Accroître la sécurité alimentaire et nutritionnelle en Afrique grâce aux légumineuses

Science en action 13 mars 2025
Haricot, lentille, soja, arachide… Les légumineuses regroupent une immense diversité d’espèces cultivées. Dans plusieurs pays africains, elles composent de nombreux plats traditionnels. Présentant à la fois des atouts agronomiques et nutritionnels, les légumineuses gagneraient à être davantage utilisées. Parmi les leviers pour augmenter leur consommation : la sensibilisation autour des produits et l’amélioration des procédés de transformation.
Fleur de niébé, un haricot blanc originaire d'Afrique tropicale © Hg Sanguere
Fleur de niébé, un haricot blanc originaire d'Afrique tropicale © Hg Sanguere

Fleur de niébé, un haricot blanc originaire d'Afrique tropicale © Hg Sanguere

L'essentiel
  • Les légumineuses sont très présentes dans les régimes alimentaires en Afrique, où elles composent de nombreux plats traditionnels.
  • Elles présentent des avantages nutritionnels certains. Leur préparation gagnerait cependant à être optimisée, à la fois pour réduire la pénibilité et le temps de travail, mais aussi pour éviter les problèmes digestifs récurrents.

Pendant deux ans, le projet LegAE (Légumineuses pour la transition agroécologique et la sécurité alimentaire en Afrique) s’est attelé à identifier les verrous et les leviers au développement des légumineuses dans quatre pays : le Bénin, le Sénégal, le Burkina Faso et l’Éthiopie. Les équipes scientifiques, coordonnées par le Cirad, se sont concentrées sur trois légumineuses : le soja, l’arachide et le niébé – un haricot blanc à l’œil noir.

Grains de niébé brun © J.-F. Cruz, Cirad

Grains de niébé brun © J.-F. Cruz, Cirad

Les bénéfices agronomiques des légumineuses ne sont plus à prouver. En 2022, une métanalyse recensant près de 12 000 observations dans 153 pays montrait un gain moyen de 20 % sur le rendement des cultures associant des légumineuses. Une augmentation qui double pour le continent africain : 43 % de hausse de rendements selon 844 observations de terrain. Les solutions au champ doivent en revanche pouvoir s’adapter aux contextes locaux, et s’appuyer sur les ressources et les savoir-faire des paysans.

Côté consommation, les légumineuses sont considérées comme des aliments particulièrement nutritifs, riches en protéines, en fibres et en certains micronutriments. Elles restent cependant longues à préparer, causent parfois des problèmes digestifs, et gagneraient à être davantage promues auprès des populations jeunes et urbaines.

Le projet LegAE s’est intéressé à chaque maillon de la chaîne de valeur, de la production à la distribution, la transformation et la consommation. Focus ici sur l’aval de la chaîne et les leviers pour améliorer la consommation et la transformation des produits à base de légumineuses.

Évolution de la consommation et atouts nutritionnels

« Au Sénégal, au Bénin et au Burkina Faso, 80 % des ménages interrogés avaient consommé au moins un aliment à base de légumineuses dans la semaine précédant nos enquêtes », détaille Claire Mouquet-Rivier, directrice de recherche à l’IRD et spécialiste des questions d’alimentation et de nutrition publique dans les pays du Sud. La scientifique précise que des différences sont ressorties selon les pays. Au Bénin par exemple, la consommation des légumineuses est importante et régulière, aussi bien en milieu rural qu’en zone urbaine. Au Sénégal en revanche, la consommation est moindre, avec une baisse chez les jeunes générations.

Plusieurs facteurs expliquent cette baisse, notamment la disparition de certains plats traditionnels, difficiles à préparer. Pour maintenir voire augmenter la consommation des légumineuses, la chercheuse indique plusieurs solutions. Parmi celles-ci, faire connaître et redorer l’image de ces produits auprès des populations en valorisant les plats traditionnels, riches sur les plans gustatif, nutritif et environnemental. Un deuxième levier se situe du côté de la transformation : la préparation des plats, souvent longue, pourrait être réduite grâce à des procédés innovants ou des produits intermédiaires. 

Comme le rappelle Claire Mouquet-Rivier, l’intérêt des légumineuses sur le plan nutritionnel est multiple. L’apport en protéines des légumineuses peut leur permettre de remplacer la viande, sans nécessairement l’imiter, et se combine avec l’apport en fibres, souvent faible dans la plupart des régimes alimentaires. « En plus de certaines vitamines, les légumineuses contiennent aussi des glucides de faible index glycémique et composés bioactifs utiles pour prévenir ou réduire l‘excès de cholestérol ou le diabète. »

Préparatrice qui vide l'eau dans laquelle ont trempé les légumineuses, au Burkina Faso © F. Yvanez et M. Rivier, Cirad

Préparatrice qui vide l'eau dans laquelle ont trempé les légumineuses, au Burkina Faso © F. Yvanez et M. Rivier, Cirad

Réduire les temps de préparation, améliorer la digestion

Malgré leurs nombreux avantages nutritionnels, les légumineuses peuvent toutefois contenir des composés « antinutritionnels » comme les alpha-galactosides, ou être contaminées par des composés dangereux, comme les aflatoxines. Christian Mestres est ingénieur en maîtrise des procédés au Cirad. Il se spécialise sur la cuisson et la fermentation des légumineuses : « l’enjeu pour nous est de maintenir, voire augmenter, certains composés d’intérêt nutritionnel comme les vitamines pendant la transformation des aliments, tout en faisant disparaître ou en empêchant l’apparition de composés considérés comme négatifs. Dans le cadre du niébé, il s’agit surtout des alpha-galactosides, des composés qui compliquent la digestion chez l’être humain. Pour l’arachide, on parle des aflatoxines, qui sont toxiques et qui sont liées au développement de certaines moisissures lors de leur préparation. »

Pour le niébé, les procédés classiques de préparation incluent des trempages et cuissons qui permettent de diminuer partiellement les alpha-galactosides. Ces procédés restent cependant longs. Dans le contexte ouest-africain, la transformation des légumineuses pose ainsi un double problème : d’une part, les temps de préparation, et d’autre part, les composés antinutritionnels qui tous deux diminuent le marché de ces produits.

Pour répondre à ce double enjeu, les scientifiques français et africains cherchent à développer des procédés pour diminuer les composés antinutritionnels. Par exemple, via des conditions de précuisson à température intermédiaire (45-60°C), ou encore par une germination « courte ». « On arrive désormais en laboratoire à dégrader les composés négatifs en moins de 24h, via l’optimisation du trempage et de la germination des légumineuses, détaille Christian Mestres. Ces procédés contribuent par ailleurs à augmenter certains composés positifs. Il nous reste encore à tester ces pratiques avec des transformateurs et transformatrices sur le terrain. »

Les aflatoxines sont des mycotoxines, qui contaminent régulièrement les aliments en cas de moisissures. En 2023, l’Union européenne a fixé un taux maximal pour ces molécules dans différentes denrées alimentaires, dans l’objectif de mieux contrôler et ainsi éviter leur ingestion. Dans le cadre de LegAE, la collaboration avec un partenaire sénégalais a permis d’imaginer un diagnostic des pratiques post récolte pour sécher les arachides, un itinéraire technique qui vient limiter la contamination en aflatoxines.

En milieu urbain, ce sont surtout des femmes qui transforment et vendent des mets à base de légumineuses, dans des petites échoppes ou dans la rue. Cependant, ces transformatrices font face à des conditions de production difficiles (transport de charges lourdes, émissions de fumées nocives) et à un manque de reconnaissance des politiques publiques.

Au Bénin, à Cotonou, les projets LegAE et ProPulse ont ainsi contribué à proposer des produits intermédiaires sous forme de farine de niébé, permettant de raccourcir les durées de préparation de certains aliments comme les beignets, mets très populaire. Ces projets ont aussi permis de concevoir une unité mobile de transformation-vente, le « niébétruck », co-développée avec les transformatrices et un équipementier local. Cet équipement améliore l’hygiène, réduit la pénibilité du travail et optimise la consommation énergétique grâce à un foyer performant, tout en renforçant l’identité visuelle et la valorisation du patrimoine culinaire local.

Beignets de niébé en cuisson © F. Yvanez et M. Rivier, Cirad

Beignets de niébé en cuisson © F. Yvanez et M. Rivier, Cirad