COP16 | Agriculture et biodiversité, je t’aime moi non plus

Regard d'expert·e 18 novembre 2024
Une dizaine d’expertes et experts du Cirad ont participé à la COP16 Biodiversité qui s’est terminée le 2 novembre dernier. Ils et elles ont pu porter des messages clés issus de leurs expériences et de projets de recherche-action. Il est capital pour le Cirad de contribuer à cette arène majeure, alors que l’agriculture est la principale cause du déclin massif des espèces sur la planète. Retour sur cette participation à l’interface entre science et politique.
Une session dans la principale salle de négociation de la COP16 biodiversité, la salle Amazonia du Centre de congrès de Cali (Colombie) © S. Baufumé, Cirad
Une session dans la principale salle de négociation de la COP16 biodiversité, la salle Amazonia du Centre de congrès de Cali (Colombie) © S. Baufumé, Cirad

Une session dans la principale salle de négociation de la COP16 biodiversité, la salle Amazonia du Centre de congrès de Cali (Colombie) © S. Baufumé, Cirad

Si les activités agricoles sont aujourd’hui identifiées comme responsables de l’érosion de la biodiversité, ceci n’a pas toujours été le cas dans l’histoire longue de l’agriculture. Pour Selim Louafi, directeur adjoint délégué à la recherche et à la stratégie au Cirad et spécialiste des liens entre biodiversité et agriculture, « il est fondamental pour le Cirad d’être présent aux COP Biodiversité pour montrer comment l’agriculture et les systèmes alimentaires peuvent devenir des leviers de solution aux différentes crises planétaires, et en particulier celle de la biodiversité, mais aussi pour étayer et soutenir les enjeux spécifiques des agricultures et de la biodiversité des pays du Sud. »

Biodiversité, agriculture, changements climatiques et santé, mêmes combats ?

« Notre participation nous a permis de présenter des pistes d’action pour contribuer au Cadre mondial sur la biodiversité », souligne Servane Baufumé, chargée d’affaires internationales et de capitalisation scientifique au Cirad. Ces propositions résultent des expériences de recherche-action du Cirad menées dans des contextes partenariaux et des écosystèmes très variés. « Nos spécificités nous confèrent une capacité unique à aborder les enjeux liés à l’agriculture, la biodiversité, le changement climatique et la santé de façon transversale et interdisciplinaire. »

Mieux partager les avantages liés à l’utilisation des ressources génétiques…

En tant que panéliste dans différents événements parallèles, la délégation du Cirad a porté des messages forts sur le partage des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques tirées de la nature, et des données qui leur sont associées – en particulier les données de séquençage, appelées « Digital Sequence Information » (DSI), dans le cadre de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CBD).

Prélevées par les instituts de recherche, les industries pharmaceutiques, agricoles, cosmétiques ou biotechnologiques, ces ressources sont souvent issues des pays de la zone tropicale (qui abritent la plus grande partie de la biodiversité mondiale), mais bénéficient principalement aux pays développés. Si le Protocole de Nagoya régule depuis une décennie l’accès « physique » et l’utilisation des ressources biologiques, aucun cadre concerté au niveau international ne s’appliquait jusqu’à présent aux ressources immatérielles que représentent les fameuses DSI.

… grâce au Fonds Cali

Ce sujet représentait un enjeu majeur de cette COP et les négociations ont justement abouti à la création d’un fonds multilatéral mondial, le « Fonds Cali », pour partager les avantages issus de l’utilisation des DSI. Les entreprises privées sont très fortement incitées à reverser un pourcentage donné de leur chiffre d’affaires (0,1 %) ou de leur marge (1 %) à ce fonds, dès lors qu’elles développent des produits à partir des DSI disponibles dans des bases de données ouvertes. Les acteurs académiques sont exemptés d’une contribution à ce fonds, mais restent fortement concernés par l’accord sur les DSI.

« Au Cirad, détaille Servane Baufumé, nous saluons l’adoption de ce mécanisme financier, qui reconnait l’importance de mettre le secteur privé à contribution. Toutefois, ce mécanisme ne nous apparait pas entièrement satisfaisant. Au-delà de ce focus sur la valeur marchande, des efforts doivent concerner l’ensemble des leviers non monétaires permettant un partage des avantages tirés par les différentes catégories d’acteurs de l’utilisation des ressources et des DSI. Cela nous concerne directement au Cirad, et nous pouvons ainsi proposer dans nos projets et partenariats de recherche un ensemble de modalités en faveur de l’équité, de l’impact et du partage des avantages (ingénierie participative, gouvernance équilibrée, partage de connaissances et de capacités…). »

L’agriculture et les systèmes alimentaires comme leviers de solution ?

Co-fondateur du « Montpellier Process », la délégation du Cirad a participé aux sept temps forts organisés par ce collectif au cours de cette COP. Ce processus porte des propositions fortes pour aborder le contexte actuel de multicrises (biodiversité, climat, systèmes alimentaires et santé) de façon concertée, en se basant sur les expériences locales et territoriales. L’objectif est d’éclairer la décision politique globale et multilatérale, dans une logique intersectorielle et en s’appuyant sur la diversité des systèmes de connaissances.

Sélim Louafi lors d'un des événements organisé par le Montpellier Process © S. Baufumé, Cirad

Sélim Louafi lors d'un des événements organisés par le Montpellier Process © S. Baufumé, Cirad

Dans cette dynamique, Sélim Louafi a aussi réalisé le discours d’ouverture d’une session spécifique de la journée de l’alimentation co-organisée par la Convention sur la diversité biologique et la FAO pour y porter les grandes lignes de positionnement du Cirad et du Montpellier Process sur la transformation des systèmes alimentaires.

Soutenir la biodiversité grâce à l’agroécologie

La délégation du Cirad a également porté des messages clés sur la mobilisation de la diversité cultivée, ainsi que des propositions d’action en faveur de la recherche d’alternatives à l’utilisation des pesticides dans les agricultures du Sud. La participation à différents événements parallèles a offert de la visibilité à ses nombreuses expériences pour soutenir la biodiversité grâce à des innovations agroécologiques dans les systèmes alimentaires, comme les activités menées dans le cadre du programme européen DeSIRA.

La gestion communautaire d’espaces protégés

Au cours de différents événements, la délégation a diffusé les approches et expertises du Cirad en matière de restauration de paysages forestiers et de gestion communautaire, de santé du territoire, mais aussi les compétences sur les aires protégées et sur les zones qui, bien que n’étant pas des aires de protection, assurent une conservation efficace et à long terme de la biodiversité (on parle d’autres mesures de conservation efficace par zone, AMCEZ).

« Les négociations futures devront mieux adapter les différentes solutions aux différents contextes, notamment entre Nord et Sud, précise Christian Leclerc, écoanthropologue au Cirad et co-animateur de la thématique de recherche prioritaire Biodiversité. Une approche plus spécifique pour laquelle le Cirad est déjà fortement expérimenté. »

 

196 pays au chevet de la biodiversité, un bilan mitigé

Presque tous les pays du monde étaient réunis pour la 16e conférence des Parties de la convention des Nations unies sur la biodiversité (COP16) qui s’est achevée le 2 novembre en Colombie. Comme souvent dans ces sommets multilatéraux, le bilan des négociations est mitigé.
Sur la liste des avancées :
- un groupe permanent représente désormais les peuples autochtones et communautés locales au sein de la CBD et le rôle des afrodescendants dans la préservation de la biodiversité a été reconnu officiellement
- le « Fonds Cali » a été créé pour un partage des bénéfices tirés des ressources génétiques puisées dans la nature par les industries
- une décision fournit un cadre pour renforcer la coordination et les synergies entre les efforts internationaux et nationaux sur la biodiversité et du climat.

Dans la liste des échecs, au moins à ce jour :
- l’absence d’accord sur le financement global du Cadre mondial sur la biodiversité. Cet accord était attendu, notamment par les pays du Sud, pour recevoir les investissements des pays développés en matière de biodiversité.
- La non-adoption à ce stade du cadre de suivi et d’évaluation du Cadre mondial dur la biodiversité, sensé fournir aux pays la méthodologie et les indicateurs pour démontrer leurs progrès sur les différentes cibles, et proposer un mécanisme d’évaluation régulière de ces progrès aux échelles nationale et globale.

Rendez-vous dans le cours de l’année prochaine pour une probable réunion exceptionnelle des pays visant à terminer les discussions inachevées à Cali, puis dans deux ans pour la suite des négociations à la COP17, sous présidence arménienne.