Inclure les femmes et les jeunes dans les décisions sur l’avenir de leur territoire

Science en action 8 mars 2022
Dans cinq régions rurales de Tunisie, 4000 personnes de tous horizons ont contribué à un vaste processus de planification territoriale participatif. Mais surtout, les ateliers participatifs ont été organisés et gérés afin d’accroître l’inclusion des femmes et des jeunes aux débats. Les scientifiques du Cirad accompagnent ce programme sur le volet participatif, mais aussi inclusif. Ils et elles cosignent un chapitre de l’ouvrage Inclure pour transformer. Retour d’expérience pour rendre un dispositif participatif le plus inclusif possible.
Des agricultrices dans la région de Bizerte, une zone rurale vulnérable de Tunisie © Pacte
Des agricultrices dans la région de Bizerte, une zone rurale vulnérable de Tunisie © Pacte

Des agricultrices dans la région de Bizerte, une zone rurale vulnérable de Tunisie © Pacte

Ce sont les jeunes ruraux et rurales qui sont à l’origine des révolutions de 2011 en protestant contre la pauvreté, le chômage et les inégalités sociales. Dix ans plus tard, les inégalités ont perduré et la jeunesse manque toujours de perspectives. Nombre de ces populations sont réticentes à s’engager pour le développement de leur territoire, soit parce qu’elles envisagent de le quitter, soit parce qu’elles n’y voient pas d’avenir.

En travaillant précisément sur l’inclusion de ces populations, et notamment celle des femmes et des jeunes, le projet Pacte** (Programme d’adaptation au changement climatique des territoires ruraux vulnérables de Tunisie), contribue à changer la donne depuis plus de 4 ans. Le Cirad y apporte son expertise des processus participatifs.

Les femmes et les jeunes, exclus de la vie publique et politique

Adopter une démarche d’inclusion a été essentiel pour l’équipe du projet afin que toutes et tous puissent s’exprimer au cours de ce processus de planification territoriale participatif © Pacte

© Pacte

Adopter une démarche d’inclusion a été essentiel pour l’équipe scientifique du projet. Car les femmes et les jeunes sont peu représentés dans la prise de décision au sein de l’espace politique et public tunisien. Un constat lié à la combinaison de plusieurs freins. Les traditions socioculturelles liées à la société patriarcale l’emportent en effet souvent sur les cadres législatifs, réglementaire et institutionnel, relativement progressistes et inclusifs.

Les femmes consacrent en moyenne huit fois plus de temps aux travaux domestiques non rémunérés que les hommes (ministère des Affaires de la Femme, 2006). Ainsi, leur autonomie financière est généralement très limitée et elles sont moins disponibles que les hommes pour participer à la vie publique et politique.

Le pouvoir traditionnel masculin s’explique peut-être également par les modalités d’intervention de certains programmes de développement passés au cours desquels seul le chef de famille était consulté. Cet aspect a été mis en avant par plusieurs observateurs et observatrices, qui relatent des propos tels que : « Ça ne sert à rien que ma femme vienne participer, puisque je suis présent ».

Au cours de l’étape de diagnostic, nous avons constaté que les femmes ne mentionnaient pas les mêmes enjeux que les hommes. Nous avons décidé de distinguer le vote des femmes de celui des hommes, afin de prendre en compte les enjeux prioritaires de toutes et tous dans la suite de la démarche

Emeline Hassenforder
spécialiste des approches participatives au Cirad

Des leviers pour inclure et renforcer le pouvoir d’agir

Dans les régions les plus rurales de la Tunisie*, 4 000 participantes et participants se réunissent depuis 2018 dans le cadre d’ateliers pour décider ensemble de l’avenir de leur territoire et mieux faire face au changement climatique. Ils et elles proviennent de tous horizons : citoyens, agriculteurs, administration, société civile, élus et secteur privé.

Ainsi, le programme PACTE a coconstruit, avec les acteurs et les actrices du développement rural, une démarche d’inclusion des populations, ainsi que son suivi-évaluation.

L’observation des ateliers a permis d’identifier certaines pratiques d’exclusion, et de mettre en œuvre plusieurs actions de mobilisation et de facilitation permettant de mobiliser les femmes et les jeunes et de prendre en compte les rapports de force.

Adapter la participation pour inclure © PACTE
  • Adapter les jours et horaires à la disponibilité du plus grand nombre

Dans certains territoires, les femmes et les jeunes sont particulièrement difficiles à faire venir ou s’expriment très peu dans les ateliers. À Kairouan par exemple, les facilitatrices ont demandé aux hommes d’aller chercher les femmes alors absentes et ont décalé le début de l’atelier pour qu’elles puissent y participer. À Bizerte, certaines femmes ne pouvaient pas assister à un atelier parce qu’elles travaillaient aux champs : des ateliers supplémentaires ont été organisés pour qu’elles puissent continuer à s’impliquer dans la démarche.

  • Séparer les votes des hommes de ceux des femmes

Lors des élections des représentants et représentantes de la population au comité de territoire, l’urne de vote a été placée à l’écart ou dans un isoloir afin d’éviter toute pression sur le vote des femmes.

  • Accompagner les analphabètes

Les jeunes et les femmes qui n’ont accès ni à la lecture ni à l’écriture peuvent être facilement influencés par ceux qui y ont accès. Quand une personne facilitatrice les assiste, cela leur permet de faire entendre leur voix.

Ces actions ne réduisent que partiellement l’influence, car elles n’ont pas d’impact au sein des foyers. Néanmoins, elles offrent aux femmes et aux jeunes le moyen de s’exprimer dans un contexte où ils ont peu l’occasion de le faire. En témoignent leurs sourires et regards brillants après qu’elles aient placé leur bulletin dans l’urne.

Guillaume Lestrelin
géographe au Cirad
  • Séparer les participants des participantes pour libérer la parole

Au cours des ateliers, plusieurs actions ont été entreprises pour que les femmes et les jeunes puissent s’exprimer. À Siliana ou à Sidi Bouzid par exemple, lors de l’étape de propositions d’actions, les participantes et participants ont été séparés, puis les facilitatrices ont animé les groupes de femmes.

  • Faciliter la prise de parole en public des femmes et les positionner en tant que porte-parole de leur territoire

La mise en place de comités de territoire vise maintenant à produire des plans intégrés d’aménagement du territoire sur la base des propositions faites par la population. Certains collèges de ces comités sont obligatoirement composés pour moitié de femmes. Néanmoins, il n’est pas toujours aisé d’identifier des volontaires parmi ces dernières. À Ain El Jouza, la facilitatrice avait repéré une femme capable de s’exprimer en public. Mais, analphabète, elle refusait de devenir la représentante de son territoire. Encouragée par la facilitatrice et rassurée sur l’absence, en grande partie, de supports écrits, elle a finalement candidaté. Cette femme participe aujourd’hui aux réunions du comité de territoire.
Des ateliers de préparations à la prise de parole ont également été organisés en amont de la tenue des comités de territoire, face aux représentants des autres collèges (élus, entreprises privées, société civile), plus habitués à la rhétorique publique.

Un changement à envisager sur le long terme

© PACTE

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Désormais, certaines femmes et jeunes portent des projets qui leur sont propres. Des femmes au foyer participent activement et de manière récurrente aux ateliers. Certaines ont accepté de devenir représentantes de leurs paires au comité de territoire. Des pistes d’amélioration demeurent. Le renforcement du pouvoir d’agir est en effet un processus multidimensionnel, qui nécessite du temps et des espaces dédiés. Les parties prenantes doivent pouvoir prendre le temps d’appréhender les mécanismes socioculturels, économiques et politiques de l’exclusion, et la façon dont celle-ci influence les rapports de pouvoir.

* Bizerte, Kairouan, Le Kef, Sidi Bouzid et Siliana** Pacte est un programme de 6 ans (2018-2023) coordonné par le ministère tunisien de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche et financé par l’AFD.