78 % des transactions foncières en Afrique en inadéquation avec les principes internationaux

Résultats & impact 16 mai 2022
En dépit des avancées politiques aux niveaux international et national, les pratiques sur le terrain d’investissement et de gouvernance foncière changent peu. L’initiative Land Matrix publie le 16 mai une nouvelle étude sur les investissements fonciers en Afrique, indiquant leur très faible conformité avec les principes dictés par les Directives volontaires sur les régimes fonciers, pourtant adoptées par la communauté internationale en 2012.
Terres d'élevage pastoral au Sahel © S. Taugourdeau, Cirad
Terres d'élevage pastoral au Sahel © S. Taugourdeau, Cirad

Terres d'élevage pastoral au Sahel © S. Taugourdeau, Cirad

1,7 milliards de dollars : c’est le montant alloué lors de la COP26 à Glasgow au soutien du rôle des peuples autochtones et des communautés locales dans la prévention contre la déforestation. Cette somme, pourtant, est en grande partie promise par les gouvernements et bailleurs de fonds privés des pays d’où proviennent nombre des investisseurs pointés par le nouveau rapport de l’initiative Land Matrix. 

« Ces engagements internationaux et ces changements de politique n’ont aucun sens s’ils ne conduisent pas à un changement effectif, durable et juste, des pratiques d’investissements sur le terrain », argumente Ward Anseeuw, chercheur au Cirad accueilli à l’International Land Coalition et co-auteur de l’étude.

20 % des transactions évaluées ne respectent aucun des principes des Directives volontaires

Sur un total de 540 acquisitions foncières évaluées sur le sol africain, 78 % présentent des niveaux insatisfaisants d’adoption et de mise en œuvre des Directives volontaires sur les régimes fonciers. 20 % n’en respectent aucune. 87 % des pays présentent des résultats insatisfaisants concernant la mise en œuvre des Directives volontaires.

Dans ce contexte de non-respect des législations nationales relatives au foncier, les auteurs s’inquiètent : « les processus consultatifs lors de ces investissements sont faibles ou inexistants, souligne Ward Anseeuw. Cela conduit non seulement à l'absence de mise en œuvre des garanties environnementales, mais aussi à des expropriations illégales et à une application minimale des mesures de compensation convenues par la loi ». Le rapport met également en lumière le manque de considération pour les droits d'occupation légitimes, notamment ceux des communautés locales et des peuples autochtones, et à un manque de respect des droits humains. 

Un manque de transparence que ne pallient pas dix ans de collecte de données

Le rapport s’appuie sur dix années de collecte et analyse de données dans le monde entier. Malgré cet effort, seuls 23 pays ont pu être évalués. 190 des 730 transactions foncières ensuite rassemblées ne présentaient pas de données suffisantes et ont dû être écartées. 

Jérémy Bourgoin, chercheur au Cirad et co-auteur de l’étude, précise : « Pour l’Afrique, la plupart des pays et des transactions foncières ne couvrent qu'entre 5 et 20 % des données nécessaires à l'évaluation, qui correspond aux cadres officiels des Directives volontaires : les questions foncières, les droits humains et les questions environnementales. Nous faisons sans cesse face à un manque de transparence autour des investissements et des investisseurs ».

Accélérer la réforme foncière et améliorer le suivi des investissements

En février 2022, la Commission européenne a adopté une proposition longtemps attendue pour une directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, visant à prévenir et à remédier aux violations des droits humains et de l'environnement. Le texte représente une opportunité historique de renforcer la protection des travailleurs, des communautés affectées et de l’environnement. 

« En l'état actuel, le projet ne répond pas complètement aux attentes, prévient Ward Anseeuw. Il s'appuie sur les codes de conduite des entreprises et les clauses contractuelles entre les entreprises et les fournisseurs, et donc risque d’être appliqué dans l’obscurité totale. »

A la lumière des résultats de son étude, l’initiative Land Matrix recommande plutôt d'accélérer la réforme foncière au niveau des pays, et d'imposer une responsabilité plus stricte et plus contraignante aux entreprises et aux pays investisseurs. « Avec une transparence et un suivi accrus », plaident les scientifiques. 

Que sont les Directives volontaires sur les régimes fonciers ?

Elaborées par la FAO et approuvées par le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) en 2012, ces directives ont pour but de fournir des orientations pour « améliorer la gouvernance de la tenure des terres, des pêches et des forêts ». Leur objectif à terme est de participer à la sécurité alimentaire de toutes les populations et de soutenir le droit à une alimentation adéquate.

Pour en savoir plus sur les Directives volontaires, consultez le site de la FAO.

Lire le rapport complet

Anseeuw, W., Bourgoin, J., Harding, A. 2022. Little progress in practice: assessing transparency, inclusiveness, and sustainability in large-scale land acquisitions in Africa