Regard d'expert 19 mars 2024
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- Les agrumes face à la maladie du dragon jaune
Allons-nous vivre dans un monde sans agrumes ?
Sommes-nous condamnés à ne plus pouvoir consommer d’agrumes dans les années à venir ? La question peut être posée tant la situation est grave dans le monde agrumicole. Une maladie, le Huanglongbing, encore appelée HLB ou « citrus greening », dévaste les vergers en Asie, aux Amériques et dans plusieurs pays africains. Si la production mondiale n’a fait qu’augmenter au cours des dernières années en raison de fortes demandes du marché et à de nouvelles plantations, le développement de la maladie fait craindre le pire pour l’agrumiculture. Les conséquences économiques sont dramatiques dans certains pays. Dans tous les territoires touchés, au Brésil comme en Guadeloupe, la production s’est effondrée de plus de 60 % en deux à trois ans après la découverte de la maladie. La Floride, producteur bien connu d’oranges, a vu des milliers d’emplois s’envoler dans le secteur agrumicole. Partout des mesures drastiques de quarantaine et de gestion sont mises en place. Le cours du jus d’orange a doublé en un an. Désormais, les industriels du secteur peinent à se fournir en matière première.
La maladie est causée par une bactérie du genre Candidatus Liberibacter qui parasite les vaisseaux conducteurs de sève, le phloème. En présence de la bactérie, les arbres réagissent en produisant un sucre, la callose, qui s’accumule en excès dans les vaisseaux et les obture, comme lors d’une thrombose. Les produits de la photosynthèse synthétisés dans les feuilles ne sont alors plus distribués dans l’arbre. Ainsi après une longue phase asymptomatique, ces dégâts internes se révèlent sous la forme de marbrures jaunes sur les feuilles. Les fruits se déforment, prennent une coloration anormale et deviennent plus amers, ce qui rend impossible leur commercialisation. Des rameaux puis des branches dépérissent. Ces symptômes commencent sur une branche avant de gagner la totalité de l’arbre. Au bout de quelques années, le bouchage des vaisseaux conduit inéluctablement à la mort des arbres.
Une bactérie transmise par des insectes
La bactérie est transmise par deux insectes piqueurs-suceurs de la famille des psylles. Ces petits insectes ailés de 2 à 5 millimètres se nourrissent, comme les pucerons, en insérant leur rostre dans les plantes pour sucer la sève. Lorsqu’ils se nourrissent sur de très jeunes rameaux d’agrumes porteurs de la maladie du HLB, ils peuvent être contaminés par la bactérie, qui va se multiplier en eux, et qu’ils vont retransmettre à d’autres arbres, tout comme les moustiques transmettant les virus de la dengue ou du chikungunya. Ces deux espèces de psylles sont assez spécifiques des agrumes et d’espèces apparentées comme l’oranger jasmin (Murraya paniculata) souvent employé comme plante d’ornement.
L’efficacité de la transmission de la bactérie par les psylles est redoutable. Une seule piqûre peut suffire à transmettre la maladie. Le psylle asiatique (Diaphorina citri) d’origine tropicale et subtropicale a pour l’heure été observé en Asie, en Amérique du Sud, dans les Caraïbes, en Floride et en Californie. Le psylle africain (Trioza erytreae) est lui plus adapté aux conditions fraîches de certains plateaux africains.
Pour l’heure, parmi les grandes zones agrumicoles mondiales, seuls le bassin méditerranéen et l’Australie ne sont pas infectés par la maladie. Toutefois, le psylle africain, même s’il n’est pas porteur de la maladie, est déjà bien implanté en Espagne et au Portugal depuis respectivement 2014 et 2015. Le psylle asiatique, qui est considéré comme le vecteur le plus efficace pour transmettre la bactérie, a été identifié en Israël en 2021. Plus récemment encore, durant l’été 2023, ce même insecte a été identifié pour la première fois dans l’espace européen à Chypre. On suspecte que ces mouvements à longue distance pourraient être liés aux échanges commerciaux de plants d’agrumes ou au transport par les voyageurs de plantes ornementales. Les températures plus chaudes associées au changement climatique pourraient aussi être favorables à l’adaptation de D. citri dans l’ensemble du bassin méditerranéen.
Des milliards de dollars de perte
En Floride, en vingt ans, la culture des agrumes a été complètement dévastée et la production d’orange a baissé de plus de 60 %. L’industrie du jus d’orange floridienne a perdu plus de 3 milliards de dollars et près de 50 % des emplois associés. Enfin, les phénomènes cycloniques au cours des dernières années, ont aggravé le phénomène en favorisant la chute des fruits des arbres déjà fortement fragilisés par la maladie. La recherche n’ayant pas de solution immédiate à proposer, certains considèrent que l’agrumiculture floridienne ne pourra pas s’en remettre. Les autres états du sud des États-Unis sont également menacés. Malgré des efforts énormes de prophylaxie, la maladie progresse en Californie.
Au total, ce sont plusieurs milliards de dollars qui auraient été investis au cours des deux dernières décennies pour lutter contre la maladie dans le monde, sans toutefois pouvoir proposer de solution durable.
Au Brésil, dans l’état de São Paulo, où la maladie est présente depuis 2004, l’arrachage des arbres infectés et l’utilisation massive de pesticides ̶ jusqu’à plus de 46 traitements par an ̶ pour limiter les populations de psylles, a permis de restreindre le taux d’infection des arbres autour de 20 % au cours des deux dernières décennies. Toutefois, depuis quelques mois, le taux d’infection est monté à près de 38 % dans les fermes de taille moyenne, suggérant l’émergence de résistances aux pesticides chez les psylles et une dégradation du contrôle de la vection de la maladie. La situation conduit les investisseurs à planter dans des zones où les psylles ne sont pas ou peu présents comme dans l’état du Minas Gerais.
Une recherche très active
Pour le bassin méditerranéen, l’urgence est de limiter les populations de psylles, notamment au moyen de la lutte biologique. Ainsi le Portugal et l’Espagne procèdent actuellement avec succès à des lâchers massifs de parasitoïdes des psylles, de petits insectes qui pondent leurs œufs dans les psylles et dont les larves se développement à leurs dépens, les dévorant de l’intérieur. Cette solution va aussi être mise en place à Chypre.
Le suivi épidémiologique pour prévenir l’émergence de la bactérie au travers d’échantillonnages réguliers sur l’ensemble du pourtour méditerranéen est une autre priorité. Elle devra conduire dans le cas de résultats positifs à un arrachage immédiat des arbres infectés pour éradiquer les foyers de contamination.
Enfin, il est absolument nécessaire d’informer le secteur agrumicole, mais également les citoyens sur les risques encourus lors du déplacement de matériel végétal, l’importation et l’utilisation de greffons provenant de territoires infectés vers des zones non infectées étant la principale origine de nouveaux de foyers de la maladie. D’ores et déjà, l’UE a pris la mesure du problème en catégorisant les bactéries du HLB et leurs psylles vecteurs comme organismes de quarantaine prioritaire, ce qui impose aux États membres des plans de surveillance et de contingence adaptés. En France, les services en charge de la surveillance et le monde de la recherche se mobilisent au travers d’une cellule dédiée au sein de la Plateforme nationale d’Epidémiosurveillance en Santé Végétale et le lancement de plusieurs projets de recherche action.
L’ensemble des agrumes cultivés est sensible au HLB et la recherche de variétés et porte-greffes résistants est aujourd’hui un axe de recherche essentiel dans la perspective du développement de systèmes de production durable. Des travaux récents suggèrent que certains génotypes apparentés aux agrumes cultivés, au sein des Aurantioideae, par exemple le citron caviar présenteraient des caractères de résistance stricte. C’est donc ce type de matériel végétal que le Cirad est ses partenaires étudient pour comprendre les mécanismes biologiques gouvernant les interactions entre la bactérie et les plants agrumes.
Cela implique de développer des populations d’hybrides entre des individus résistants et des individus sensibles et de caractériser leur résistance vis-à-vis de la maladie. Les études génétiques et de génomique mises en œuvre sur ce matériel végétal doivent nous permettre d’identifier des gènes associés aux mécanismes de résistance. In fine, il sera alors possible, dans le cadre de nouveaux croisements entre génotypes pré-sélectionnés, ou d’approches biotechnologiques de proposer des porte-greffes et des variétés résistantes à la maladie, ouvrant la voie à une agrumiculture ne nécessitant plus le recours massif aux pesticides dans les vergers.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation le 6 août 2024.