Ces indices qui nous permettent de voir la biodiversité

Résultats & impact 21 octobre 2024
Pour élaborer les politiques de conservation, les décideurs publics se basent sur plusieurs indicateurs, comme le nombre d’espèces observés dans un écosystème. Mais ces indices, pris séparément, peuvent montrer des réalités différentes. Devant un objet aussi complexe et dynamique que la biodiversité, les gestionnaires des milieux naturels doivent donc multiplier les indicateurs pour s’assurer la réussite de leurs actions de conservation.
Guêpier nain, espèce d'oiseau très répandue en Afrique subsaharienne © R. Belmin, Cirad
Guêpier nain, espèce d'oiseau très répandue en Afrique subsaharienne © R. Belmin, Cirad

Guêpier nain, espèce d'oiseau très répandue en Afrique subsaharienne © R. Belmin, Cirad

« La biodiversité est extrêmement difficile à observer, rappelle Antoine Becker-Scarpitta, écologue au Cirad. C’est comme une boîte noire constamment en mouvement, avec quelques ouvertures passagères qui nous laissent entrevoir une partie de la réalité : une couleur, une forme, une lumière… » 

Lors de la COP16 biodiversité, qui démarre le 21 octobre en Colombie, les États membres devront se mettre d’accord sur des indicateurs de suivi de leurs engagements en matière de biodiversité. Les négociations s’annoncent loin d’être simples, comme le rappelle Sélim Louafi, directeur adjoint pour la recherche et la stratégie au Cirad. « Un indicateur n’est jamais neutre. Sur l’usage des pesticides par exemple, en fonction de la mesure choisie, on peut y voir une augmentation ou une baisse. Et contrairement au climat, pour lequel on peut utiliser une métrique unique par les émissions de gaz à effet de serre, il n’existe pas un indicateur unique sur l’ensemble de la biodiversité capable de tout agréger ». Les effets de l’érosion du vivant sont souvent localisés, ce qui demande une contextualisation des mesures. Adopter des indicateurs transversaux et communs ne sera donc pas une mince affaire. La question est pourtant cruciale, puisque le système de métriques retenu servira à évaluer l’atteinte des objectifs du Global Biodiversity Framework, adopté lors de la COP15. 

Pour aiguiller la décision publique, la recherche a pour rôle de mieux documenter cette complexité et d’en déduire des schémas explicatifs. Avec des partenaires scientifiques chinois, Antoine Becker-Scarpitta publie un article dans Journal of Biogeography qui analyse des indices de mesure de la biodiversité. Sur 67 jeux de données issus d’une cinquantaine de sites dans le monde, l’équipe en conclut que les indices ne sont pas toujours alignés. Un résultat « technique » qui a pourtant des implications profondes en termes de stratégie de conservation.

« L’indice de richesse des espèces est le plus classique, détaille Antoine Becker-Scarpitta. Il mesure le nombre d’espèces présentes sur un territoire. L’indice d’abondance va plutôt regarder le nombre d’individus par espèce sur le territoire, il permet de visualiser les espèces qui sont rare et celles qui dominent l’écosystème. Parfois, alors que l’indice de richesse montre un haut niveau de biodiversité, l’indice d’abondance peut révéler une répartition inéquitable, et potentiellement des espèces menacées d’extinction. » 

Mieux comprendre la composition de la biodiversité 

Regarder le nombre d’espèces sur un territoire a ses avantages. L’indice est simple à capturer et à comparer, et il donne une compréhension générale du niveau de biodiversité. Cependant, s’y arrêter risque d’aboutir à une représentation très partielle de la réalité. En parallèle, l’indice d’équitabilité des abondances donne une idée de la structure des communautés écologiques, c’est-à-dire de l’organisation entre les espèces dans un écosystème.

Par exemple, une monoculture sera représentée par un indice d’équitabilité des abondances faible, avec une seule espèce très dominante et plusieurs espèces très rares. Certaines forêts tropicales primaires, au contraire, auront un indice d’équitabilité des abondances plus élevé, avec une meilleure répartition du nombre d’individus par espèce. 

Sur les sites observés dans l’article, les scientifiques remarquent que les deux indices ne sont pas corrélés. En fonction des groupes taxonomiques (amphibiens, insectes, mammifères, plantes, etc.), les résultats sont parfois similaires, parfois opposés. « Un indice n’est pas meilleur qu’un autre, précise Antoine Becker-Scarpitta. Ce dont on est sûr en revanche, c’est que multiplier les indices permet de mieux comprendre la biodiversité en action, et donc de mieux appréhender les stratégies de conservation. » 

Baser des politiques de conservation sur une vision complexe et dynamique de la biodiversité peut s’avérer difficile. C’est pourtant une étape nécessaire pour établir des stratégies efficaces. L’abondance exprime la présence d’une espèce dominante, qui dans certaines situations peut être généraliste, qui potentiellement s’accommode plus facilement d’un changement écologique. 

En associant cet indice à celui du statut d’indigénat des espèces, les scientifiques sont capables d’identifier si l’espèce abondante est locale ou non et, le cas échéant, s’il s’agit d’une espèce exotique envahissante. Dans cet exemple, c’est bien le cumul des indices qui permet une meilleure compréhension du vivant, et donc des stratégies adaptées. 

L’importance des partenariats internationaux de recherche

Ce travail original a pu voir le jour grâce au partenariat scientifique avec une équipe chinoise, ainsi que des jeux de données en libre accès partagés à l’international. Pour le chercheur du Cirad, ce type de collaboration est crucial : « ces programmes de recherche internationaux permettent d’échanger aussi entre différentes cultures, et donc différentes approches de la biodiversité. Ce n’est pas anodin. Dans un objectif commun d’améliorer notre compréhension de la biodiversité, c’est un avantage de taille ». 

L'un des co-auteurs, le professeur Jinliang Liu de l'université de Wenzhou, déclare : « Mes recherches précédentes visaient principalement à comprendre comment la diversité des espèces est maintenue sur les îles du lac des Mille-Îles en Chine. Dans le cadre de ces travaux, nous avons exploité des données mondiales et coopéré étroitement avec des collègues du Cirad, entre autres, afin de combiner nos expertises. Cela nous a permis d'étendre notre recherche et de passer d'une échelle locale à une échelle mondiale ».

Référence

Liu, J., Becker-Scarpitta, A., Wu, C., Liu, J. Species evenness-area relationships in fragmented landscapes. Journal of Biogeography