Une restauration naturelle des forêts tropicales plus rapide que prévu

Résultats & impact 10 décembre 2021
Une nouvelle étude démontre les avantages à court terme de la restauration naturelle des forêts tropicales : 20 ans seulement après l'abandon de l'agriculture, les forêts qui se régénèrent naturellement peuvent retrouver jusqu’à 80 % de la fertilité du sol, de leur structure et de la diversité des arbres des forêts anciennes. Cette découverte, publiée le 10 décembre dans la prestigieuse revue Science, a été rendue possible grâce à un nouveau cadre méthodologique de modélisation des trajectoires de restauration naturelle des forêts. Une méthodologie inédite, plus robuste et plus précise que les modèles classiques, qui a vu le jour en Côte d’Ivoire.
Forêt secondaire de la forêt classée d’Agbo en Côte d'Ivoire, 30 ans après l’abandon de l’agriculture © Anny E N’Guessan
Forêt secondaire de la forêt classée d’Agbo en Côte d'Ivoire, 30 ans après l’abandon de l’agriculture © Anny E N’Guessan

Forêt secondaire de la forêt classée d’Agbo en Côte d'Ivoire, 30 ans après l’abandon de l’agriculture © Anny E N’Guessan

S'il est essentiel de mettre un terme à la déforestation, les forêts tropicales ont le potentiel de se restaurer naturellement et rapidement sur des terres abandonnées. Ces forêts, alors appelées forêts secondaires, couvrent de vastes surfaces dans de nombreux pays tropicaux. Elles ont le potentiel de contribuer aux objectifs locaux et mondiaux de restauration des écosystèmes, et ce en fournissant de nombreux services écosystémiques, de la conservation de la biodiversité à l’amélioration de la qualité de l’eau, jusqu’à la séquestration de carbone. 

Pour mieux comprendre les mécanismes de cette restauration naturelle des forêts tropicales, des chercheurs ont modélisé les trajectoires de restauration de plus de 2 200 parcelles de forêts secondaires à travers l’Afrique et l’Amérique du Sud. Regroupée au sein du réseau 2ndFor, l’équipe dénombre 80 scientifiques du monde entier, dont trois chercheurs ivoiriens et deux chercheurs du Cirad.  L’étude, parue dans Science, a été coordonnée par l’Université de Wageningen (Pays-Bas) et le Cirad (France).

Derrière ce travail inédit, une collaboration franco-ivoirienne

La Côte d’Ivoire a perdu plus de 10 millions d’hectares de forêts depuis les années 1960. Face à la dégradation de ses ressources forestières, le pays accélère la lutte contre la déforestation et les actions de restauration des forêts. Dans cette optique, les chercheurs ivoiriens et du Cirad regroupés au sein du projet DynRecSe* ont mis en point une méthodologie innovante de mesure et de prédiction de la restauration forestière. 

« Les modèles que nous avons développés permettent d’apprécier et de comparer les différentes dimensions de la reconstitution des écosystèmes forestiers », explique Justin Kassi, chef du projet DynRecSe et professeur à l’Université Félix Houphouët-Boigny. « Ces modèles nous ont permis de quantifier les trajectoires de stockage de carbone, puis d’estimer le potentiel de restauration de la biodiversité et des ressources forestières commerciales dans les forêts secondaires de Côte d’Ivoire et d’Afrique de l’Ouest », précise Anny Estelle N’Guessan, chercheuse à l’Université Félix Houphouët-Boigny. 

Un travail de mise en réseau avec des scientifiques du monde entier a alors permis d’élargir à la fois les terrains d’étude, mais également les dimensions de la reconstitution : le sol, le fonctionnement des écosystèmes, la structure forestière, et enfin la diversité et composition des forêts. Amani Konan Bienvenu, doctorant ivoirien de l’Université Jean Lorougnon Guédé (Daloa, Côte d’Ivoire) et accueilli au Cirad à Montpellier compte parmi les pionniers : « Les méthodologies classiques s’appuient sur une ou deux dimensions. Dans ce travail, nous avons regardé simultanément douze dimensions différentes, et observé comment elles interagissent entre elles. C’est une avancée primordiale, à la fois pour la recherche, mais aussi l’aide aux politiques de restauration forestière. »

Une reconstitution rapide des forêts tropicales sous certaines conditions

Vingt ans après l’abandon des pratiques agricoles, les forêts qui repoussent naturellement retrouvent près de 80 % de la fertilité de leurs sols, de leur structure et fonctionnement, et de leur diversité par rapport aux forêts anciennes. Une rapidité surprenante, étant donnée la complexité des écosystèmes forestiers tropicaux. 

Selon les auteurs, ce rétablissement rapide des forêts s'explique notamment par les banques de graines toujours présentes dans les sols non soumis à une agriculture intensive, ainsi que par les conditions de croissance relativement productives, car chaudes et humides, des tropiques. Géraldine Derroire, écologue des forêts tropicales au Cirad et responsable du dispositif d’Arbocel en Guyane Française, qui a fourni des données pour ce travail, précise : « Certains attributs forestiers récupèrent plus vite que d’autres. Par exemple, la fertilité des sols se rétablit généralement à 90 % en moins d’une décennie. Par comparaison, il faut attendre de 2 à 6 décennies pour retrouver 90 % de la diversité des espèces qu’on pourrait trouver dans des forêts anciennes. »

Des solutions peu coûteuses, fondées sur la nature 

Compte tenu du rétablissement rapide des forêts secondaires quand les conditions sont appropriées, les scientifiques encouragent les pratiques de restauration naturelle qui ne nécessitent pas d’investissements lourds, sont efficaces et offrent de multiples co-bénéfices. Ces solutions fondées sur la nature s’inscrivent pleinement dans la ligne des objectifs de développement durable des Nations Unies, de la décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes (2020-2030), du cadre des Nations Unies sur l'atténuation du changement climatique (COP 26) et de la Convention sur la diversité biologique (COP 15). 

Bruno Hérault, spécialiste des paysages forestiers tropicaux au Cirad, souligne : « Il n'y a pas de solution miracle pour la restauration. Une combinaison d'approches est nécessaire dans la plupart des territoires tropicaux. La restauration naturelle passive a toute sa place en combinaison avec d’autres solutions de restauration plus actives (régénération naturelle assistée, agroforesterie, plantations forestières), en fonction des objectifs locaux. Nos travaux en Côte d’Ivoire montrent qu’il existe tout un gradient de solutions qui peuvent être mobilisées et co-construites, au regard des contextes sociaux, économiques, historiques et écologiques des territoires cibles. » 

* Dynamique de Reconstitution des Services Ecosystémiques, Financement C2D AMRUGE

Références

Poorter L, Craven D, … & Hérault B 2021. Multi-dimensional resilience of tropical forests. Science. doi:10.1126/science.abh3629 

N'Guessan AE, N'dja JK, … & Hérault B, 2019. Drivers of biomass recovery in a secondary forested landscape of West Africa. Forest Ecology and Management 433: 325-331.

Amani BHK, N'Guessan AE, ... & Hérault B, 2021. The potential of secondary forests to restore biodiversity of the lost forests in semi-deciduous West Africa. Biological Conservation 259: 109154.

Doua-Bi Y, Zo-Bi IC, ... & Hérault B, 2021. Taking advantage of natural regeneration potential in secondary forests to recover commercial tree resources in Côte d'Ivoire. Forest Ecology and Management 493: 119240.