Concilier développement local et conservation de la nature en Afrique australe

Résultats & impact 8 juin 2022
Promouvoir les moyens d’existence des communautés locales des zones de conservation transfrontalières est un élément clé de la durabilité de ces aires protégées. C’est dans cet objectif que le Cirad et ses partenaires mènent le projet européen ProSuLi en Afrique australe. Le point sur les résultats prometteurs de ce projet totalement coconstruit avec les communautés locales.
Un habitant de la zone de conservation transfrontalière du Kavango-Zambèze © B. Stirton-Getty Images for FAO, Cifor, Cirad, WCS
Un habitant de la zone de conservation transfrontalière du Kavango-Zambèze © B. Stirton-Getty Images for FAO, Cifor, Cirad, WCS

Un habitant de la zone de conservation transfrontalière du Kavango-Zambèze © B. Stirton-Getty Images for FAO, Cifor, Cirad, WCS

Comment gérer durablement les aires protégées en Afrique australe ? La question est trop souvent abordée sous le prisme de la seule conservation de la biodiversité. Elle mérite pourtant que l’on se penche aussi sur les moyens de subsistance et le bien-être de ceux qui vivent dans et à proximité de ces espaces protégés, pour leur garantir un niveau de vie décent et réduire les conflits avec la faune. C’est dans ce cadre que le projet ProSuLi (Promoting Sustainable Livelihoods in TransFrontier Conservation Areas) est mis en place depuis 2018, au sein de quatre communautés du Botswana, Mozambique et Zimbabwe.

« Il fallait redonner aux communautés des aires de conservation transfrontalières (TFCA) le pouvoir de décider de leur développement au lieu de leur imposer des solutions extérieures », expose Alexandre Caron, chercheur au Cirad et coordinateur du projet. Dont acte. Ce sont les communautés elles-mêmes qui ont défini et priorisé leurs « futurs » possibles - et les activités à mettre en place pour les atteindre - via des approches d’anticipation.

Jardins irrigués et prévention des maladies liées aux tiques

Une démarche participative, expertise historique du Cirad, qui récolte déjà ses fruits. Au Mozambique et au Zimbabwe, des points d’eau alimentés par l’énergie solaire et des jardins irrigués ont été mis en place. En plus de générer un gain de temps conséquent pour les femmes, majoritairement responsables de la collecte de l’eau, ces dernières ont vu leurs besoins mieux pourvus et parfois les conflits familiaux diminuer.

Plants de tomates et mais dans les jardins de Magoli, au Zimbabwe © A. Caron, Cirad

Plants de tomates et mais dans les jardins de Magoli, au Zimbabwe © A. Caron, Cirad

Ailleurs, des formations vétérinaires sur la prévention des maladies liées aux tiques ont été réalisées. La mise en commun du bétail dans une communauté botswanaise a permis de réduire la prédation par les lions. Sur deux sites du projet au Zimbabwe, les villageois ont aussi souhaité mener des ateliers pour retrouver une culture du respect entre les générations et avec la nature.

Autant d’actions, choisies par les acteurs locaux et dont la mise en œuvre est suivie par les partenaires du projet, qui ont bénéficié de près ou de loin à plusieurs milliers de personnes. « La pandémie du Covid a montré que le tourisme lié à la conservation ne pouvait offrir qu’une diversification des activités, sans pour autant être la panacée, analyse Alexandre Caron. La petite agriculture, respectueuse des ressources, est celle qui a le moins souffert de la crise ». 

Gouvernance collective pour impact pérenne

La question de la pérennité des moyens d’existence a donc été au cœur des démarches, pour garantir des impacts à long terme. « On a vu naître pas mal d’initiatives originales, inclusives et solidaires, illustre le chercheur. Une partie de l’argent collecté pour la maintenance des points d’eau a par exemple été réinvestie dans l’achat d’un troupeau de chèvres, “compte courant” du comité de gestion. C’est peut-être une goutte d’eau, mais la dynamique dans laquelle les communautés sont aujourd’hui leur permettra, nous l’espérons, d’être proactives, de formuler et répondre collectivement à leurs besoins ».

La zone de conservation transfrontalière du Kavango-Zambèze est la plus grande aire protégée de la planète © B. Stirton-Getty Images for FAO, Cifor, Cirad, WCS

La zone de conservation transfrontalière du Kavango-Zambèze est la plus grande aire protégée de la planète © B. Stirton-Getty Images for FAO, Cifor, Cirad, WCS

Promouvoir une innovation par les processus d’action collective - et non la technologie - demande à tous les acteurs de changer, du local à l’international. C’est pourquoi l’équipe du projet participe à des groupes de travail et des discussions pour influencer tous les acteurs, des bailleurs aux praticiens. 

Une question de justice sociale et environnementale

Le Cirad et ses partenaires tentent de faire bouger les lignes pour un meilleur équilibre entre biodiversité et développement, interdépendants l’un de l’autre. « La participation des acteurs locaux ne doit plus être de façade, mais remise au cœur des processus collectifs de décision et de gestion d’espaces de conservation » assure Alexandre Caron. Pour le scientifique, c’est un changement nécessaire afin de « décoloniser » définitivement le paradigme actuel de conservation. Celui qui impose des activités anti-braconnage et coupe les communautés de leurs cultures et pratiques agricoles traditionnelles, pourtant indispensables à leur bien-être.

Mais c’est surtout une question de justice sociale et environnementale. « Les personnes en périphérie des aires protégées doivent pouvoir faire valoir leurs droits autant que les autres. Dans un contexte de pauvreté déjà difficile, subir sans cesse les attaques de lions ou d’éléphants sans pouvoir se défendre serait inacceptable pour vous et moi. Qui serait prêt à tant sacrifier pour la conservation sans être maître de son destin ? » conclut-il.