Filière canne à sucre © R. Carayol

Canne à sucre

La canne à sucre est cultivée dans plus de cent pays par des agriculteurs indépendants et des entreprises agro-industrielles. Si les marchés du sucre et du rhum ont toujours été l’apanage de cette culture, elle intéresse de plus en plus les industriels du médicament, de la chimie et de l’énergie. Il va falloir répondre à une demande croissante et plus diversifiée. Aussi, le Cirad et ses partenaires accompagnent l'évolution et la diversification des filières de la canne à sucre.

La canne à sucre est une herbe géante tropicale de la famille des graminées, dont la tige a la particularité de stocker un sucre cristallisable, le saccharose. La transformation industrielle de ses tiges en sucre et en rhum est sa principale utilisation. Mais l’imposante masse végétale de cette plante est également convertible en énergie — combustible, charbon, biocarburant — et constitue aussi un véritable réservoir de molécules pour l’industrie chimique.

La canne à sucre, une herbe géante gorgée de sucre

Canne à sucre © Cirad

La canne à sucre est originaire de Papouasie-Nouvelle-Guinée. C’est une plante de la famille des graminées. Elle appartient au genre botanique Saccharum, qui comprend trois espèces sucrées ― S. officinarum, dite « canne noble », S. sinense et S. barberi ― et trois espèces non sucrées ― S. robustum, S. spontaneum et S. edule. A partir de 1880, les agronomes ont commencé à créer des hybrides entre la canne noble et les autres espèces. Les variétés modernes sont toutes issues de ces croisements.

Un plant de canne est une touffe de 5 à 20 tiges dressées, les « talles », de 2 à 5 mètres de haut et 2 à 4 centimètres de diamètre. Chaque tige est une succession de nœuds et d’entre-nœuds : chaque nœud porte un bourgeon et un anneau d’ébauches de racines. Sous l’écorce cireuse et dure, la moelle stocke le sucre. Ces tiges, tronçonnées en boutures de quelques nœuds, servent à replanter les champs tous les 5 à 10 ans. Les tiges sont également très riches en cellulose et en lignine, matières premières d’innombrables utilisations en chimie verte, carburant, énergie, matériaux…

Les feuilles sont nombreuses, longues et étroites. Cette grande surface foliaire permet de fabriquer, par le processus de photosynthèse, la matière végétale dont les premières molécules sont les sucres. Les feuilles sont aussi un bon fourrage pour l’élevage.

Canne a sucre  © Cirad

Canne à sucre © Cirad

Les racines sont denses et profondes. C’est pourquoi la canne à sucre protège bien les sols, notamment contre l’érosion due aux fortes pluies et aux cyclones.

L’inflorescence, ou flèche, est une panicule comprenant une multitude de fleurs qui donnent de minuscules graines, appelées « fuzz ».

Comme le maïs et le sorgho, la canne à sucre fait partie des plantes dites en « C4 ». Leur fonctionnement spécial leur permet d’absorber beaucoup plus de dioxyde de carbone (CO2) et de lumière du soleil que les autres plantes. En échange, elles fournissent aussi davantage d’oxygène et elles produisent une biomasse importante. Pour la canne à sucre, ce fonctionnement hyperactif aboutit à une végétation exubérante et à une grande richesse en sucre.

De la Papouasie-Nouvelle-Guinée à la Méditerranée
La canne à sucre est originaire de l’île de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Elle a suivi les migrations des habitants des régions de l’océan Pacifique pour atteindre l’Océanie, le Sud-Est asiatique, la Chine du Sud et la vallée de l’Indus en Inde. Mais c’est en Inde que toute l’histoire du sucre a commencé… On pense que les Indiens savaient extraire le sucre de canne et fabriquer des liqueurs alcooliques à partir du jus de canne il y a déjà 5000 ans. Les caravaniers sillonnaient l’Orient et l’Asie Mineure pour vendre le sucre sous la forme de pains cristallisés : c’était à la fois une épice, un produit de luxe et un médicament.
Au VIe siècle avant notre ère, les Perses envahissent l’Inde et en rapportent la canne à sucre et les procédés d’extraction du sucre. Ils cultivent alors la canne en Mésopotamie et gardent le secret de l’extraction pendant plus de 1000 ans. Les Arabes découvrent cette production en livrant bataille aux Perses près de Bagdad, en 637 après notre ère. Ils développent avec succès la culture de la canne autour de la Méditerranée, jusqu’en Andalousie, grâce à leur maîtrise des pratiques agricoles, notamment de l’irrigation. Alors que la civilisation arabo-andalouse et méditerranéenne devient experte en sucre, les autres régions d’Europe le considèrent toujours comme une rareté. Il faut attendre les Croisades, à partir du XIIe siècle, pour que ces régions européennes s’y intéressent.

Dans les champs de canne à sucre

Champ de canne a sucre © Cirad

Champs de canne à sucre © Cirad

La canne à sucre a besoin de soleil, d’eau et de chaleur. Là où l’eau manque, les champs sont irrigués, comme en Australie, dans les pays du sud du Sahara, dans l’ouest de l’île de la Réunion.

C’est une plante vivace, qui repousse après chaque récolte. Après cinq ou six « repousses », les vieux plants sont arrachés et une « canne vierge » est replantée. La canne à sucre se multiplie par bouturage de portions de tiges que l’on enterre horizontalement.

Au fil de la croissance, le sucre s’accumule dans les tiges jusqu’à un maximum appelé « maturité » : c’est le moment optimal pour la récolte. La récolte consiste à couper les tiges en laissant la partie basse, la « souche », pour permettre à la plante de repousser. La coupe se fait traditionnellement à la main, à l’aide d’une machette, ce qui nécessite une main-d’œuvre importante. C’est une opération difficile, car la tige de canne est dure, les feuilles sont coupantes, la chaleur est forte et les insectes pullulent ! C’est pourquoi la coupe mécanique est de plus en plus utilisée. Un homme peut couper 3 à 5 tonnes de tiges par jour, alors qu’une coupeuse-tronçonneuse peut récolter jusqu’à 60 tonnes de tiges par heure !

Coupeur de canne à sucre © Cirad

Coupeur de canne à sucre © Cirad

Sous des climats très chauds, comme en Louisiane ou en Indonésie, on peut récolter 9 à 12 mois après la plantation ou la repousse, alors que dans des régions moins chaudes, comme les hauteurs des îles Hawaï ou l’Afrique du Sud, il faut compter 18 à 24 mois.

Une fois coupées, les tiges doivent être apportées à l’usine dans les deux jours, car la teneur en sucre baisse rapidement. La récolte est donc une étape capitale. Elle demande beaucoup d’organisation dans l’approvisionnement des usines qui élaborent le sucre, le rhum, le carburant éthanol et bien d’autres produits.

Dans certaines régions, c’est par exemple le cas de la Réunion, la culture de la canne à sucre joue un rôle dans l’aménagement du territoire et contribue à la qualité du paysage et à l’attractivité touristique. De plus, elle a de nombreux atouts environnementaux : elle est efficace contre l’érosion ; elle favorise l’autonomie énergétique (la plante entière ou certains organes ou déchets de sucrerie sont utilisés pour produire de l’électricité et des biocarburants) ; elle peut être largement fertilisée par le recyclage de toutes sortes de matières organiques.

Une plante très convoitée

Feuille de canne à sucre © Cirad

Feuille de canne à sucre © Cirad

La canne à sucre est tellement exubérante que de nombreux insectes l’apprécient : les chenilles foreuses, qui creusent les tiges ; les chenilles défoliatrices, qui dévorent les feuilles ; les vers blancs et les nématodes, qui s’attaquent aux racines... Comme toutes les plantes, la canne à sucre peut avoir des maladies, causées par des bactéries, des champignons ou des virus.

Après six mois de culture, la végétation est si dense qu’il est impossible de pénétrer dans le champ ou d’employer des pesticides. C’est pourquoi les sélectionneurs ont toujours cherché à créer des cannes à sucre résistantes ou tolérantes aux ravageurs et aux maladies. De leur côté, les entomologistes ont élaboré des techniques de lutte biologique, qui consiste à utiliser des insectes ou des champignons ennemis naturels des ravageurs.

La maladie de Fidji, due à un virus transmis par un petit insecte piqueur-suceur (Perkinsiella saccharicida) a fait trembler les pays producteurs jusque dans les années 1960. Elle provoque des galles allongées à la face inférieure des feuilles : les feuilles durcissent et sèchent, la plante s’arrête de croître et meurt. La création des quarantaines dans les centres de recherche a permis de réduire fortement la propagation de cette maladie.

A la Réunion, contre un hanneton, on traite les sols avec des granulés contenant les spores de Beauveria brongniartii, un parasite de ses larves. On attrape aussi le hanneton que l’on trempe dans une solution de spores : lorsqu’il s’envole, il les dissémine dans les champs de canne et il contamine ses congénères par contact.

On utilise aussi une minuscule guêpe, appelée trichogramme, qui pond ses œufs dans un papillon dont les chenilles creusent les tiges de canne. Pour cela, on lâche dans les champs plusieurs dizaines de milliers de trichogrammes par hectare.

De la canne au sucre

Canne à sucre © Cirad

L’extraction du saccharose, le sucre contenu dans les tiges, consiste à l’isoler des autres constituants de la plante. A l’entrée de l’usine, chaque chargement de tiges de canne est pesé et la richesse en sucre est analysée. Les tiges sont ensuite pulvérisées sous la forme de fibres grossières par un défibreur à marteaux. Pour extraire le jus, les fibres sont simultanément arrosées à l’eau chaude et pressées dans un moulin à cylindres. Le résidu fibreux de l’extraction du jus est la bagasse, qui peut être utilisée comme combustible dans des chaudières pour la production d’électricité.

Récolte Canne à sucre © Cirad

Récolte canne à sucre © Cirad

Le jus est chauffé, décanté et filtré après ajout de chaux, puis concentré par chauffage. On obtient un « sirop » purifié de ses impuretés « non sucrées », les écumes, utilisées comme engrais. Chauffé dans un cuiseur, le sirop se transforme en masse cuite contenant un liquide sirupeux, la liqueur mère, et les cristaux de sucre. Cette masse cuite va encore subir deux cuissons alternées avec des périodes de malaxage et de centrifugation pour obtenir le maximum de cristaux de saccharose. Ces cristaux sont ensuite évacués vers les séchoirs. Les premiers sucres obtenus sont des sucres roux de différentes qualités. Le sucre blanc provient du raffinage du sucre roux refondu, décoloré et filtré avant d’être cristallisé et séché. Les sucres sont ensuite stockés dans des silos étanches. Le sucre blanc est la forme préférée des consommateurs et des industriels.

Le résidu de cristallisation est la mélasse, liquide sucré riche en substances minérales et organiques, qui peut être transférée en distillerie pour la fabrication du rhum.

La fabrique du rhum

Depuis des millénaires, la culture de la canne à sucre rime avec boissons fermentées. Le rhum tel que nous le connaissons est né dans la Caraïbe et au Brésil au XVIIe siècle. Les rhums traditionnels sont obtenus par fermentation de la mélasse, ce sont les « rhums industriels », ou par fermentation du jus de canne, ce sont alors les « rhums agricoles ». Le moût sucré est issu de la dilution de la mélasse ou du tamisage du jus de canne.

Les levures de fermentation sont multipliées dans une cuve mère puis transférées dans de grandes cuves où elles transforment le sucre du moût en alcool (l’éthanol). C’est à cette étape que les arômes du rhum apparaissent. On obtient un vin de canne de 8 à 10 ° d’alcool. La fermentation varie de 12 à 36 heures pour les rhums légers, jusqu’à 10 jours pour les rhums grand arôme. En Guadeloupe, à partir d’une tonne de tiges de canne, on obtient 85 à 120 litres de rhum agricole à 55 °.

La fermentation achevée, le vin de canne passe dans les colonnes de distillation, où l’alcool est séparé de l’eau par chauffage. Au sommet des colonnes, les vapeurs d’alcool sont refroidies et récupérées dans des condenseurs. L’art du distillateur consiste à conserver les molécules aromatiques les plus volatiles, appelées également « esprit » du rhum.

Le résidu de la distillation, la vinasse, est un liquide polluant. La vinasse peut être recyclée comme engrais ou comme source d’énergie. A partir de 30 kilos de mélasse par tonne de tiges, on obtient environ 110 litres de vinasse.

L’alcool parachève ses arômes pendant les étapes de maturation ou de vieillissement. Additionné d’eau de source jusqu’à l’obtention du degré voulu, l’alcool est brassé quelques semaines dans des foudres de stockage en acier inoxydable : les rhums blancs sont prêts.

Pour les rhums de moins de 3 ans, la maturation se continue dans des foudres en bois. Les rhums vieux se bonifient pendant 3 à 10 ans dans des fûts en chêne. Le degré d’alcool de la plupart des rhums varie de 37,5 à 62 °.

Bagasse, mélasse, éthanol…

Transformation canne à sucre © Cirad

Transformation canne à sucre © Cirad

La bagasse, composée essentiellement de cellulose, d’hémicellulose et de lignine, est une source d’énergie, sous forme de combustibles, et de fourrage pour les animaux. Elle est aussi la matière première de papiers, cartons, isolants thermiques, films, textiles. La mélasse est utilisée pour l’alimentation des animaux, la culture des levures et la production d’acides.

Le saccharose est transformé par des procédés chimiques en éthers et en esters, qui sont à la base de nombreux produits tels que plastifiants, adhésifs, cosmétiques, vernis, etc.

L’éthanol obtenu après fermentation du jus ou de la mélasse peut être utilisé pur comme biocarburant. Au Brésil, plus de la moitié de la récolte de canne à sucre est destinée à l’éthanol carburant, et la plupart des voitures roulent à l’éthanol. Des variétés de canne y ont été sélectionnées spécifiquement pour la production d’éthanol. Pour une production à plus grande échelle, l’idéal serait d’utiliser la plante entière : des recherches sont en cours pour produire de l’éthanol directement à partir de la cellulose.