Les enjeux clés de la recherche agronomique portés lors du congrès mondial de la nature de l’UICN
Événement22 septembre 2021
Le congrès pour la nature organisé par les membres de l’UICN, dont le Cirad fait partie, a fermé ses portes le 10 septembre dernier. Par les transformations nécessaires qu’il appelle, ce congrès demande d’inscrire les actions de recherche agronomique en partenariat dans la durée, de renforcer le dialogue entre scientifiques et politiques et de continuer à s’orienter vers davantage d’impact.
La pandémie avait repoussé l’événement de plus d’une année. Le congrès mondial pour la nature, organisé par l’UICN s’est finalement tenu à quelques mois des deux échéances internationales majeures : la COP 26 sur le climat qui se tiendra à Glasgow au Royaume-Uni du 1er au 12 novembre 2021 et la COP 15 sur la biodiversité qui aura lieu à Kunming en Chine du 25 avril au 8 mai 2022, après un premier sommet virtuel du 11 au 15 octobre 2021.
« Les décisions prises ici à Marseille vont orienter l’action contre les crises de la biodiversité et du climat pour la décennie à venir, qui sera cruciale. Collectivement, les membres de l’UICN envoient un message puissant à Glasgow et à Kunming: l’heure du changement fondamental, c’est maintenant », a déclaré le Dr Bruno Oberle, directeur général de l’UICN.
« Pour le Cirad, la protection de la biodiversité, c’est d’abord une priorité d’établissement, souligne Élisabeth Claverie de Saint Martin, présidente-directrice générale du Cirad. Dans notre contrat d’objectifs, c’est l’une de nos six priorités thématiques et nous le revendiquons, nous en sommes fiers. Et nous travaillons sur toute une série de sujets qui sont traités aujourd’hui dans ce congrès de l’IUCN. »
Le Cirad a été très largement impliqué dans le congrès, présent lors de multiples événements qu’il a organisés ou co-organisés, sur : la biodiversité cultivée pour une agriculture durable et résiliente, la gestion des aires protégées, une seule santé, les forêts tropicales, la déforestation importée, etc. L’occasion pour l’établissement de mettre en débat ses recherches menées en partenariat dans les pays tropicaux et méditerranéens. Le Cirad a également contribué directement à la préparation d’une dizaine des 148 résolutions et recommandations votées par l’assemblée générale des membres dans le cadre de l’événement.
La biodiversité cultivée en tant que solution pour une agriculture durable et résiliente
À travers trois sessions distinctes, les scientifiques, les pouvoirs publics et les parties prenantes du monde agricole ont pu échanger sur les relations entre biodiversité et résilience des systèmes agricoles et alimentaires et sur les bonnes pratiques pour la gestion des différentes dimensions de la biodiversité.
Pour les scientifiques, les enjeux de l’agriculture sont indissociables de ceux de la biodiversité. Les deux appellent à une meilleure intégration, à la fois des pratiques, des organisations et des gouvernances. Les communautés locales sont des acteurs clés de la gestion de la biodiversité. Il s’agit, pour les scientifiques, de renouveler notre relation à la nature, avec tous les acteurs et pour le bien-être de tous.
Ces messages ont été complétés par le regard institutionnel de représentants de l’UICN, du Cirad, de l’IRD, d’INRAE et de l’AFD lors d’une table ronde organisée le 5 septembre. Parmi les messages : la question de savoir quel type d’agriculture financer et comment optimiser ce que l’on peut attendre de la biodiversité sur les territoires. Un impératif également mis en exergue : évaluer les contributions et les mobilisations pour la transformation de l’agriculture en termes d’appui à toutes les parties prenantes, des politiques publiques aux agriculteurs. « Cette transformation nécessite du temps et de la science, a notamment rappelé Élisabeth Claverie de Saint Martin. Mais aussi des forums, des lieux de discussion sans contrainte entre scientifiques et politiques. ». Cette transformation impose de rapprocher science et politique, en orientant davantage nos actions vers l’impact.
Les aires protégées : une gestion qui peut être améliorée
Selon le nouveau rapport de l’UICN coédité par le Cirad, « Aires protégées d’Afrique centrale : État 2020 », l’Afrique centrale remplit quasiment les objectifs internationaux fixés pour le cadre post-2020 en termes de superficie protégée. La région compte aujourd’hui plus de 200 aires protégées pour une superficie totale de 800 000 km², soit environ deux fois la superficie du Cameroun. Sur les dix pays de la région, les aires protégées ont ainsi doublé en nombre et en taille depuis vingt ans. Cependant, ces aires sont souvent malmenées et témoignent d’une gestion qui pourrait être améliorée. De plus, les différents biomes sont très inégalement protégés. Dans cette région d’Afrique centrale, 70 % des mangroves bénéficient d’un régime de protection, mais c’est le cas de seulement 20 % des forêts humides et 15 % des forêts sèches et savanes. Le rapport établit un état des lieux périodique des aires protégées. Celles-ci constituent des outils centraux des politiques de conservation de la biodiversité. Cet état des lieux permet de suivre l’évolution des réseaux d’aires protégées en Afrique centrale, d’évaluer les effets des politiques passées et d’orienter les nouvelles politiques, telles que celles qui seront mises en œuvre dans le futur cadre mondial de la biodiversité post-2020.
L’Afrique centrale compte aujourd’hui plus de 200 aires protégées pour une superficie totale de 800 000 km², soit environ deux fois la superficie du Cameroun. Sur les dix pays de la région, les aires protégées ont ainsi doublé en nombre et en taille depuis vingt ans. Selon le nouveau rapport « Aires protégées d’Afrique centrale : État 2020 », l’Afrique centrale remplit quasiment les objectifs internationaux en termes de superficie protégée. Cependant, ces aires sont souvent malmenées et témoignent d’une gestion qui pourrait être améliorée. Dans une optique de développement durable, les auteurs du rapport insistent sur la richesse d’un capital naturel à protéger, qui participe en retour au développement socio-économique de la région.
La question du choix entre partage et cloisonnement de l’usage des terres
Entre une utilisation intensive d’une partie des terres tout en préservant le reste, et l’intégration au sein même de la nature de l’agriculture et de l’élevage, faut-il choisir ? La question est complexe, l’enjeu primordial. Car il s’agit bien de nourrir les dix milliards d’êtres humains qui peupleront la Terre en 2050. Lors d‘une session centrée sur l’opposition land sharing / land sparing le 7 septembre, le Cirad a présenté sa recherche en partenariat menée à Paragominas, dans l’État du Para au Brésil. Les agriculteurs ont délaissé les terres alors défrichées dans les années 1960. Les scientifiques constatent aujourd’hui la régénération naturelle de la forêt qui peut alors occuper jusqu’à 50 % de l’espace autrefois rasé.
La déforestation en Amazonie brésilienne accuse une hausse de près de 10 % par rapport à l’an dernier, selon l'INPE. Dans l’Etat du Para, l’augmentation serait proche de 25 %. Pourtant, au cœur de cet Etat, la commune de Paragominas rapporte les chiffres de déforestation les plus bas de son histoire. Sur ce territoire, le Cirad accompagne le développement de pratiques agricoles durables sur des zones déjà déforestées et promeut la restauration des paysages. Retour en images sur cette expérience inédite.
Le lien entre biodiversité et Une seule santé
Le congrès a été l’occasion de rassembler les intérêts autour de l’initiative internationale PREZODE, lancée par la France lors du One Planet Summit le 11 janvier 2021. Coordonnée par le Cirad, INRAE et l’IRD, l’initiative regroupe plus d’un millier de scientifiques dans 50 pays sur les 5 continents. Elle plaide pour la co-construction de stratégies socioécosystémiques en vue de contrer la transmission de pathogènes de l'animal à l'être humain tout en permettant aux populations de bénéficier des ressources écosystémiques.
Le Cirad, a contribué sur le sujet à une table ronde dans le cadre du 1er sommet des parlementaires francophones engagés pour la nature, avec la participation de Thierry Lefrançois, directeur du département systèmes biologiques du Cirad, membre du Conseil scientifique français Covid.
Déployer un système mondial de prévention et de surveillance des maladies émergentes, telle est l’ambition inédite de l’initiative internationale PREZODE (Prévenir les risques d’émergences zoonotiques et de pandémies). Lancé le 11 janvier lors du One Planet Summit, ce programme combine recherches et actions opérationnelles pour coordonner et renforcer les dispositifs de surveillance sanitaires, aux niveaux local, national, régional et mondial. Il réunit déjà 1000 scientifiques des 5 continents. Marisa Peyre, coordinatrice de PREZODE pour le Cirad et épidémiologiste, revient sur l’impératif de surveillance des maladies émergentes.
Le lien entre biodiversité et sécurité alimentaire
Ce lien a été illustré lors d’une session sur la gestion durable de la faune sauvage proposée par le projet Gestion durable de la Faune (Sustainable Wildlife Management - SWM). Cette session a permis de mieux faire connaître le programme. Mis en œuvre par un consortium composé de la FAO, du Cirad, du Cifor et de la Wildlife Conservation Society (WCS), SWM est un programme original d’envergure unique qui vise à mieux concilier la conservation de la faune sauvage et la sécurité alimentaire des populations dans une approche Une seule santé. Cela passe par un renforcement des compétences de gestion des communautés autochtones et rurales, la promotion de filières de productions animales sauvages et domestiques saines et durables et une révision des cadres juridiques et réglementaires.
Alain Billand, du Cirad, a notamment présenté le livre blanc du programme. Celui-ci propose des réponses permettant de prévenir, de détecter les maladies zoonotiques, et d’y réagir rapidement pour limiter les risques et l’impact négatif sur les sociétés
Comment les maladies se propagent-elles de la faune sauvage à l’être humain ? Quelles actions mettre en œuvre pour limiter les risques et l’impact sur les sociétés ? Un livre blanc et un policy brief proposent des réponses permettant de prévenir, détecter les maladies et y réagir rapidement. Ces documents ont été produits dans le cadre du programme Sustainable Wildlife Management, dont le Cirad est partenaire, et présentés lors du Global Lanscape Forum le 28 octobre 2020.
Le programme a cours dans quatorze pays d’intervention répartis en Afrique, dans les Caraïbes et le Pacifique. Les équipes scientifiques travaillent en collaboration étroite avec les administrations, les universités nationales et les acteurs locaux. Ils testent des modèles de gouvernance et de gestion durables dans ces pays qui présentent des contextes sociaux et écologiques très variés. La portée générale des solutions proposées tient à la diversité des contextes considérés.
Les forêts tropicales
L’Alliance pour la préservation des forêts tropicales et humides, créée en 2019 et regroupant 31 États porte une ambition politique forte déclinée en actions concrètes pour freiner et inverser les dynamiques de dégradation des forêts.
Le Cirad est directement intervenu dans plusieurs sessions sur ce sujet prégnant. « Les pertes de superficie des forêts tropicales sont estimées à 400 Mha entre 1990 et 2020, dont 218 Mha (7,3 Mha/an) pour les forêts tropicales humides », a rappelé Plinio Sist, directeur de l’unité de recherche Forêts et Sociétés du Cirad le 8 septembre dernier durant une session dédiée à la question sur le pavillon France. Selon l’expert, « les solutions se construisent plus à travers une coopération mutuelle entre pays qu’à travers des sanctions ».
Sur la restauration des paysages forestiers, le Cirad a co-organisé une session sur les perspectives du Restoration Barometer, un outil mis en place par l’UICN pour mesurer les avancées des programmes et identifier les obstacles. Cet outil est utilisé dans le cadre du Bonn Challenge, un effort mondial qui vise à restaurer 350 millions d’hectares de terres dégradées et déboisées d’ici à 2030.
Un site internet du défi, géré par l’UICN, suit en détail toutes les promesses d’engagement des pays.
Le Salvador, le Belize, le Pakistan, le Chili et la région sud de la France se sont engagés à restaurer au total 5,5 millions d’hectares, portant ainsi le total des engagements pris pour l’heure dans le cadre du Bonn Challenge à plus de 215 millions d’hectares.
Le phénomène de déforestation n’est pas récent. Celui de déforestation massive l’est beaucoup plus. Or celle-ci relève depuis plusieurs décennies déjà d’une problématique environnementale et sociétale cruciale. Les principales stratégies à l’œuvre aujourd’hui pour lutter contre le phénomène mettent l’accent d’une part sur la conservation des forêts existantes et d’autre part sur la restauration des forêts dégradées. Le point avec Plinio Sist, directeur de l’unité de recherche Forêts et Sociétés du Cirad à l’occasion de la Journée internationale des Forêts le 21 mars.
La déforestation importée
Entre autres fonctions majeures, les forêts jouent un rôle capital dans la préservation de la biodiversité sur Terre. Or, à l’échelle mondiale, si les zones tropicales perdent massivement leurs forêts – à hauteur de 10 millions d’hectares par an selon le dernier rapport de la FAO sur la question les zones tempérées en gagnent - + 5 millions d’hectares par an.
Selon Alain Karsenty, économiste au Cirad, environ un tiers des surfaces forestières perdues est lié au commerce international. En luttant contre la déforestation importée, il est donc possible de lutter significativement contre la déforestation et ainsi contre la perte de biodiversité.
Pour cela, il est nécessaire de :
savoir quantifier le phénomène et le suivre, ce qui implique d’être à même de définir ce qu’est une forêt et à partir de quand celle-ci peut être considérée comme dégradée ou déforestée. Or, il y a autant de seuils faisant basculer une forêt vers la déforestation que de pays ;
contenir la dégradation dans des limites viables plutôt que de vouloir l’éviter à tout prix.
Cette approche renvoie à des choix qui sont du ressort des politiques publiques et de la légalité.
Stopper l'importation de produits issus de la déforestation, une ambition qui permettrait de réduire notablement les pertes de forêts chaque année. Mais l'affaire n'est pas si simple. Un article publié dans The Conversation détaille la complexité de ce que l'on appelle aujourd'hui la déforestation importée, des concepts qui lui sont associés et propose des pistes de résolution.
La lutte conte la déforestation importée a fait l’objet d’une motion (#12) votée lors du congrès. Portée par le gouvernement français et le comité français de l’IUCN, cette motion définit précisément la déforestation importée comme l'importation de biens dont la production a contribué, directement ou indirectement, à la déforestation ou à la conversion d'écosystèmes forestiers naturels. La motion souligne également la responsabilité des entreprises qui importent des produits agricoles (en particulier le soja, l’huile de palme, etc.). Enfin, elle recommande aux États importateurs de se doter de réglementations pour mettre un terme à cette déforestation importée et aux entreprises de se doter de chaînes d’approvisionnement exemptes de déforestation.
De nombreuses personnalités politiques présentes
Avec près de 6 000 participants inscrits sur place et plus de 4 700 participants en ligne, la manifestation hybride a rassemblé de hauts responsables venus de la politique et des administrations publiques. L’occasion aussi pour le Cirad d’interagir avec ces représentants. Elisabeth Claverie de Saint Martin a notamment échangé avec plusieurs membres du gouvernement français :
le ministre Jean-Yves Le Drian, sur le rapport UICN sur les aires protégées d’Afrique centrale, co-édité par le Cirad ainsi que sur la présence dans les pays tropicaux et méditerranéens ;
la ministre Frédérique Vidal sur les relations science-société et en particulier la façon dont la science peut éclairer la prise de décisions ;
le ministre Julien Denormandie lors de la session Cultivons la biodiversité sur l’enjeu des protéines végétales et la place de la biodiversité dans la transition agroécologique;
la secrétaire d’État Bérengère Abba à l’issue d’une session consacrée à la Grande muraille verte ;
l’ambassadrice déléguée à l’environnement, Sylvie Lemmet, sur la contribution du Cirad au Groupe de travail international du Comité national de la biodiversité.
Ainsi qu’avec Son Excellence M. Pacôme Moubelet Boubeya, ministre des Affaires étrangères de la République gabonaise à la suite d’un événement France-Gabon sur la création d’un forum d’affaires pour la mise en place de chaînes de valeur durables en Afrique.
En raison du contexte sanitaire, peu de représentants internationaux des pays tropicaux et méditerranéens étaient néanmoins présents. Pour le Cirad, l’enjeu était donc aussi de porter leur voix dans les débats.
« Cette session de l’UICN se déroule dans des conditions sanitaires complexes qui ont empêché beaucoup de nos partenaires scientifiques de venir, souligne Élisabeth Claverie de Saint Martin. Il nous revient, avec d'autres collègues de la recherche au Sud de porter leur voix ici et de faire entendre leurs préoccupations au sein des débats au travers de notre recherche partenariale. »
Une contribution à une dizaine de motions
En tant que membre de l’UICN et au regard de la place de la biodiversité dans sa stratégie scientifique, le Cirad a également contribué à l’élaboration de plusieurs motions issues du congrès.
Ses scientifiques ont été directement impliqué dans la préparation des motions suivantes :
Protection des mangroves, forêts marécageuses, prairies et marais côtiers tropicaux
Assurer la compatibilité des activités anthropiques avec les objectifs de conservation dans les aires protégées
Accroître les financements dédiés à la biodiversité dans les pays en Développement
Généraliser les techniques alternatives à l’utilisation des pesticides
Lutter contre la déforestation importée
Lutter contre l’artificialisation des sols
En parallèle, le gouvernement français a également été le porteur principal de six autres motions. Trois d'entre elles impliquaient le comité français et le Cirad :
Développer les pratiques agroécologiques comme solutions fondées sur la nature
Changement climatique et crise de la biodiversité
Déforestation et filières d'approvisionnement en matières premières agricoles
Une dernière vague de motions dites urgentes a été soumise durant l’été 2021 et le Cirad a de nouveau contribué à la préparation de deux motions : l’une sur l’éthique et l’autre sur la santé.
Le Congrès de l’UICN s’est focalisé sur trois thèmes principaux :
le cadre post 2020 pour la conservation de la biodiversité, qui sera adopté par les parties à la Convention des Nations Unies sur la Biodiversité cette année même ;
le rôle de la nature dans la reprise mondiale post-pandémie ;
et la nécessité de transformer le système financier mondial et d’orienter l’investissement vers des projets positifs pour la nature.
Il s’est achevé sur la publication du « Manifeste de Marseille », une déclaration adoptée par les membres de l’UICN et porteuse d’espoir face au déclin des espèces animales et végétales.