Espèces exotiques envahissantes : mesurer l’invasion

Science en action 21 mai 2024
Depuis peu, les gestionnaires d’espaces naturels à La Réunion disposent d’un protocole commun pour évaluer le degré d’invasion d’un écosystème par des espèces exotiques. Cette nouvelle méthode, adaptable à plusieurs types de végétation, débouche sur un diagnostic précis et rapide. L’outil vise à améliorer la coordination de la lutte contre les espèces exotiques envahissantes sur l’île, une urgence pour ce territoire qui compte parmi les plus envahis au monde.
Sous-bois de la forêt de Mare Longue, au cœur du Parc national de La Réunion © A. Franck, Cirad
Sous-bois de la forêt de Mare Longue, au cœur du Parc national de La Réunion © A. Franck, Cirad

Sous-bois de la forêt de Mare Longue, au cœur du Parc national de La Réunion © A. Franck, Cirad

La Réunion est ce qu’on appelle un « hotspot » de biodiversité, c’est-à-dire une zone dont la riche biodiversité est menacée par les activités humaines. En parallèle, l’île recense 129 espèces exotiques envahissantes, ce qui en fait un des dix territoires les plus envahis au monde. Pour protéger la biodiversité locale, l’île peut compter sur ses gestionnaires d’espaces protégés comme les agents du Parc national de La Réunion et ceux de l’Office nationale des forêts (ONF), mais aussi sur des instituts de recherche. Or jusqu’à récemment, chaque structure suivait sa propre méthode de diagnostic de terrain, ce qui freinait la coordination des actions de lutte.

« Chacun avait sa méthode pour évaluer le niveau d’invasion, décrypte Pauline Fenouillas, écologue au Cirad. Le problème, c’est qu’on était incapable de comparer ensuite les données, et donc d’avoir un vrai dialogue sur les zones à prioriser. On a dû mettre au point un protocole standardisé, rapide à utiliser sur le terrain, et qui nous permet d’homogénéiser les résultats et de prendre des décisions basées sur un diagnostic partagé. »

Un protocole commun pour un diagnostic compris et partagé

Inventaire de terrain dans la forêt de Mare Longue par une équipe Parc national - Cirad © P. Fenouillas, Cirad

Inventaire de terrain dans la forêt de Mare Longue par une équipe Parc national - Cirad © P. Fenouillas, Cirad

La méthode a été créée par le Cirad et l’Université de La Réunion, en concertation avec le Parc national de La Réunion et les différents gestionnaires sur l’île. Elle repose sur deux grands principes. D’une part, l’observation de deux catégories : les espèces végétales indigènes et les espèces végétales exotiques. « Lors d’un diagnostic terrain, il est impossible de faire un relevé botanique complet, sauf à avoir du temps et les ressources humaines nécessaires, détaille Mathieu Rouget, écologue au Cirad. En simplifiant le diagnostic sur deux catégories, on est capable de mesurer rapidement le rapport de force entre espèces indigènes et exotiques. »

Cette observation, les gestionnaires doivent la faire sur trois strates de végétation : herbacée, arbustive et arborée. Cette nuance est importante, puisque les temps de renouvellement des plantes sur ces trois strates varient de beaucoup. En forêt par exemple, les arbres de la strate arborée nécessitent une cinquantaine d’années pour atteindre la canopée. Pauline Fenouillas précise : « une forêt envahie dans sa strate herbacée sera plus facile à restaurer qu’une forêt envahie dans les autres strates, parce que le renouvellement des plantes y est rapide. Pourtant, l’observation de la couverture du sol reste cruciale. Si la strate herbacée est complètement envahie mais qu’on ne fait rien, car la forêt paraît en bonne santé, on risque de voir toutes les espèces indigènes disparaître d’ici 50 ans. »

Ce nouveau diagnostic de terrain a été éprouvé par les gestionnaires et fait maintenant partie de leur routine. Lors de l’étude initiale en 2019, quelques centaines d’hectares avaient été passés au peigne fin. Aujourd’hui, le parc national lance des grosses campagnes de diagnostics qui s’étendent sur plusieurs milliers d’hectares.

Cartographie du degré d'invasion par des espèces exotiques dans la forêt de Mare Longue © Cirad

Cartographie du degré d'invasion par des espèces exotiques dans la forêt de Mare Longue © Cirad

Prioriser la lutte sur les zones sensibles

Cette nouvelle méthode est le fruit de plusieurs années de travail sur les mesures du degré d’invasion à La Réunion, mais qui auparavant étaient effectuées à l’échelle de l’île et via des outils de modélisation. « Passer d’un outil informatique à un outil de terrain a été un vrai défi, confie Pauline Fenouillas. C’est grâce au partenariat avec les gestionnaires, dont l’ONF et le Parc national, qu’on a réussi à créer un protocole efficace, utile et adaptable aux différents massifs. » 

La prochaine étape, après le diagnostic complet, sera de prioriser les zones où lutter contre l’invasion. C’est notamment l’un des objectifs du projet ReMiNat (Restauration des Milieux Naturels), qui a débuté à l’automne 2023. Financé par le Fonds vert de l’Etat, le projet ReMiNat repose sur la fédération de tous les acteurs qui luttent pour la préservation de la biodiversité à La Réunion. Les grands enjeux sont la préservation et la restauration des habitats naturels.

« Ce qui est important pour nous, c’est d’arriver à prioriser les zones à risque, puis de mettre en place des actions concertées, détaille Pauline Fenouillas. Et enfin, il faudra évaluer les décisions en fonction des résultats sur le terrain, pour réajuster et améliorer nos travaux afin qu’ils soient toujours utiles à la gestion des espaces naturels. »

Référence

Fenouillas, P., Caubit, M., Cazal, E., Ajaguin Soleyen, C., Strasberg, D., Rouget, M. 2024. Standardising field-based assessment of invasion degree: A case study in two habitats of Reunion Island. Ecological Solutions and Evidence, 5 (1): e12314.