Science en action 13 février 2025
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Le renouvellement des palmeraies, l’énorme défi de l’agriculture indonésienne

Petite exploitation de palmiers à huile, sur l’île de Sumatra en Indonésie © Turinah
L'essentiel
- Sur l'île de Sumatra en Indonésie, les palmeraies vieillissantes devront bientôt être remplacées. La période de replantation est critique pour les petits planteurs, qui voient leurs revenus baisser drastiquement pendant au moins cinq ans.
- L'enjeu est également énorme en matière de préservation des sols et des écosystèmes sur les nouvelles palmeraies, et plusieurs plantations s'orientent vers l'agroécologie.
- En Asie du Sud-Est, 40 % de la production est effectuée par des petits planteurs sur des fermes d'environ deux hectares. En Indonésie, la majorité de ces exploitations familiales ont réduit largement leur usage des pesticides et font tout pour respecter les normes européennes de culture durable d'huile de palme.
L’huile de palme à mauvaise presse. Et pour cause : les hectares de monocultures, véritables océans de palmiers, ont engendré déforestation et dégradation des écosystèmes. Les palmeraies sont pourtant économes en surfaces cultivées si on vient les comparer à d’autres cultures oléagineuses. Il faut en moyenne 0,28 hectare de palmiers à huile pour produire une tonne de corps gras végétaux, contre 2,39 hectares pour du soja ou 1,32 pour le colza.
En Indonésie, le développement de la culture de palmiers à huile sur les quarante dernières années a été l’une des premières causes de déforestation. Mais l’activité a aussi favorisé la croissance économique dans les zones rurales. Pour de nombreuses familles, la production d’huile de palme leur a permis d’acheter des terres, qu’ils pourront conserver sur plusieurs générations.
Aujourd’hui, la plupart des palmiers sont trop vieux pour être exploités. Pour aider les petits paysans à replanter, des scientifiques évaluent l’impact de différentes pratiques agroécologiques et de la solidarité entre fermes. L’objectif : développer des stratégies de replantation économiquement viables et qui préservent la santé des sols pour encore plusieurs cycles de culture, évitant ainsi une nouvelle phase de déforestation.
La replantation : période critique pour les petits paysans
À Sumatra, la majorité des palmeraies indonésiennes ont plus de vingt-cinq ans. Les arbres, qui ont atteint entre vingt à trente mètres de hauteur, deviennent trop grands pour la récolte. S’ils veulent continuer à produire, les planteurs doivent couper et replanter. Une période critique durant laquelle ces fermes de quelques hectares sont sans revenu, et qui peut durer cinq ans. La diversification des cultures présente un avantage certain pour éviter un passage à vide.
Turinah, doctorante à Supagro Montpellier, et Suzelle Verant, agronome au Cirad, travaillent auprès de petits planteurs de l’île de Sumatra, sur une zone de 5200 hectares. Les deux chercheuses collaborent avec l’université de Jambi et le ministère de l’agriculture indonésien pour proposer des modes de replantation viables et résilients. « L’objectif premier, c’est de conserver les acquis sociaux des petits planteurs, souligne Turinah. Le risque lors de la replantation, c’est l’abandon des terres et la déforestation ailleurs, là où les arbres sont faciles à couper et avec des sols encore intouchés par l’activité agricole donc très fertiles. Cela voudrait dire repartir à zéro pour ces agriculteurs, alors qu’ils ont mis des années à rembourser l’emprunt sur leurs terres. »
À chacun sa stratégie
La première étape, qui consiste à enlever les vieux palmiers, peut être mise en œuvre de manière individuelle ou collective. Certaines organisations de paysans réussissent à mettre en commun des ressources financières pour louer de grosses machines, et ainsi réduire le coût de l’abattage. Dans les cas où l’abattage doit se faire manuellement, plusieurs petits planteurs empoisonnent d’abord leurs arbres. Chaque stratégie d’abattage vient avec ses contraintes et bénéfices. Les scientifiques étudient les fermes qui ont déjà sauté le pas, et rapportent les résultats aux exploitations qui doivent encore choisir.
Les petits planteurs testent ensuite différentes pratiques agroécologiques pour leur nouveau cycle de culture. « L’utilisation de compost permet de protéger les sols après l’abattage des arbres, détaille Suzelle Verant. Planter du maïs, des arachides, du manioc ou des bananiers les premières années assure des revenus alternatifs. Nous essayons de mettre au point tout un panier de solutions, que chaque agriculteur pourra adapter à son exploitation. »
Planter pour demain : l’enjeu environnemental
Pour les paysans, mais aussi pour le territoire, anticiper est clé. Les arbres plantés aujourd’hui resteront pour les vingt-cinq prochaines années. La qualité des variétés, le mode de culture, l’état des sols sont du capital que ces familles lègueront à leurs enfants. Si les contraintes économiques à court terme restent prioritaires pour le maintien même de leur activité, les fermes ont conscience des impacts écologiques d’un potentiel nouveau cycle en monoculture.
« Aujourd’hui la déforestation à Sumatra s’est quasiment arrêtée et les petites exploitations sont très au fait de la réglementation, notamment pour la vente vers l’Union européenne, décrypte Turinah. La plupart des fermes évitent l’utilisation abusive d’engrais chimiques et possèdent la certification RSPO, afin de prouver qu’elles suivent des processus de développement durable pour l’huile de palme. »
La chercheuse indonésienne travaille avec les producteurs depuis plus de cinq ans. Elle espère voir se développer tout un ensemble de pratiques agroécologiques adaptées à chaque ferme et qui viendront s’enrichir sur les prochaines générations. « Les planteurs sont formés et peuvent aller chercher un accompagnement auprès d’ONG locales, rappelle Turinah. Le gouvernement propose également une aide financière de 30 millions de rupiahs par hectare pour la replantation, à condition qu’elle ne soit pas effectuée sur une zone forestière. »
« Si la replantation est bien faite, on peut éviter toute nouvelle déforestation, ajoute Suzelle Verant. C’est un énorme défi pour l’agriculture indonésienne. Les efforts en recherche manquent, notamment pour apporter aux petits producteurs un maximum d’informations et de soutiens, agronomiques et organisationnels. »
Faire rimer biodiversité et culture de palmiers à huile
L’huile de palme est souvent décriée, à cause des impacts écologiques énormes des monocultures de palmiers. La plante en elle-même est pourtant intéressante à bien des égards, que ce soit pour sa productivité ou pour l’excellente qualité nutritionnelle de l’huile de palmier non raffinée, rouge.
Au Cirad, plusieurs projets de recherche visent à développer des alternatives aux monocultures et à faire revenir la biodiversité dans les palmeraies. Cela passe d’abord par une diversification des plantes cultivées sur une même parcelle, via de l’agroforesterie par exemple. C’est le pari du projet TRAILS en Malaisie, qui associe du palmier à d’autres plantes endémiques de Bornéo, et encourage ainsi la recolonisation des paysages par la faune sauvage. Au Mexique, des systèmes agroforestiers évitent une trop grande fragmentation du paysage et maintiennent des corridors pour la petite faune.