Résultats & impact 8 avril 2025
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Les forêts tropicales et le climat : une course contre-la-montre ?

© D. Louppe, Cirad
Réaliser une cartographie mondiale des forêts tropicales selon leurs traits fonctionnels, c’est le travail réalisé sur plusieurs années par une équipe scientifique internationale sur tous les continents. Surface des feuilles, épaisseur, densité du bois, composition chimique de la feuille, etc. En tout, 13 traits fonctionnels communément utilisés ont fait l’objet de mesures sur des milliers d’espèces d’arbres présents dans ces forêts (environ 16 000 espèces d’arbres en Amazonie par exemple).
Un échantillonnage réalisé avec précision sur des arbres consciencieusement étiquetés dans 1 800 parcelles permanentes (de 0,5 à plus de 10 hectares) suivies dans toutes les forêts tropicales du monde. « Un trait fonctionnel représente une caractéristique biologique d’un arbre. Ensemble, ces mesures déterminent la signature fonctionnelle d’une forêt », explique Bruno Hérault, chercheur au Cirad, spécialiste en écologie forestière, qui a participé à l'étude. « Ces données permettent de caractériser la variabilité des types de forêt. »
Des données issues des dispositifs forestiers de Paracou (Guyane) et Téné (Côte d'Ivoire)
Ces mesures de terrain sont indispensables pour définir l'état de santé des forêts tropicales. Ce type de suivi mobilise des centaines de chercheurs et des milliers d’heures de travail. Certains dispositifs, comme celui de Paracou en Guyane, existent depuis les années 1980 et couvrent plus de cent hectares. En Afrique de l'Ouest, des initiatives similaires, telles que le dispositif de Téné, géré par la Sodefor et l’Institut National Polytechnique Félix Houphouët-Boigny (INP-HB) en Côte d’Ivoire, illustrent remarquablement cet engagement à long terme. Les données de ces deux dispositifs ont contribué à l'étude publiée dans Nature, signée par 152 scientifiques.
Ensuite, grâce aux images satellites (notamment Sentinel-2), ces données sont extrapolées à l’aide de modèles mathématiques intégrant de l’intelligence artificielle, afin de créer une cartographie mondiale des forêts tropicales, éclairant leur fonctionnement biologique. « La qualité de l’information issue des sites expérimentaux est fondamentale dans la capacité des modèles à identifier la signature fonctionnelle des forêts, et permet ainsi une extrapolation pertinente à grande échelle », précise Bruno Hérault.
Une diversité des richesses fonctionnelles à prendre en compte dans les modèles climatiques
Les travaux ont montré que les forêts tropicales américaines ont une richesse fonctionnelle 40 % plus élevée que celles d’Afrique et d’Asie. Ceci pourrait témoigner de leur forte résilience, c’est-à-dire leur capacité à s'adapter à des conditions environnementales changeantes. Par ailleurs, les forêts africaines affichent la plus grande divergence fonctionnelle, supérieure de 32 % à celle des forêts américaines et de 7 % à celle des forêts asiatiques. Une donnée qui indique que les forêts africaines abritent des espèces plus spécialisées, potentiellement plus sensibles aux changements climatiques.
L'étude souligne l'importance de comprendre la diversité fonctionnelle pour la conservation des forêts tropicales, qui jouent un rôle crucial dans la régulation du climat. D’où la nécessité d’intégrer ces spécificités dans les modèles de prévision climatique afin de mieux anticiper l’évolution des forêts notamment sur le continent africain.
Les forêts évoluent moins vite que le climat
Dans cette même optique, le Cirad a également contribué à un travail ciblant les forêts tropicales américaines, à partir l’évolution des traits fonctionnels des communautés d’arbres au cours des 40 dernières années. « Les résultats publiés dans Science mettent en évidence que les forêts tropicales américaines évoluent à un rythme au moins 10 fois plus lent que l'évolution climatique elle-même », indique Bruno Hérault. Cette latence pourrait s'avérer critique pour la survie de certaines forêts face à l’accélération du changement climatique. « Ce temps de latence est lié à la durée de vie des arbres : une graine peut germer et devenir un arbre qui atteint la canopée en 50 ans et y rester pendant 100 ou 200 ans. Les arbres actuels témoignent ainsi des conditions climatiques passées qui lui auront permis de se développer. »
Comprendre le décalage entre l’adaptation des forêts et les changements climatiques peut guider la gestion forestière. Contrairement aux forêts de monoculture destinées à la production de bois rapide pour des usages industriels, la plupart des forêts tropicales de production sont exploitées selon un mode de régénération naturelle où l’enjeu pourrait être d’y favoriser des espèces adaptées aux conditions climatiques futures.
Ces travaux améliorent les connaissances du fonctionnement des forêts tropicales et permettent d’anticiper leur évolution dans un contexte de changement climatique. En comprenant mieux la dynamique des forêts, il devient possible d’adapter les pratiques de gestion forestière et d’optimiser la conservation de ces écosystèmes essentiels à l'équilibre climatique mondial. « Car quels que soient les scénarios et choix politiques, l’inertie climatique est telle que l’on connaît aujourd’hui de manière relativement certaine le climat des 30 à 50 années à venir », conclut le chercheur.
Références
Aguirre-Gutiérrez, J., Rifai, S.W., Deng, X. et al. Canopy functional trait variation across Earth’s tropical forests. Nature (2025). https://doi.org/10.1038/s41586-025-08663-2
Jesús Aguirre-Gutiérrez et al., Tropical forests in the Americas are changing too slowly to track climate change. Science 387,eadl5414 (2025). DOI:10.1126/science.adl5414
A l'occasion de la journée internationale des forêts, Plinio Sist, directeur de l'unité Forêts & sociétés, a donné une conférence grand public à Montpellier (médiathèque Emile Zola). Son propos, issus de deux ouvrages publiés aux éditions Quae - Vivre avec les forêts tropicales - et Muséo - Exploiter durablement les forêts tropicales, visait à déconstruire certaines idées reçues sur la déforestation, et à montrer l'importance des forêts pour les populations des tropiques. Habitée depuis 150 000 ans, les forêts tropicales font vivre encore aujourd'hui 370 millions de personnes en leur apportant des ressources comme le bois d'œuvre, le bois énergie, de la nourriture végétale (acai, cacao,...) ou animale, etc. Mais pour continuer à être sources de revenus, ces forêts doivent être exploitées durablement et leur exploitation doit être réglementée pour laisser le temps aux espèces forestières ou animales de se régénérer.
Voir le replay. de la conférence.