Nouvelle-Calédonie : l’agriculture tribale, une source importante de revenus

Résultats & impact 24 novembre 2021
En Nouvelle-Calédonie, une partie de la production agricole tribale n’est pas commercialisée et échappe ainsi aux radars des statistiques. Le projet Racine, coordonné par le Cirad, révèle que la production consommée et échangée représente un quart des ressources de ces ménages. Cette agriculture informelle revêt un rôle économique et social important dont les politiques publiques devraient tenir compte, notamment pour adapter leurs aides.
Un potager en Nouvelle-Calédonie © IAC-Coulon
Un potager en Nouvelle-Calédonie © IAC-Coulon

Un potager en Nouvelle-Calédonie © IAC-Coulon

Dans les territoires ultra-marins, « il existe beaucoup d’exploitations agricoles familiales qui ne vendent pas leurs productions. Elles échappent donc au radar des statistiques classiques », explique Jean-Michel Sourisseau, socioéconomiste au Cirad.

Évaluer les revenus agricoles non marchands

Le Cirad et l’Institut agronomique néo-calédonien (IAC) ont enquêté auprès de ménages vivant en tribus afin d’évaluer la part de ces revenus agricoles non marchands en Nouvelle-Calédonie.
En 2010 d’abord, puis en 2018, dans la cadre du projet Racine, auprès de 119 ménages vivant en tribus dont 77 avait participé à la première étude, et 63 agriculteurs « officiels » hors tribus. Des résultats qui viennent d’être publiés dans Notes et études socio-économiques du Ministère de l’agriculture et de l’alimentation.

Ces entretiens sur le terrain ont permis de déterminer la totalité de la production agricole, c’est-à-dire celle qui sort du champ : la partie vendue, ainsi que celle qui est auto consommée et donnée dans des échanges quotidiens de proximité, comme au sein des circuits coutumiers (baptêmes, mariages, décès, etc.).

Une production largement sous-estimée

« Dès 2010, nos résultats montraient que la production agricole des ménages tribaux néo-calédoniens était très largement sous-estimée dans les statistiques classiques. Par exemple, la production d’igname, un tubercule emblématique des tribus, s’est révélée dix fois supérieure, relate Jean-Michel Sourisseau. En outre, même si la part vendue représentait moins de 10 % des revenus, quand on a traduit la production totale en valeur financière, ça a doublé la production marchande néo-calédonienne. »

« En 2018, la production agricole contribue toujours aussi peu aux revenus monétaires chez les ménages tribaux, mais elle garde une place essentielle dans sa dimension non marchande et identitaire, complète Cédric Gaillard, économiste et statisticien, spécialiste en micro-économie des ménages au Cirad. Et si l’agriculture hors tribu est plus professionnalisée et tournée vers le marché, cette population est aussi concernée par l’autoconsommation et les systèmes de dons/contre dons ».

 « Un rôle de tampon économique et social »

« Entre 2010 et 2018, nous avons constaté un maintien de l’importance de l’agriculture pour les tribus qui assure un quart de leurs ressources. Ainsi, dans un climat conjoncturel plus difficile, l’agriculture a assuré un rôle de tampon économique et social, équivalent aux aides sociales classiques, pour ces ménages, » souligne Jean-Michel Sourisseau.

Le projet s’est également intéressé à la Guadeloupe au travers d’une étude était plus exploratoire et non statistiquement représentative de la population. Cette étude de moindre envergure a néanmoins permis de montrer que les petites exploitations, non recensées, ont aussi un poids non négligeable.

Des aides propres à cette agriculture atypique

Forts de ces résultats, les chercheurs suggèrent un soutien de cette agriculture informelle, mais pas n’importe lequel. « Les populations vivant en tribus ne souhaitent pas se professionnaliser ni  un meilleur accès au marché », rappel Cédric Gaillard. Plutôt que de la moderniser pour lui faire faire autre chose, il faudrait fournir des appuis qui lui permettraient de mieux fonctionner : la reconnaitre pour éviter sa dévalorisation, faciliter l’accès aux semences, aux parcelles, à une petite irrigation ».

Dans cet esprit, les politiques alimentaires pourraient s’appuyer sur ces capacités de production pour favoriser les légumes et légumineuses sous consommés sur l’île. D’autant que l’enquête a aussi montré que l’agriculture tribale bénéficie de peu d’équipements et d’infrastructures. « Ces formes d’agriculture sont très variées, mais les gens font quasi tous la même chose : un peu de fruits, de tubercules, de légumes… », décrit Jean-Michel Sourisseau. « Et même s’il y a un réel savoir-faire, l’agriculture est traditionnelle, saisonnière avec des systèmes de production assez homogènes, complète Cédric Gaillard. Ainsi, faute d’irrigation, il y a peu de maraichage et donc peu de légumes ce qui a un impact sur l’alimentation. »

Reste à convaincre de l’intérêt et de l’importance de cette agriculture. « On peut aussi envisager, selon les opportunités, de répliquer cette démarche sur d’autres territoires du Pacifique où nous sommes déjà impliqués, comme Wallis et Futuna », conclut Cédric Gaillard.

Une méthodologie originale

Les scientifiques ont mobilisé l’approche des déterminants du revenu par les « moyens d’existence ». Jean-Michel Sourrisseau insiste sur l’intérêt de combiner des approches quantitatives (comme celles relevant du Réseau d’information comptable agricole), avec des approches qualitatives, afin de mieux appréhender les diverses fonctions remplies par des systèmes d’activités complexes très présents dans les espaces ruraux ultra-marins.

Partenaires
  • Institut agronomique néo-calédonien (IAC)
  • Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE)