minéraux sont nécessaires en Afrique subsaharienne :
- L'agriculture est caractérisée par une utilisation très limitée d'engrais minéraux, des systèmes de production mixtes agriculture/élevage généralisés et une grande diversité de cultures, y compris les légumineuses. Les apports d’éléments minéraux aux cultures par les agriculteurs sont insuffisants et cela entraîne une baisse généralisée de la fertilité des sols par épuisement des stocks du sol.
- Les besoins en azote des cultures ne peuvent pas être satisfaits uniquement par la fixation biologique de l'azote par les légumineuses et le recyclage du fumier. Les légumineuses ne peuvent fixer l'azote de l'air que si la symbiose avec des bactéries du sol fonctionne correctement, ce qui nécessite une absorption par la plante de différents éléments minéraux. Ken Giller, de l'université de Wageningen, souligne que la capacité des légumineuses à capter l'azote de l'air grâce à leur symbiose avec les bactéries rhizobium est une opportunité fantastique pour les petits exploitants agricoles, « mais les quantités d'azote fixées sont très faibles, à moins que d'autres éléments nutritifs tels que le phosphore ne soient apportés par des engrais ».
- Le phosphore et le potassium sont souvent les premiers facteurs limitants du fonctionnement des plantes et des organismes vivants dont les bactéries symbiotiques : sans disponibilité suffisante de phosphore et de potassium dans le sol, pas de fixation d'azote. Ces éléments nutritifs, phosphore, potassium et micro-éléments, doivent être apportés par des engrais, car ils ne peuvent pas être apportés par les légumineuses qui puisent ces éléments directement dans le sol. Dans le cas du fumier, il s’agit uniquement d’un transfert des zones de pâturage vers les zones cultivées, ce qui appauvri progressivement les zones de pâturage.
- Les engrais minéraux, s'ils sont utilisés de manière appropriée, ont peu d'impact sur l'environnement. Les émissions de gaz à effet de serre lié à l’utilisation des engrais azotés peuvent être contrôlés grâce à une application raisonnée et efficiente. De plus, il est possible de produire les engrais minéraux de manière plus efficiente pour réduire l’impact de leur production sur les émissions de gaz à effet de serre – tout en sachant que cet impact est faible, de l’ordre de 1 % des émissions totales d’origine humaine.
- Réduire encore l’usage des engrais minéraux en ASS entraverait les gains de productivité et contribuerait directement à accroître l’insécurité alimentaire et indirectement à l'expansion agricole et à la déforestation. Produire pour une population qui va doubler d’ici 2050 risque de conduire à utiliser plus de terres agricoles. Une stratégie extensive nuit ainsi à la biodiversité et contribue à augmenter les émissions de gaz à effet de serre, à l’inverse d’une stratégie d’intensification agroécologique, combinée à une utilisation efficiente et modérée d’engrais minéraux.
« Si on prend en compte les facteurs de production d’ordre biophysique comme le climat et le sol, les pénuries de terres et de main-d'œuvre agricole, il est impossible d’atteindre un niveau de production satisfaisant, en fertilisant uniquement les sols avec du fumier et le recours aux légumineuses », conclut Leonard Rusinamhodzi, chercheur agronome à l’Institut international d’agriculture tropicale au Ghana.
Néanmoins, « les principes agroécologiques liés directement à l’amélioration de la fertilité des sols, comme le recyclage des éléments minéraux et organiques, l'efficience et la diversité des cultures, avec par exemple les pratiques d’agroforesterie et d’associations entre céréales et légumineuses, demeurent essentiels pour améliorer la santé des sols. La fertilité des sols repose sur sa richesse en matière organique, apportée par la croissance des végétaux qui détermine la biomasse qui revient au sol sous forme de racines et de résidus végétaux. L’utilisation efficiente des engrais minéraux permet d’enclencher un cercle vertueux. Ces nutriments sont cruciaux pour la durabilité de la productivité agricole », souligne Gatien Falconnier.
Les chercheurs plaident donc en faveur d'une position nuancée qui reconnaît le besoin d’augmenter l’usage des engrais minéraux en Afrique subsaharienne, de façon modérée et basée sur des pratiques efficaces, en combinaison avec l'utilisation de pratiques agroécologiques et un soutien politique adéquat. Cette approche équilibrée vise à assurer une sécurité alimentaire durable tout en préservant les écosystèmes et en luttant contre la dégradation des sols.
Référence
Falconnier, G. N., Cardinael, R., Corbeels, M., Baudron, F., Chivenge, P., Couëdel, A., Ripoche, A., Affholder, F., Naudin, K., Benaillon, E., Rusinamhodzi, L., Leroux, L., Vanlauwe, B., & Giller, K. E. (2023). The input reduction principle of agroecology is wrong when it comes to mineral fertilizer use in sub-Saharan Africa. Outlook on Agriculture, 0(0). https://doi.org/10.1177/00307270231199795
* Cirad, Centre international d’amélioration du maïs et du blé (CIMMYT), Institut international d’agriculture tropicale (IITA), Université de Wageningen et Institut africain pour la nutrition des plantes (APNI)