L’effet boule de neige de la dégradation des forêts tropicales humides

Résultats & impact 9 juillet 2024
Afin de quantifier la dégradation et la fragmentation des forêts tropicales, une équipe internationale de scientifiques a utilisé la technologie de pointe de l'instrument Global Ecosystem Dynamics Investigation (GEDI) à bord de la station spatiale internationale ISS. En combinant les estimations de la structure forestière et de la biomasse de l'instrument GEDI avec des observations satellitaires à long terme (1990-2022) de l'évolution du couvert forestier, ils dévoilent, dans Nature, l'empreinte cachée de l'être humain sur les forêts tropicales humides.
Forêt secondaire sur des pentes aux côtés de zones agricoles, au sol nu, et de végétation le long des cours d’eau (Brésil). © C. Bourgoin, Cirad
Forêt secondaire sur des pentes aux côtés de zones agricoles, au sol nu, et de végétation le long des cours d’eau (Brésil). © C. Bourgoin, Cirad

Forêt secondaire sur des pentes aux côtés de zones agricoles, au sol nu, et de végétation le long des cours d’eau (Brésil). © C. Bourgoin, Cirad

La fragmentation des forêts tropicales, due à l'expansion de l'agriculture ou des routes, réduit la hauteur de la canopée et la biomasse de 20 à 30 % en lisière des forêts. C’est ce qu’on appelle l’effet de lisière : celui-ci avait été, jusque-là, largement sous-estimé. C’est l’un des résultats d’une nouvelle étude publiée dans Nature auxquels des scientifiques du Cirad ont participé. Et cet effet s'étend encore plus loin dans la forêt, notamment par le biais d'altérations microclimatiques : la hauteur de la canopée et la biomasse peuvent être modifiées jusqu’à 1500 mètres à l'intérieur de la forêt intacte. Cet effet de lisière global calculé dans l'étude menace potentiellement jusqu'à 18 % des forêts tropicales humides.

« L'étude a également confirmé que les perturbations, comme l’exploitation forestière non durable, peuvent diminuer la hauteur de la canopée de 20 % environ sur une période de 20 à 30 ans et que les feux provoquent des dommages beaucoup plus conséquents, avec des diminutions allant de 40 à 60 % de la hauteur de canopée », précise Lilian Blanc, écologue forestier au Cirad et co-auteur de l’étude. 

« Les modifications de la structure forestière liées à des perturbations humaines cumulées, dues par exemple à l'exploitation forestière non durable, aux incendies et aux effets de lisière, sont particulièrement importantes », poursuit Clément Bourgoin du Joint Research Centre, ex-doctorant du Cirad, 1er auteur de l’étude. « Ces événements cumulés augmentent la probabilité d'une déforestation complète lorsque 50 % de la hauteur de la canopée est perdue ». En outre, les forêts dégradées sont plus vulnérables à d'autres perturbations naturelles telles que les extrêmes climatiques, qui réduisent leur résilience potentielle et menacent leur avenir à long terme.

Enfin, « le temps de reconstitution de la forêt après déforestation est extrêmement long. Trente ans après déforestation, la forêt retrouve moins de 60 % de la hauteur et de la biomasse correspondant à celles des forêts intactes », ajoute Ghislain Vieilledent, écologue au Cirad, co-auteur. « Une projection des tendances amènerait à une reconstitution de la forêt bien au-delà de 100 ans. Cela est totalement nouveau par rapport à ce qui a pu être trouvé dans d'autres articles annonçant des temps de reconstitution du couvert forestier bien inférieurs. » 

L'empreinte humaine cachée de la dégradation des forêts tropicales et ses effets appellent ainsi à des efforts accrus pour prévenir la dégradation et protéger les forêts déjà dégradées afin de respecter les engagements de conservation pris lors des récentes conférences des Nations unies sur le changement climatique et la biodiversité.

Déforestation, dégradation des forêts tropicales et effets de lisière
Les forêts tropicales sont essentielles au maintien d'une grande biodiversité et à l'atténuation du changement climatique. Si lorsque l’on parle de perte de forêts, l'accent est surtout mis sur la déforestation due à l'agriculture, l'exploitation minière ou encore la construction d'infrastructures, il existe tout un gradient d'états forestiers, allant des forêts intactes aux forêts restantes mais dégradées, qui sont généralement situées à la périphérie et au sein de paysages fragmentés. Ces forêts restantes sont souvent dégradées par l’exploitation du bois non durable, ainsi que par des effets de lisière. Dans ce dernier cas, les arbres situés à la lisière des forêts sont exposés à des conditions environnementales défavorables, qui dépendent en grande partie de leur environnement proche, comme les routes et les terrains aménagés. La dégradation des forêts peut souvent avoir un impact sur une zone plus vaste que celle des déforestations complètes, et elle est à l'origine d'importantes émissions de carbone et d'une perte de biodiversité. Cependant, malgré son impact important, la dégradation des forêts tropicales est souvent ignorée et négligée dans les politiques publiques.


Référence

Bourgoin, C., Ceccherini, G., Girardello, M. et al. Human degradation of tropical moist forests is greater than previously estimated. Nature (2024). https://doi.org/10.1038/s41586-024-07629-0