Alternatives innovantes aux pesticides : un enjeu crucial pour l'avenir de l'agriculture

Regard d'expert 22 septembre 2023
Un numéro spécial de la revue Environmental Science and Policy, coordonné par des chercheurs du Cirad, de Sciences Po Bordeaux et du CNRS, et impliquant des scientifiques européens et latino-américains, se penche sur la question des alternatives possibles aux pesticides. Les éditeurs de ce numéro spécial explorent, dans l’article d’introduction, la pluralité de ces alternatives ainsi que les processus socio-politiques qui favorisent ou entravent leur expansion.

L’usage des pesticides de synthèse a fortement augmenté durant les vingt dernières années, dans les pays tropicaux. © R. Belmin, Cirad

Le consensus scientifique sur les menaces que font peser les pesticides sur l’environnement, la biodiversité et sur la santé humaine est désormais largement établi. Mais les résistances à la réduction ou au retrait des pesticides sont vigoureuses. Selon les auteurs en sciences sociales d’un numéro spécial de la revue Environmental Science and Policy, de nombreux acteurs refusent de voir leur routine administrative ou leur modèle économique remis en cause. Pourtant des innovations naissent dans différentes régions du monde et particulièrement en Amérique latine. Pour parvenir à une « sortie » des pesticides de synthèse encore largement utilisés en agriculture, des alternatives émergent à l’interface entre laboratoires de recherche, industriels, agriculteurs et, parfois, citoyens. 

L’équipe de chercheurs s’est penchée sur deux principales familles d'alternatives aux pesticides :
•    les solutions basées sur la substitution, avec des technologies telles que le biocontrôle.
•    celles basées sur la refonte en profondeur des systèmes de culture et de production agricole, telles que l'agriculture biologique ou l'agroécologie, utilisant un ensemble de pratiques agronomiques telles que la diversification des espèces cultivées, l'usage de produits organiques (fumier, compost, etc.) et la rotation des cultures. 
« Au-delà de leurs différences agronomiques, ces alternatives se distinguent par leurs trajectoires sociales, par les acteurs qui les défendent et par le degré de remaniement des systèmes alimentaires qu’elles impliquent », explique Eve Fouilleux, politiste au CNRS et chercheuse associée au Cirad.

Biocontrôle : promesse technologique de premier plan 

Selon les contextes nationaux, les politiques publiques qui se saisissent du problème des pesticides accordent plus ou moins d’intérêt à ces différentes solutions. En France par exemple, ou dans les pays agro-exportateurs comme l’Argentine ou le Brésil, le biocontrôle est considéré comme une promesse technologique de premier plan, permettant d’assurer des niveaux de productivité élevée sans pour autant remettre en cause les fondements techniques du modèle conventionnel, ni ses différentes déclinaisons socioéconomiques. « Dans la famille large du biocontrôle, le développement et l’utilisation de microorganismes constitue en particulier un front technologique et scientifique majeur, dans lequel les États encouragent les chercheurs, les industriels et les agriculteurs à s’engager », analyse Frédéric Goulet, sociologue de l’innovation au Cirad. 

Soutien public à l’agriculture biologique

Ce faisant, d’autres solutions envisageables restent dans l’ombre, révélant une forme de concurrence entre alternatives plus ou moins coûteuses en termes de changement de pratiques. C’est le cas de l’agriculture biologique, particulièrement peu soutenue par les politiques publiques en France comme dans les autres pays agro-exportateurs, tandis qu’elle l’est beaucoup plus dans les pays du nord de l’Europe par exemple. Un des articles du numéro spécial explique comment, par des chemins institutionnels différents, la Suède et le Danemark sont arrivés à mettre en œuvre un objectif de 80 % de produits issus de l’agriculture biologique en restauration collective

Prendre en compte la diversité des parties prenantes

Les articles de ce numéro relèvent de recherches en sciences sociales qui soulignent l'importance de prendre en compte la diversité des parties prenantes et des processus impliqués à l'échelle de l'ensemble du système alimentaire. « Cette façon d’appréhender les transformations technologiques du secteur agricole appelle à dépasser un réductionnisme technologique, pour montrer que les technologies ne s’imposent pas seulement parce qu’elles sont performantes, mais aussi parce qu’elles sont considérées comme plus légitimes ou plus prometteuses que d’autres à un moment donné », souligne Frédéric Goulet.

La mise en avant d’une alternative plutôt qu’une autre est aussi le reflet de la place plus grande accordée à certains types d’expertise scientifique plutôt que d’autres (discipline scientifique ou courant dans une discipline donnée). Les deux articles portant sur la France, qui étudient respectivement le plan Ecophyto et les dispositions adoptées pour réguler l’usage du glyphosate, montrent ainsi comment le type d’experts convoqués influence l’orientation des décisions prises.

Référence 

Moving beyond pesticides: Exploring alternatives for a changing food system
https://doi.org/10.1016/j.envsci.2023.06.007

Décryptage d’une alternative innovante de production de microorganismes à la ferme au Brésil

Dans un autre article publié dans Journal of Rural Studies, Frédéric Goulet, sociologue de l’innovation au Cirad, appelle à réfléchir non seulement à la nature des intrants utilisés, mais aussi à la façon dont ils sont produits et dont les agriculteurs y accèdent. Il se penche sur le cas de l’utilisation au Brésil de microorganismes (bactéries et champignons), dont les souches ont été sélectionnées et améliorées par l’Embrapa ou par des entreprises privées, qui permettent de réduire l’utilisation d’engrais azotés et phosphorés ou encore de pesticides. Il montre que depuis 10 ans de nombreux agriculteurs brésiliens se sont lancés dans la production à la ferme de microorganismes, afin de réduire leurs coûts de production et leurs dépendances vis-à-vis des intrants de synthèse et des entreprises qui les produisent ou commercialisent.

Référence 
On-farm agricultural inputs and changing boundaries: Innovations around production of microorganisms in Brazil 
https://doi.org/10.1016/j.jrurstud.2023.103070 
Qu'appelle-t-on un "biointrant" en Amérique latine ?

Les intrants biologiques destinés à l’agriculture sont communément nommés biointrants (bioinsumos) en Amérique latine. Les biointrants incluent à la fois les produits de biocontrôle et les biofertilisants.
Ils comprennent des produits alternatifs aux engrais comme :
- Des biofertilisants qui sont utilisés pour enrichir les sols. Ils peuvent être à base de matières organiques (déjections animales, résidus végétaux, composts) ou de microorganismes, comme les bioinoculants.
- Des bioinoculants sont des produits essentiellement à base de bactéries fixatrices d’azote ou solubilisatrices de phosphore, sélectionnées en laboratoire. Ces bactéries vivent naturellement en symbiose avec les racines des légumineuses (telles que le soja, le pois chiche, les haricots, etc.), capturant les éléments chimiques de l’air et du sol et les restituant sous une forme assimilable à la plante, ou facilitant l’absorption d’éléments minéraux par les racines.
Alternative aux pesticides, le biocontrôle désigne un ensemble de techniques d’origine biologique utilisées pour lutter contre leurs bioagresseurs (microorganismes, insectes, acariens, nématodes, etc.). On distingue quatre principaux types d’agents de contrôle biologique :
> les macroorganismes auxiliaires invertébrés, comme les insectes et les acariens
> les microorganismes (champignons, bactéries, virus) ;
> les médiateurs chimiques, incluant surtout les phéromones d’insectes ;
> les substances naturelles d’origine végétale, animale ou minérale.
En savoir plus : Les intrants biologiques en plein essor en Amérique du Sud