Prévenir les pandémies : le dialogue entre scientifiques, politiques et société civile s’enclenche enfin

Événement 15 mars 2023
Un écosystème perturbé est un milieu propice à l’apparition de maladies animales, puis humaines. Ces liens entre santés humaine, animale et des écosystèmes sont largement documentés par la recherche. Or ces approches « One Health / une seule santé » peinent à passer l’étape de la mise en pratique. En cause : les cloisons encore hautes entre les mondes scientifique, politique et de la société civile. Quels sont les freins à ce dialogue « science-société-politique », et comment les surmonter ? Eléments de réponses dans une conférence organisée par le Cirad et l’initiative PREZODE.
Intervenants et organisateurs des tables-rondes « Quel dialogue science-société-politique dans la prévention des risques pandémiques ? », organisées par PREZODE à l’occasion du Salon international de l’agriculture de Paris 2023 © C. Dangléant, Cirad
Intervenants et organisateurs des tables-rondes « Quel dialogue science-société-politique dans la prévention des risques pandémiques ? », organisées par PREZODE à l’occasion du Salon international de l’agriculture de Paris 2023 © C. Dangléant, Cirad

Intervenants et organisateurs des tables-rondes « Quel dialogue science-société-politique dans la prévention des risques pandémiques ? », organisées par PREZODE à l’occasion du Salon international de l’agriculture de Paris 2023 © C. Dangléant, Cirad

« On ne peut plus se permettre de travailler chacun de son côté. » Brigitte Autran donne le ton. La présidente du comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (COVARS) revient sur ses expériences autour du VIH et de la dengue. Elle rappelle l’importance des interactions entre la société et le corps médical et vétérinaire. Selon ses mots, l’approche One Health est « vitale ». Le dialogue entre scientifiques, politiques et société civile est « clé et essentiel ».

« Toute pandémie commence par une épidémie, qui elle démarre au niveau communautaire ». Magda Robalo, présidente de l’Institut for Global Health and Development, ne doute pas des approches One Health. Elle les considère comme l’avenir. L’ancienne ministre de la santé de Guinée Bissau dresse en parallèle un bilan amer de la gestion de la pandémie de covid-19, aussi bien à l’international qu’à plus petite échelle. « La pandémie a montré un déficit de confiance et de crédibilité entre les leaders politiques, les acteurs sociaux et les scientifiques. Il n’y a pas eu d’écoute entre nous ». Un dialogue inexistant qui coûte des vies, renchérit Magda Robalo. 

Ces propos ont été tenus lors des tables-rondes organisées par PREZODE, une initiative internationale qui ambitionne de réduire les risques et mettre en œuvre des systèmes de détection précoce des épidémies dans un maximum de pays. Le panel, rassemblé fin février au Salon international de l’agriculture de Paris, était composé d’experts scientifiques, d’acteurs politiques et du développement, de représentants des bailleurs et de membres de la société civile, via le représentant d’une ONG et une journaliste santé. Acquis aux approches One Health, tous ont essayé de répondre à l’épineuse question du dialogue « science-société-politique » dans la prévention des risques pandémiques. 

La confiance se construit en temps de « paix sanitaire »

Le temps de la recherche n’est pas celui du temps politique. C’est sur ce « premier obstacle » au dialogue que s’arrête Matthieu Le Grix, responsable de la division agriculture, développement rural et biodiversité de l’Agence Française de Développement (AFD). « En temps de crise, l’heure n’est plus au dialogue », déclare-t-il. Face à une urgence qui polarise la prise de décisions, le monde politique est en effet cantonné à l’immédiat. 

Une position qui oblige les leaders politiques à s’appuyer sur les relations déjà établies, plutôt qu’à rebattre les cartes et inclure de nouveaux acteurs au débat. D’où l’importance des « temps de paix pour miser sur la construction de ce dialogue et de cette confiance », souligne Madga Robalo. Ces « passerelles de communication » seront des « épargnes à utiliser en temps de crise ».

« Ces nouvelles plateformes de dialogue, c’est maintenant qu’il faut les construire », insiste Marisa Peyre, épidémiologiste et coordinatrice de l’initiative PREZODE pour le Cirad. Organisatrice de ces tables-rondes, la scientifique se montre déterminée : « la mise en œuvre de politiques de santé adaptées aux besoins des personnes sur le terrain ne se fera pas sans ces espaces de discussion. Profitons de cette accalmie post-covid pour tester les outils et consolider les réseaux essentiels à la prévention des épidémies. » 

La société civile, entre les personnes directement concernées et le grand public

L’importance de la société civile dans le dialogue autour de la prévention des pandémies ne fait pas débat. Mais de qui parle-t-on exactement ? Emmanuelle Soubeyran, directrice générale adjointe de l’alimentation au ministère français de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, distingue deux postures : les parties prenantes, qui devront mettre en œuvre les solutions politiques, et le grand public.

Les parties prenantes sont « ceux qui ont quelque chose à faire », ceux pour qui les décisions politiques s’appliquent directement. Dans la gestion de l’actuelle épizootie de grippe aviaire en France, Emmanuelle Soubeyran cite « les éleveurs, les vétérinaires ou encore les laboratoires ». Plusieurs panelistes reviennent sur le rôle des femmes, qui « constituent la majorité des professionnelles de santé » rappelle Madga Robalo.

Serge Breysse est directeur général de l’ONG Solthis, qui travaille sur l’accès aux soins à l’international. Il évoque plusieurs de leurs activités de terrain, démontrant l’importance de l’engagement des personnes en première ligne. « Beaucoup ne sont pas convaincus par les enjeux de long terme, comme le changement climatique, parce qu’ils ont d’autres besoins plus pressants. On doit travailler sur ces convictions, mais cela passera par l’écoute et la réponse à leurs contraintes les plus urgentes. »

Des facilitateurs de dialogue : le chaînon manquant entre science, politique et société ? 

Les médias, quant à eux, sont au cœur du dialogue avec le grand public. Florence Pinaud, journaliste santé à La Tribune, dévoile l’évolution d’une audience plus diffuse, qui « a besoin de la vitamine marketing » pour s’intéresser. Storytelling, mises en scène de l’information à coup de vidéos courtes…les journalistes doivent redoubler d’efforts rendre leur travail attrayant. Et là encore, le rythme du marketing est beaucoup rapide que celui de la science.

D’autres jouent ce rôle de médiateur, ou « facilitateur » selon les mots de Mathieu Le Grix. L’AFD, en tant qu’« opérateur de développement et de la coopération internationale », est un témoin privilégié du dialogue entre science et politique. Une position au cœur des rouages de la communication entre des mondes sous-tendus par des contraintes bien différentes.

Tour à tour, Florence Pinaud, Mathieu Le Grix et Serge Breysse reviennent sur la nécessité de la « mettre en scène l’information » ou de donner des « démonstrations concrètes de terrain ». Un besoin de médiation, qui oblige la science à faire un pas vers la simplification, et le politique et la société civile à faire un pas vers la complexité.

One Health fournit les clés de ce nouveau dialogue

« On oublie parfois un point fondamental », déclare à un moment Pierre Kempf, responsable adjoint à la division santé de l’AFD. « Au niveau politique, les décisions qui sont à prendre sont extrêmement difficiles et doivent nous amener à une posture radicalement différente d’aujourd’hui. […] Si la décision était simple, elle serait prise depuis longtemps. » 

Pour Pierre Kempf, « One Health fournit le vocabulaire pour créer ce nouveau dialogue », car il s’agit d’abord d’une « méthode ». « C’est la création d’une agora politique de la décision, plutôt locale ou régionale. Et transversale bien sûr, communautaire, politique, institutionnelle et scientifique. »

Franck Berthe, expert élevage au sein de la Banque Mondiale et coordinateur de l'Alliance Mondiale pour l'élevage, s'appesantit sur l'importance d'une mobilisation internationale autour des projets One Health : « le poids du contexte local et national implique une prise en main par les pays, mais nous devons garder à l'esprit que les pathogènes ne connaissent pas les frontières. Les organisations régionales, multi-pays, ont un rôle clé à jouer ». Ces actions collectives devront être financées dans la durée, ajoute-t-il, « afin d'assurer leur impact et leur pérennité. La prévention est une action continue ».

« Il doit exister une gouvernance mondiale des approches One Health, et l'Organisation mondiale de santé animale s'y emploie en collaboration avec la FAO, l'OMS et l'UNEP », promet Jean-Philippe Dop, directeur adjoint de l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA – anciennement OIE). « C'est ce qui nous permettra d'intervenir bien en amont des risques pandémiques ».

Jean-Luc Angot est l’envoyé spécial du Président de la République pour PREZODE. Facilitateur des deux tables-rondes, il renforce les messages portés par les participants et conclut sur le rôle de l’initiative PREZODE : « à travers toutes ces prises de parole, on comprend que le dialogue s’établit à différents niveaux, aussi bien local, national et international. Et c’est là toute l’ambition de PREZODE : couvrir l’ensemble de la planète avec des initiatives locales et les mettre en réseaux. »

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