Prévenir les pandémies : c’est surtout au niveau communautaire que ça se passe

Regard d'expert 21 décembre 2023
Un élevage qui tombe malade, des symptômes suspects chez les habitants d’une commune en bordure de forêt, ou encore des animaux morts près d’une source d’eau : une épidémie démarre toujours à l’échelle locale. Afin de contrôler l’émergence de maladies à potentiel pandémique, il est urgent de mieux inclure les populations dans les systèmes de surveillance. C’est justement le fer de lance de l’initiative scientifique PREZODE, qui travaille à des réseaux de détection précoce du local au global.
Au Gabon, des chasseurs sont formés à repérer les signaux faibles d'émergence d'épidémies chez la faune sauvage © Brent Stirton-Getty Images for FAO, CIFOR, CIRAD, WCS
Au Gabon, des chasseurs sont formés à repérer les signaux faibles d'émergence d'épidémies chez la faune sauvage © Brent Stirton-Getty Images for FAO, CIFOR, CIRAD, WCS

Au Gabon, des chasseurs sont formés à repérer les signaux faibles d'émergence d'épidémies chez la faune sauvage © Brent Stirton-Getty Images for FAO, CIFOR, CIRAD, WCS

« Quand on pense à la prévention des maladies, on imagine le plus souvent des experts en blouse qui viennent faire des prélèvements à la recherche de virus. C’est ce qu’on appelle la “surveillance active”, et c’est une activité primordiale pour mieux comprendre la transmission d’un pathogène de l’animal à l’humain. Cependant, ça n’est pas suffisant pour stopper une émergence à sa source. C’est là qu’interviennent les communautés, celles en première ligne face aux risques et qui vont essuyer le plus de dommages si une maladie se déclare. » 

Marisa Peyre est épidémiologiste au Cirad et co-fondatrice de PREZODE, une initiative internationale qui ambitionne de réduire les risques et mettre en œuvre des systèmes de détection précoce des épidémies dans un maximum de pays. Pour la scientifique, la reconnaissance du rôle des communautés et leur intégration dans la prévention des pandémies permet d’une part une meilleure détection, et d’assurer ensuite des réponses rapides pour contrôler la propagation de la maladie. 

« On ne peut plus se contenter de voir les populations comme des “sources de données”, estime Marisa Peyre. Ce sont des acteurs à part entière du système de surveillance, qui sont les premiers maillons de la chaîne et agissent quotidiennement sur le terrain. À travers PREZODE, on promeut également le dialogue entre les éleveurs et les médecins par exemple, selon une approche “Une Seule Santé”, afin de détecter plus vite si une maladie qui se déclare chez l’humain peut être liée à une maladie qui se serait déclarée dans un élevage. »

Mettre les communautés au cœur des nouveaux systèmes de détection 

Récemment, les membres de l’initiative PREZODE ont saisi plusieurs évènements politiques et scientifiques pour plaider l’inclusion des communautés dans les systèmes de surveillance. Comme au Paris Peace Forum, à la conférence internationale sur la santé respiratoire ou encore à la COP28 qui vient de s’achever. 

Lors de la COP, le pavillon France a accueilli une session co-organisée par PREZODE et Unitaid, dédiée à l’amélioration des systèmes de santé face au changement climatique. Olivia Ngou, directrice de l’ONG Impact Santé Afrique (ISA), y a détaillé le rôle des communautés dans la mise en place des stratégies de lutte contre le paludisme, qui se transmet par les moustiques : « les campagnes de lutte habituelles se basent sur un calendrier de saisons des pluies qui ne tient plus. Avec les perturbations climatiques, on voit les moustiques se déplacer, et des territoires avant épargnés deviennent sujets à des épidémies. On a besoin d’un engagement fort des populations locales pour mieux comprendre ces évolutions et élaborer des stratégies de lutte réellement efficaces ». Le paludisme fait près de 700 000 morts chaque année, dont 50 % sont des enfants et des femmes enceintes. Ces populations atteintes par le paludisme sont souvent en première ligne face au risque d’émergence de nouvelles maladies à potentiel pandémique.

Olive Mumba, directrice du comité d’engagement communautaire au Fonds mondial, rappelle que le renforcement des systèmes communautaires va de pair avec le renforcement des systèmes de santé : « pauvreté, agriculture et insécurité alimentaire sont des déterminants socio-économiques qui vont impacter le développement des maladies infectieuses sur un territoire. Inclure les populations dans les systèmes de détection implique forcément de mieux prendre en compte leurs besoins ». Elle rappelle par ailleurs l’importance d’établir un lien de confiance entre les communautés et les scientifiques : « inégalités vaccinales, défiance, désinformation… La confiance des communautés est primordiale et elle n’est possible que si on les embarque dès le départ ».

La réussite des premiers protocoles au Gabon

L’initiative PREZODE a développé un cadre méthodologique pour mettre en place des réseaux de surveillance précoce à base communautaire. Au Gabon, un premier essai a déjà permis de former des chasseurs à la détection des signes précoces de maladies chez les animaux chassés et les animaux domestiques. Cela donne lieu à la collecte d’échantillons sur des animaux suspects, qui sont ensuite envoyés à des laboratoires pour analyse. Ces actions servent à la détection rapide de potentielles zoonoses, des maladies transmises de l’animal à l’humain. Le protocole a été mis en œuvre dans le cadre du SWM programme et grâce au travail du Centre interdisciplinaire de recherches médicales de Franceville (CIRMF) et de l’Institut de recherches en écologie tropicale (IRET) de Libreville.

Ces réseaux sont en train de s’installer dans d’autres pays. « Nous sommes dans la première phase opérationnelle de l’initiative, détaille Marisa Peyre. Cambodge, Cameroun, Guinée, Madagascar, Sénégal… Notre objectif est d’arriver à maillage solide et suffisamment important pour ne laisser passer aucun signal faible d’émergence ». PREACTS et notamment sa phase 1 AFRICAM, premier programme de terrain de PREZODE, entre en synergie avec d’autres projets de recherche comme au Cambodge avec BCOMING et en Guinée avec Ebo-Sursy.

Le cadre méthodologique de PREZODE a été pris en exemple lors d’une consultation internationale sur les stratégies pour l'alerte précoce en cas de menaces pour la santé animale, organisée par la FAO en novembre. Pour Fernanda Dórea, coordinatrice du projet d’alerte précoce à la FAO, « la méthodologie proposée par PREZODE permet de construire étape par étape des systèmes de détection précoce qui intègrent les communautés, et permettent la transmission d’informations et la réaction rapide du local au global, et en sens inverse des décideurs publics jusqu’aux populations ».

La surveillance communautaire au cœur de la prévention des zoonoses (en anglais) :