Agriculture et climat : une COP27 en demi-teinte

Événement 5 décembre 2022
Si les systèmes agricoles et alimentaires ont occupé une partie des espaces et des esprits pendant deux semaines, les engagements opérationnels et financiers restent timides. Outils de mesure de l’empreinte carbone des élevages plus sensibles aux modèles pastoraux traditionnels, limites au techno-solutionnisme, l’après Koronovia : nos scientifiques présents à Charm el-Cheikh dressent un bilan de l’événement.
© Clément Bourgoin
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En actant la création d’un fonds dédié au financement des pertes et dommages, l’accord adopté à la COP27 a été applaudi. Mais n’apporte-t-il aucune autre avancée notable ? « On ne peut attendre d’une COP qu’elle produise des résultats immédiats. C’est progressif » rappelle Vincent Blanfort, agroécologue des pâturages au Cirad. Pour le chercheur, le fait que l’agriculture reste à l’agenda des négociations internationales et soit reconnue comme porteuse de solutions face au changement climatique donne des motifs de satisfaction.

Koronovia, c’est reparti pour quatre ans

L’aboutissement du processus de Koronovia (2017-2022) a conduit à l’adoption d’un texte reconnaissant l’importance des enjeux d’adaptation et d’atténuation. Les discussions continueront dans le cadre de « l’initiative quadriennale commune de Charm el-Cheikh sur la mise en œuvre d’une action climatique pour l’agriculture et la sécurité alimentaire ». 

Or, si aucune orientation n’est préconisée ni aucun cadre institutionnel établi pour poursuivre les négociations, « le texte envoie un message politique fort et un appel aux bailleurs de fonds », estime Marie Hrabanski, chercheuse en sciences politiques.  « Alors que le secteur agricole représente, avec les systèmes alimentaires, 37% des émissions mondiales de gaz à effet de serre en incluant la déforestation, seulement 2% du financement climatique lui est aujourd’hui dédié ». Une plateforme a aussi été créée pour accueillir les contributions des États et ouvrir de nouveaux débats, notamment sur les liens entre migrations, changement climatique, agriculture et épizooties.

Les marchés du carbone s’élargissent

Autre avancée restant à concrétiser : les marchés du carbone, destinés initialement au développement de puits de carbone via les forêts, s’élargissent aux sols.  « Des projets de séquestration du carbone agricole pourraient faire l’objet de vente de crédit carbone, dès lors que des systèmes de mesure pertinents seront stabilisés, transformant ainsi potentiellement les pratiques agricoles », considère Marie Hrabanski.

Définir collectivement des outils de mesure plus nuancés, qui prennent en compte la contribution des pratiques agropastorales au captage du carbone dans les sols : c’est tout l’enjeu des recherches du Cirad, notamment là où les références manquent et où l’élevage à l’herbe domine. Au Sahel par exemple, le projet CaSSECS fournit au secteur de l’élevage (agro)pastoral des ruminants les compétences, outils et références pour mieux quantifier leur impact sur le changement climatique et contribuer à l’élaboration de politiques territoriales adaptées. En Amazonie brésilienne, les projets TerrAmaz et Sustenta & Inova associent une bonne gestion des prairies et des animaux sur les zones favorables à une reconquête de la forêt sur les zones abandonnées. “Ces chemins vers des élevages plus rentables contribuent aux objectifs climatiques et écologiques, en complément des actions du ministère public brésilien chargé de la lutte contre la déforestation illégale, et sont l'objet de projets de finance verte”, précise Vincent Blanfort.

Linitiative 4 pour 1000 outre mer, quant à elle, analyse et promeut les pratiques favorisant le stockage de carbone dans les sols (substitution de fertilisation minérale par une fertilisation organique, reforestation des sites miniers, cultures en agroforesterie). « L’élevage industriel génère en moyenne 2 kg de méthane par litre de lait, contre 10 kg dans les élevages pastoraux, expose Vincent Blanfort. Mais chez ces derniers, le méthane est compensé par des pratiques autrement plus vertueuses en matière de stockage de carbone et préservation des ressources ».  Le Cirad plaide ainsi pour substituer des méthodologies telles que le « Global livestock environmental assessment model » (GLEAM) - sur lequel il travaille avec la FAO - aux outils de mesure actuellement conçus pour l’élevage industriel, qui ont tendance à surévaluer les impacts des autres modèles agricoles.

Insécurité alimentaire, agroécologie : les rendez-vous manqués

Le sujet de ces modèles est clivant et les intérêts des États très hétérogènes. Une partie mise sur l’agro-écologie et remet en question nos régimes alimentaires trop carnés, tandis que d’autres privilégient les solutions techniques au service d’une agriculture intensive plus « durable ».

C’est en ce sens que les États-Unis et les Émirats Arabes Unis ont exposé l’initiative AIM4C. Elle vise à introduire des additifs dans l’alimentation du bétail, pour réduire les émissions de méthane du secteur de l’élevage, sans redimensionner la taille des cheptels. « C’est emblématique de la promotion de solutions technologiques sans réflexion plus systémique », déplore Marie Hrabanski.

Grandes absentes des débats, les questions de hausse de l’insécurité alimentaire liée aux conséquences du changement climatique. « Les chemins de la finance carbone semblent, dans leurs formes actuelles, trop complexes et inadaptés aux agriculteurs familiaux et aux personnes souffrant d'insécurité alimentaire », conclut Sandrine Dury, spécialiste des systèmes alimentaires au Cirad.