Bioénergies : une fausse bonne idée si l'usage des sols est ignoré

Résultats & impact 14 décembre 2022
Miser sur les bioénergies pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre ? C’est l’un des objectifs du nouveau plan climatique de l’Union Européenne. Une décision qui pourrait avoir des conséquences négatives sur le stockage carbone, la biodiversité et la déforestation, si les changements d’usage des sols ne sont pas comptabilisés dans les émissions induites par la bioénergie.
Le maïs est une des principales cultures pour la production de bioénergie © A. Rival, Cirad
Le maïs est une des principales cultures pour la production de bioénergie © A. Rival, Cirad

Le maïs est une des principales cultures pour la production de bioénergie © A. Rival, Cirad

Le plan européen « Fit-for-55 » vise à réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre émis par les pays de l’Union Européenne d’ici 2030. Pour y parvenir, l’UE compte recourir notamment aux bioénergies, ce qui doublerait sa demande en produits agricoles, et donc en terres arables.

« Le plan obligerait l’UE à détourner 20 % de ses terres cultivées vers des cultures destinées à l’énergie, détaille Patrice Dumas, économiste au Cirad et co-auteur de l’article publié dans Nature. Il entraînerait aussi une hausse des importations de bois pour la bioénergie quatre fois supérieure aux importations actuelles. »

En parallèle, la substitution sur le territoire européen d’une production agricole pour l’alimentation vers une production agricole pour l’énergie impliquerait d’importer plus de produits alimentaires. Des cultures qui nécessiteront des terres et encourageront la déforestation à l’extérieur des frontières de l’UE.

Les scientifiques avertissent donc sur les conséquences environnementales du plan « Fit-for-55 » si les augmentations d’usage des sols induits par la production de biomasse énergie ne sont pas comptabilisées. Et ce, aussi bien au niveau de la perte de stockage de carbone au sein de l’UE, que de la perte de biodiversité et de forêts hors de l’UE.

Les bioénergies ne sont pas neutres en carbone

Si les bioénergies sont en effet plus vertes que les énergies fossiles, les chercheurs rappellent qu’elles ne sont pas non plus neutres en carbone. Les plantes stockent bien le carbone pendant leur croissance, qui est relâché au moment de la combustion. Cependant, les terres utilisées pour les cultures remplacent, directement ou indirectement, de la végétation naturelle qui tenait un rôle de stockage de carbone.

Ce changement d’usage des sols entraîne une perte à ce niveau, qui se traduit soit par plus de remplacement de végétation naturelle, et en particulier plus de déforestation, soit par moins d’abandon de terre agricole qui serait naturellement recolonisé par la végétation. De façon similaire, les forêts naturelles contiennent nettement plus de carbone que les forêts gérées dans lesquelles le bois est prélevé.

L’article invite donc à se méfier des cultures dédiées aux bioénergies. Tim Searchinger, chercheur à l’Université de Princeton et premier auteur de l’étude, souligne que destiner des sols à la bioénergie coûte forcément : « Les terres ne sont pas gratuites. Le plan sacrifie une immense opportunité pour l’UE de définir un avenir bénéfique dans le domaine des terres, avec plus d’habitats, de stockage de carbone et de biodiversité en Europe. Un avenir qui éliminerait la contribution de l’UE à la déforestation à l'étranger ».

Déforester ailleurs pour l’énergie et l’alimentation ?

L’un des points importants souligné par l’étude concerne la hausse de la déforestation hors de l’UE, et notamment au Sud, pour pallier le manque en terres arables ou pour alimenter la production de bioénergie.

Les importations de bois seraient par exemple multipliées par quatre d’ici 2030. Le plan entraînerait également une hausse des importations en produits agricoles qui ne seront plus cultivés en Europe. Ces cultures demanderont des terres et pousseront d’autres zones du globe à déforester pour leur faire de la place. Le plan entrerait donc en contradiction avec les ambitions affichées de l’UE dans la lutte contre la déforestation importée.

Quelles issues possibles ?

Les scientifiques dressent une série de recommandations dans leur article, parmi lesquelles une transition vers des régimes alimentaires moins carnés en Europe. Ensuite, prendre en compte l’empreinte en terres de la production agricole incite plutôt à intensifier pour augmenter les rendements. « En Europe cependant, les rendements sont déjà très élevés, avec des niveaux d'usage d'engrais azotés et de pesticides importants, qu’il faudrait plutôt limiter qu’augmenter. »

D’autres énergies renouvelables semblent par ailleurs plus efficaces que les bioénergies issues des cultures dédiées, en termes de concentration de l’énergie et d’empreinte en terres. C’est le cas de la bioénergie issue de résidus agricoles ou de l’énergie solaire.

« L’empreinte en terres est un indicateur encore nouveau et sous-évalué par les décideurs, se désole Patrice Dumas. A titre d’exemple, le plan entraînera la perte de la moitié des prairies semi-naturelles de l’Europe, qui concentrent une grande diversité biologique ainsi que de grandes quantités de carbone. Ce poids n’est pas mis dans la balance, et c’est une erreur. »

Les chercheurs insistent :  mieux considérer l’empreinte en terres permettrait de concentrer les efforts sur une bioénergie produite de manière suffisamment efficace pour que la substitution d’énergies fossiles compense la perte de carbone liée au remplacement de la végétation naturelle.

Référence

Timothy Searchinger, Oliver James, Patrice Dumas, Thomas Kastner & Stefan Wirsenius. 2022. EU climate plan sacrifices carbon storage and biodiversity for bioenergy. Nature