Améliorer l’efficacité climatique des terres mondiales

Plaidoyer 12 décembre 2018
Gouvernements et scientifiques ont jusqu’ici sous-estimé l’importance de l’usage des terres pour atténuer le changement climatique, selon une étude publiée le 13 décembre dans la revue Nature . Les auteurs proposent une nouvelle méthode pour évaluer la capacité d’une terre (sol et sa végétation) à atténuer les émissions de gaz à effet de serre, en fonction de son utilisation (forêt, pâturage, culture, élevage, etc). La méthode mesure également les impacts indirects d’un changement d’usage. Baptisée « Carbon Benefits Index », elle s’applique aussi bien à l’échelle du territoire que de la parcelle*.
La gestion de l'usage des sols à l'échelle des paysages est une des solutions pour réduire le changement climatique et s'y adapter. © B. Locatelli, Cirad
La gestion de l'usage des sols à l'échelle des paysages est une des solutions pour réduire le changement climatique et s'y adapter. © B. Locatelli, Cirad

La gestion de l'usage des sols à l'échelle des paysages est une des solutions pour réduire le changement climatique et s'y adapter. © B. Locatelli, Cirad

Au regard des enjeux climatiques et alimentaires, est-il plus judicieux d’utiliser ma terre pour cultiver du maïs, du soja, produire du biocarburant, de la viande ou la convertir en plantation forestière ? C’est à ce type de question qu’une étude publiée le 13 décembre dans Nature répond. Cette nouvelle étude s’intéresse aux changements à initier dans l’usage des terres pour produire autant d’aliments, tout en stockant du carbone, pour atténuer le changement climatique.

Tim Searchinger, de l’Université de Princeton, auteur principal de l’étude, insiste sur l’importance de bien mesurer l’usage de chaque hectare de terres pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux. « Les méthodes utilisées jusque-là sous-estiment considérablement les conséquences climatiques de ces décisions d’usages des terres ».

Patrice Dumas du Cirad, co-auteur de l’étude, explique : « Cette nouvelle méthode estime la quantité de gaz à effet de serre émis en moyenne pour produire un kilogramme d’aliment » . Elle prend en compte la perte de stockage de carbone dans les forêts ou savanes converties en terres agricoles et les émissions liées à la production agricole. « Cette méthode permet d’évaluer les émissions associées à un changement de production agricole, en terme de déforestation ou de reforestation, et de l’inclure dans les bilans des émissions d’un changement d’usage des sols » , précise Patrice Dumas.

L’étude fait ressortir notamment que :

  • Le régime alimentaire de l’Européen « moyen » génère autant de gaz à effet de serre (GES**) sur 30 ans que d’autres secteurs, comme le secteur énergétique.
  • Un hectare de pâturage de bonne qualité au Brésil a la même capacité de stockage de carbone qu’une forêt qui serait replantée en Europe ou aux États-Unis.
  • La plupart des biocarburants, du fait de l'extension des terres cultivées qu'ils peuvent induire, génèrent sur plus de 30 ans, entre une fois et demie à trois fois les émissions de GES des carburants à base de pétrole.

Tim Searchinger ajoute que les décideurs politiques doivent influencer à la fois les gestionnaires des terres et les consommateurs, tout en aidant les agriculteurs à améliorer leur efficience climatique : « Par exemple, le bœuf est en règle générale très inefficace du point de vue climatique. En consommant moins de boeuf, d'agneau et de produit laitier, on peut réduire jusqu'à 70 % ses émissions de gaz à effet de serre. De même, un éleveur peut réduire l’impact de sa production sur le climat, en améliorant certaines de ses méthodes ».

« Cette nouvelle étude met en exergue tout l’intérêt de la prospective sur l’usage des terres pour la sécurité alimentaire, Agrimonde-Terra. Sur les cinq scénarios élaborés, il n’y a que dans un seul scénario, dit « Sain », où l’agriculture contribue à atténuer le changement climatique, tout en préservant les ressources naturelles et en créant des emplois » , commente Marie de Lattre Gasquet du Cirad, co-auteur de l’ouvrage Land Use and Food Security in 2050: a Narrow Road .

Ce scénario “Sain” nécessite des politiques publiques ambitieuses et de long terme, comme l’a pointé une Tribune des PDG du Cirad et de l’Inra parue dans le journal Le Monde en novembre.

Référence

Timothy D. Searchinger (1), Stefan Wirsenius (2), Tim Beringer (3), Patrice Dumas (4). 2018. Assessing the efficiency of changes in land use for mitigating climate change. Nature

(1) Princeton University, Etats-Unis
(2) Chalmers University of Technology, Gothenburg, Suède
(3) Humboldt-Universität zu Berlin, Allemagne
(4) Cirad, France

*Ces travaux de recherche ont été financés par la Fondation David et Lucille Packard et l'Agence norvégienne pour la coopération au développement.

**GES = gaz à effet de serre (protoxyde d’azote, dioxyde de carbone, méthane)

COP 24 : une journée sur les sols pour la sécurité alimentaire et le climat

Ce jeudi 13 décembre, 150 représentants de ministères, bailleurs de fonds, entreprises du secteur agricole et agro-alimentaire, ONG, organismes de recherche sont réunis à Katowice en Pologne dans le cadre de la journée annuelle de l'Initiative “4 pour 1000”. L'occasion, notamment, de poursuivre le volet recherche de cette initiative sur les sols pour la sécurité alimentaire et le climat. Le programme de recherche comprend l’étude des mécanismes et l'estimation du potentiel de stockage du carbone dans les sols ; l'évaluation des performances des pratiques de gestion des terres vertueuses et de leurs conséquences sur la séquestration du carbone organique des sols ; l’étude des conditions favorables au maintien et à l’augmentation du stock de carbone dans les sols à court, moyen et long terme ; le suivi, la notification et la vérification des résultats des actions de séquestration menées.