Julien Demenois « Le rapport du Giec sur les terres et le changement climatique résonne avec la position du Cirad »

Regard d'expert 8 août 2019
Le Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (Giec) vient de publier un rapport spécial et inédit sur les terres et le changement climatique. Le contenu concorde avec les recherches et le positionnement du Cirad. Trop longtemps cantonné au seul rôle d’émetteur de gaz à effet de serre (GES)*, le secteur agricole offre pourtant un fort potentiel pour atténuer et s’adapter au changement climatique comme mis en avant par l’initiative 4 pour 1000. Le rapport liste et évalue, à la lueur de différents critères, plusieurs pistes de solutions. Décryptage avec Julien Demenois, chercheur en écologie et chargé de mission 4 pour 1000 au Cirad.
La terre au sahel est pauvre en matière organique © C. Dangléant, Cirad
Julien Demenois est chercheur en écologie et chargé de mission « 4 pour 1000, les sols pour la sécurité alimentaire et le climat » au Cirad © C. Dangléant, Cirad

Le Giec vient de publier un rapport spécial entièrement dédié à l’utilisation des terres, c’est une première. Qu’en pensez-vous ?

Julien Demenois : Cet état des lieux est effectivement le premier du genre. On ne peut que se féliciter d’un tel travail qui pointe les liens étroits et cruciaux entre agriculture, changement climatique et sécurité alimentaire. Ces questions sont portées par le Cirad depuis longtemps déjà, mais que le Giec s’en fasse désormais l’écho pourrait augmenter leur prise en compte par les décideurs. Une autre satisfaction est de constater que ce rapport est très concordant avec nos travaux et conclusions, preuve que nos recherches cadrent parfaitement avec les enjeux actuels.

Quel est le constat principal du groupe d’experts ?

J. D. : Ce rapport indique que même l’ambition de l’Accord de Paris (limiter le réchauffement à 2 °C **) fait peser un risque élevé sur la sécurité alimentaire mondiale. Les experts soulignent aussi qu’il sera impossible d’atteindre un tel objectif sans une transformation de nos systèmes agricoles et alimentaires. Les projections entre 2010 et 2050 montrent, en effet, qu’en l’absence de changement technologique et d’autres mesures d’atténuation, le secteur agricole verra ses émissions de GES augmenter de 80 à 92 %.

Cette nécessité de changer nos manières de produire rejoint la conclusion de plusieurs travaux impliquant le Cirad, dont certains ont près d'une décennie. Je citerais, par exemple, le récent rapport du World Resources Institute « Creating a Sustainable Food Future » réalisé en partenariat avec le Cirad, l’appel du prestigieux groupe de Milan à transformer les systèmes alimentaires pour relever les Objectifs du développement durable de l’ONU ou encore les prospectives Agrimonde et Agrimonde Terra.

Le travail de prospective initié par l’étude Agrimonde entre 2006 et 2010 était assez précurseur dans ce domaine, non ?

J. D. : Oui, c'était probablement le premier à offrir une rétrospective sur l’évolution des agricultures et alimentations du monde, de l'usage des terres aux diètes alimentaires en passant par les productivités de la terre ou encore le commerce en calories alimentaires. L'un des scenarii proposé, « Agrimonde 1 », était d'ailleurs déjà basé sur l'agroécologie et l'agroforesterie côté production, et sur la diminution des consommations de produits animaux et des gaspillages coté consommation.

Le rapport du Giec propose des voies d’actions pour atténuer les effets du changement climatique et s’adapter. Quelles sont-elles ?

J. D. : Le rapport le souligne, et j’en suis convaincu, qu’il n’y a pas de solution unique. Il faut agir sur tous les fronts. Cela nécessite une implication de tous les secteurs et de tous les acteurs, un élan global.

Cela dit, les experts ont considéré plusieurs solutions liées à l’usage des terres, aux activités agricoles et alimentaires. Toutes ont été évaluées à l’aune de plusieurs critères : atténuation, adaptation, sécurité alimentaire, désertification et dégradation des terres. C’est une approche pertinente car il n’existe pas de solutions où tous les critères sont au vert. Certaines solutions offrent cependant les meilleurs compromis comme l’augmentation de la matière organique dans les sols (initiative 4pour1000), l’agroforesterie ou la reforestation. Ces conclusions nous confortent un peu plus dans la pertinence des recherches menées par le Cirad et ses partenaires.

Espérons que les décideurs politiques et économiques se saisissent de ce rapport et agissent. C’est aussi notre rôle en tant que scientifiques de les y aider. Dans ce sens, le Cirad participe, par exemple, activement au processus de Koronivia au travers de plaidoyers basés sur des connaissances scientifiques et destinés aux négociateurs des COP Climat.

La vulnérabilité toute particulière des agricultures tropicales est-elle prise en compte dans ce rapport ?

J. D. : Le rapport pointe la concomitance entre la croissance démographique et le fort impact du changement climatique dans les zones arides et semi-arides, et notamment au Sahel. Les experts mettent en garde sur la conjonction de ces deux facteurs qui pourraient anéantir toute capacité d’adaptation de ces populations déjà vulnérables. Là encore, les conclusions du Giec sont en accord avec les nôtres et celles de nos partenaires. En effet, les risques du réchauffement sont plus élevés dans les pays du Sud (pourtant les moins émetteurs) où une augmentation de 2 °C, la moyenne mondiale visée par l’Accord de Paris, a beaucoup plus d’impact qu’en zone tempérée.

Propos recueillis par Caroline Dangléant

 

* Le secteur agricole est à la fois victime et responsable du changement climatique. Il contribue à un quart des émissions anthropiques de gaz à effet de serre (GES), voir à un tiers en tenant compte des émissions liées aux pertes et aux déchets alimentaires.** D’ici 2100 et par rapport à la période préindustrielle.