L’agroécologie pour la diversité alimentaire des populations rurales au Laos

Science en action 20 mars 2025
Dans les zones rurales du Laos, 30 % des enfants sont en situation de malnutrition chronique. En cause : une diversité alimentaire souvent faible et liée à un accès limité aux légumes, fruits, graines ou légumineuses. Pour ne rien arranger, le prix des denrées alimentaires a doublé au Laos depuis la crise du COVID-19. Dans ce contexte, le projet NSAE développe des solutions en agroécologie pour améliorer l’accès à une alimentation diversifiée avec les habitants de quatre villages situés au Nord du pays.
Photo d’agricultrice du village de Ban Na, dans le cadre de l’activité « Photovoice » organisée par le projet NSAE © Mivang et Nousong, projet NSAE, 2025
Photo d’agricultrice du village de Ban Na, dans le cadre de l’activité « Photovoice » organisée par le projet NSAE © Mivang et Nousong, projet NSAE, 2025

Photo d’agricultrice du village de Ban Na au Laos, dans le cadre de l’activité « Photovoice » organisée par le projet NSAE © Mivang et Nousong, projet NSAE, 2025

L’essentiel
  • Dans plusieurs zones rurales et reculées du Laos, l’accès à des produits alimentaires diversifiés et sains est difficile. Les populations souffrent de carences, notamment en vitamines. Les enfants sont particulièrement touchés, avec des repas qui se limitent parfois à du riz et du sucre. 
  • L’agroécologie présente de nombreuses opportunités pour ces villages, en améliorant la diversité dans les champs, mais aussi en apportant des solutions pour réorganiser le travail agricole.
  • Dans le cadre du projet NSAE, les habitants des villages réfléchissent eux-mêmes aux innovations à apporter dans leur quotidien. Les femmes sont au cœur des discussions, car ce sont elles qui ont en charge la diversité alimentaire de leur foyer.

Les régimes alimentaires des ménages laotiens sont principalement composés de riz, de viande, de légumes-feuilles et de quelques légumes. Les aliments riches en vitamine A manquent souvent à l’appel, et plus généralement les fruits, les légumineuses ainsi que les oléagineux. 

Dans ce contexte, le projet NSAE (Nutrition Sensitive Agro Ecology) vise à améliorer la diversité alimentaire des populations rurales grâce à des pratiques agroécologiques, en suivant une approche résolument participative. L’objectif est que les problèmes comme les solutions émanent directement des villageois et des villageoises, afin d’assurer des résultats pertinents et des actions adaptées aux réalités de terrain.

Les scientifiques s’appuient sur des outils inclusifs, comme des jeux, des ateliers de co-constructions, de la cartographie et de la photographie participative (Photovoice). Ces méthodes permettent de valoriser les savoirs des habitants, de mieux comprendre leurs perceptions, leurs pratiques et de les associer ainsi pleinement à la construction des connaissances autour de leur alimentation. 

Pour Photovoice, des villageois ont été formés à la photographie, afin qu’ils représentent eux-mêmes les problèmes alimentaires dans leur quotidien. Chaque cliché est accompagné de leur propre récit. Les défis identifiés ont tourné autour de trois grands thèmes : la nutrition et le soin des enfants, la production, et l’accès au marché et la transformation.

Ce travail a donné lieu à des expositions dans les quatre villages enquêtés par le projet, tous situés dans la province de Xiengkhouang, au Nord-Est du pays. Des discussions et des ateliers s’en sont suivis avec les habitants, afin d’imaginer les solutions à mettre en place. 

Les quatre villages sélectionnés dans le cadre du projet se situent dans le nord du Laos © Projet NSAE, 2025

Les quatre villages sélectionnés dans le cadre du projet se situent dans le nord du Laos © Projet NSAE, 2025

Ces récits visuels, à la fois personnels et collectifs, permettent de documenter ces enjeux et d’identifier des solutions adaptées, construites avec et pour les communautés.

Quand le repas devient un défi quotidien

Dans les villages du projet, les familles vivent au rythme d’une alimentation monotone, où les choix se résument souvent à ce qui est disponible.

repas quotidien Laos NSAE

« Dans l'assiette, il y a généralement du riz, de la sauce, des légumes et un bol d'eau. Parfois, on a de la viande quand on en trouve », expliquent deux agriculteurs du village de Ban Phouseo © Dang et Chua Vang, projet NSAE, 2025

Les repas quotidiens des enfants se limitent parfois à du riz saupoudré de sucre, faute d’ingrédients plus variés et nutritifs. Dans de nombreuses familles, les fruits et légumes se font rares. Pour Pai Moua, agricultrice du village de Ban Na, la situation est préoccupante : « le docteur m’a dit que mon neveu manquait de vitamines, car il ne mange pas assez de fruits. Nous, les adultes, manquons aussi de vitamines ».

Manque d'ingrédients pour cuisiner, village de Ban Phouseo © Chai et La, projet NSAE, 2025

« Manque d'ingrédients pour cuisiner », village de Ban Phouseo © Chai et La, projet NSAE, 2025

Les femmes portent une responsabilité centrale dans la gestion du foyer. Elles assument à la fois les travaux domestiques, de soin et dans les champs. Cette charge multiple structure la vie des familles et influence directement leur alimentation, d’autant plus dans un contexte où l’accès à l’alimentation reste contraint.

Avec autant de responsabilités, les femmes disposent de peu de temps et d’énergie pour préparer les repas après des journées de travail éprouvantes.

« C’est difficile de m’occuper de mon enfant et de cuisiner en même temps. Comme je n’ai pas assez de temps pour cuisiner et manger, je me fatigue vite et je manque de force pour travailler. Quand je rentre chez moi, je suis tellement fatiguée que je dors. Mon enfant dort avec moi », témoigne La, jeune agricultrice du village de Ban Phuseo, quartier de Phoukhood.

La, agricultrice du village de Ban Phuseo © Chai et La, projet NSAE, 2025

« Je dois m'occuper de mon enfant et je ne peux pas passer trop de temps à cuisiner », confie La, agricultrice du village de Ban Phuseo © Chai et La, projet NSAE, 2025

En plus de leur charge domestique, les femmes travaillent dans les rizières pour assurer la subsistance de leur famille. Pendant ce temps, les jeunes enfants passent des heures sans stimulation, souvent installés à l’ombre d’un arbre ou portés par leur mère. Ils risquent aussi d’être exposés aux pesticides et autres produits chimiques utilisés dans les cultures.

Mivang et Nousong, projet NSAE, 2025

« C’est difficile pour moi de travailler dans la rizière parce que personne ne m’aide à m’occuper de mon enfant » © Mivang et Nousong, projet NSAE, 2025

Les villageois et les chercheurs du projet NSAE ont travaillé ensemble pour développer des solutions répondant aux enjeux alimentaires et aux réalités locales. Parmi celles-ci, les interventions sur la nutrition incluent :

  • La diffusion d’informations nutritionnelles simples et adaptées aux ressources locales. Cette diffusion s’effectue via des affiches et vidéos créées par les villageois et villageoises.
  • Des ateliers de cuisine donnant lieu à une compilation de recettes pour les jeunes enfants, dont une recette de farine infantile enrichie. Ces plats sont testés lors de séances de préparation de repas équilibrés, simples, rapides et à base de produits locaux et disponibles.
  • La collaboration avec les centres de santé locaux pour la mise en place d’un relais des recommandations nutritionnelles. Ces relais servent à renforcer les actions de sensibilisation menées auprès des familles, notamment au moment de l’accouchement ou de visites médicales.
  • Le projet d’ouverture d’une crèche au village de Phouseo pour libérer du temps aux femmes avant les six ans de l’enfant, âge légal d’entrée à l’école.
Crèche LAOS NSAE

« S'il y avait une crèche, je pourrais y envoyer mon enfant. Ce serait plus facile pour moi », partage La, agricultrice du village de Ban Phouseo © Chai et La, projet NSAE, 2025

Produire plus pour mieux se nourrir

Les familles peinent à diversifier leur alimentation en raison du climat montagneux, des pénuries d’eau en saison sèche, des ravageurs et du manque de connaissances sur les techniques de cultures alternatives. En particulier, la consommation de fruits est tributaire de la production car ils sont chers et très peu disponibles dans les villages. Dans le village de Ban Na, Sua Vue, un agriculteur, témoigne des nombreuses difficultés qu'il rencontre pour entretenir son jardin : « tout le village manque d'eau pour arroser les jardins. Certains arbres fruitiers plantés dans notre village ne sont pas adaptés aux conditions climatiques ».

fruitiers parasités LAOS NSAE

« Cet oranger est infecté par une maladie. L'arbre peut pousser, mais ne produit pas de fruits », explique Sua Vue, agriculteur au village de Ban Na © Sua Vue et Pai Moua, projet NSAE, 2025

Pour surmonter ces défis, les agriculteurs et agricultrices, en collaboration avec les agronomes du projet, vont expérimenter des techniques agroécologiques pour diversifier leurs cultures. Les cultures intercalées, combinant légumineuses et céréales, enrichissent les terres tout en renforçant la production alimentaire. En parallèle, le paillage aide à conserver l’humidité et prolonger la saison de culture, tandis que l’introduction de variétés de fruitiers plus adaptées aux conditions locales vise à limiter les pertes. Ces techniques agroécologiques sont cruciales car l’accès aux formations aux pratiques durables pour les agriculteurs est très limité.

chef de village étudie LAOS NSAE

« Mon mari [...] étudie lui-même les techniques de culture des arbres fruitiers », partage Mme Sua Vue © Sua Vue et Pai Moua, projet NSAE, 2025

Cependant, pour garantir la disponibilité de ces aliments tout au long de l’année, il faut pouvoir améliorer le transport et la distribution, des défis que les agriculteurs commencent désormais à relever.

Des marchés éloignés et difficiles d’accès

Le transport et l’accès au marché ne sont pas une évidence dans le village de Ban Na. Mivang et Nousong expliquent qu'il n'y a pas de stations-service et que « le marché est loin, à une heure et demie en moto ou à six heures de marche. Nous ne pouvons donc pas acheter et manger des fruits régulièrement ». 

A Ban Phouseo, M. Dang Vang et Mme Chua Vang rencontrent les mêmes difficultés : « la route qui mène de mon village au marché est difficile… boueuse pendant la saison des pluies et pleine de pierres pendant la saison sèche ». Une fois arrivés au marché, de nombreux villageois peinent à acheter les aliments faute de moyens. « Nous ne gagnons pas assez. La famille est nombreuse et il n’y a plus d’argent pour acheter de la viande », explique le couple.

Ces difficultés empêchent également les agriculteurs de vendre leurs récoltes. « Nous n’avons pas de voiture pour transporter le riz au marché », expliquent-ils, soulignant que cela les rend dépendants et leur confère peu de pouvoir de négociation face aux acheteurs qui viennent acheter le riz en gros dans le village. 

routes boueuses marchés loin LAOS NSAE

« Les marchés où les gens aiment aller sont : 1. Marché de Khone (à 30 km), 2. Marché de Phonsavanh (à 60 km) », détaille Cha Po Vang © Yer Thor et Cha Po Vang, projet NSAE, 2025

La cueillette de la nourriture sauvage est également dangereuse en raison des munitions non explosées (UXO), vestiges de la guerre du Vietnam. « Tous les villageois ont peur des munitions non explosées lorsqu’ils creusent la terre pour récolter des pousses de bambou, des taros ou des plantes médicinales naturelles », témoignent Yer Thor et Cha Po Vang, agriculteurs du village de Ban Na. Cha Po raconte : « il y a quelques années, mon frère a essayé d'attraper une poule en bordure de forêt et il est mort à cause d'une explosion ».

munition non explosée LAOS NSAE

« Le risque de chercher de la nourriture dans la forêt en raison des munitions non explosées », village de Ban Na © Yer Thor et Cha Po Vang, projet NSAE, 2025

Pour réduire la dépendance aux marchés, certains villages veulent organiser des groupes d'achat collectif dans le cadre du projet, pour permettre aux familles d'acheter en gros des denrées alimentaires auprès de marchés plus éloignés.

Toutes ces solutions sont complémentaires. Un meilleur accès aux marchés renforce l'impact des efforts de production locale, tandis que des techniques agroécologiques garantissent que des aliments plus nutritifs et diversifiés arrivent dans les assiettes des familles. Avec l’appui du projet NSAE, les villageois ont analysé leurs défis, identifié des solutions adaptées et renforcé leurs capacités pour assurer leur mise en œuvre. En s'attaquant aux défis alimentaires de manière globale, incluant la production, l’approvisionnement et la consommation, ils acquièrent un plus grand contrôle sur leurs systèmes alimentaires, créant des solutions pertinentes et durables.

Le projet NSAE s’inscrit dans les travaux de deux dispositifs de recherche et de formation en partenariat en Asie du Sud-Est, Malica et ASEA .