La course aux minerais : le prix caché de la transition énergétique

Plaidoyer 26 août 2024
Panneaux solaires, éoliennes, batteries électriques… Les efforts pour transformer le secteur de l’énergie se multiplient, partout dans le monde. Le passage des énergies fossiles à des énergies renouvelables serait la promesse d’une économie verte et décarbonée. Sauf que cette transition, gourmande en minerais, engendre un sursaut d’appétit foncier chez le secteur minier. Lithium, cobalt, nickel ou encore cuivre : l’ouverture de nouvelles mines, essentiellement dans des pays du Sud, pose de nombreuses questions. D’ordre écologique bien sûr, mais aussi d’ordre social, lorsque les populations locales ne sont pas consultées sur ces transactions foncières et voient ainsi leur droit d’accès à la terre révoqué.
Mine au Suriname © ILC
Mine au Suriname © ILC

Mine au Suriname © ILC

Rien que dans l’Union européenne, dont la Commission vise la neutralité carbone d’ici 2050, la demande en minerais pour la transition énergétique devrait augmenter de 1,5 à 7 fois d'ici 2030. Ces chiffres de l’Agence internationale de l’énergie illustrent une tendance globale qui vient relancer le secteur minier, à la recherche de nouvelles terres de production. 

Or, « beaucoup de mines s’ouvrent sur des terres sujettes à des insécurités foncières et alimentaires », observe Jérémy Bourgoin, géographe au Cirad et à l’International land coalition (ILC). Le scientifique vient de co-publier un nouvel article dans World Development Perspectives, qui fait le point sur l’état actuel du réseau minier international à travers l’achat des terres.

Résultat : la majorité des investisseurs proviennent de pays du « Nord » comme le Canada, les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Union européenne… La plupart des acquisitions foncières sont quant à elles situées en Afrique, en Amérique latine et en Asie du Sud-Est. Toutes ces données, d’ordre public, ont été réunies dans le cadre de l’Initiative Land Matrix, qui documentent les investissements fonciers à grande échelle au niveau mondial.

Le réseau commercial des terres minières, où les pays sont colorés en fonction de leur rôle sur le marché © Bourgoin J. et al, 2024, World Development Perspectives

 Le réseau commercial des terres minières, où les pays sont colorés en fonction de leur rôle sur le marché : uniquement investisseurs (rouge), uniquement cibles (magenta), pays à double rôle (cyan), double rôle uniquement pour les transactions internes (jaune) © Bourgoin J. et al, 2024, World Development Perspectives

Déforestation, exclusion des populations locales, terres arables converties pour l’énergie…

Dans de nombreux cas, les terres acquises ne sont pas exemptes d’activités. Pastoralisme, agriculture, cueillette ou chasse : ces zones sont parfois cruciales pour la sécurité alimentaire des populations. À cela s’ajoutent le manque de consultation et l’exclusion de communautés locales, qui mènent à des contestations. Et les coûts environnementaux ne sont pas en reste : certains investissements miniers sont situés dans des zones riches en biodiversité. Les activités extractives engendrent aussi souvent une pollution des terres arables avoisinantes. 

« Selon toutes les projections, la demande mondiale en minerais tels que le cobalt ou le nickel va encore augmenter considérablement, détaille Jérémy Bourgoin. Les capacités de recyclage de ces matériaux sont encore trop limitées. On doit donc se poser la question, dès maintenant, des impacts environnementaux et sociaux de l’ouverture de nouvelles mines. La transition énergétique de certains pays ne doit pas se faire aux dépens des conditions de vie des populations ailleurs dans le monde. »

« Dans cette course aux minerais, on en oublie parfois les contextes dans lesquels sont achetées ces terres, ajoute Roberto Interdonato, expert en science des données au Cirad et co-auteur de l’étude. Aujourd’hui, la majorité des conflits relatifs aux acquisitions foncières à grande échelle sont des conflits miniers. »

« Transition » ou « addition » énergétique ?

Les scientifiques appellent donc à revoir le discours dominant sur la transition énergétique : les matériaux nécessaires aux technologies d’énergie renouvelable ne viennent pas de nulle part. « La nature actuelle des transactions foncières fait que la terre est devenue un bien financier, abstrait et déconnecté de sa propre géographie, estime Jérémy Bourgoin. Le problème, c’est que ça vient invisibiliser les coûts réels de cette transition. » 

Prendre en compte l’ensemble des impacts liés à la transition énergétique impliquerait peut-être de revoir notre modèle de société, indique Jérémy Bourgoin. « Le mot même de « transition » pose question, puisque jusqu’à aujourd’hui, on a plutôt observé une addition des sources d’énergie. Le charbon n’a toujours pas disparu. On y a ajouté le pétrole, le nucléaire… Si on décide d’aller vers une addition, plutôt qu’une substitution, on se doit d’être conscient des coûts. » 

Référence

Jérémy Bourgoin, Roberto Interdonato, Quentin Grislain, Matteo Zignani, Sabrina Gaito. 2024. Mining resources, the inconvenient truth of the “ecological” transition. World Development Perspectives. Volume 35.