Cacao et agroforesterie : faire le pari de la régénération naturelle des arbres

Résultats & impact 19 avril 2023
La cacaoculture demeure l’une des principales causes de déforestation en Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui, via l’agroforesterie, la filière participe à la réintroduction des arbres dans le paysage. Une transition nécessaire, mais qui s’appuie sur des programmes coûteux. En Côte d’Ivoire, des scientifiques ont passé 240 hectares de cacaoyères au peigne fin. Leurs résultats encouragent la filière à davantage miser sur la régénération naturelle des arbres déjà présents ou qui poussent spontanément.
Un inventaire d'environ 12 000 arbres a été effectué dans plus de 150 cacaoyères à travers la Côte d’Ivoire © B. Hérault, Cirad
Un inventaire d'environ 12 000 arbres a été effectué dans plus de 150 cacaoyères à travers la Côte d’Ivoire © B. Hérault, Cirad

Un inventaire d'environ 12 000 arbres a été effectué dans plus de 150 cacaoyères à travers la Côte d’Ivoire © B. Hérault, Cirad

Plus de 12 000 arbres géoréférencés dans 150 cacaoyères à travers la Côte d’Ivoire : cet inventaire monumental a été produit par une équipe scientifique ivoiro-française dans le cadre du projet DeSIRA (Development Smart Innovation through Research in Agriculture), Cocoa4Future, financé par l’Union européenne et l’Agence française de développement. Sur l’ensemble des arbres recensés, 20 % visent à produire du bois d’œuvre, destiné à être utilisé pour sa matière, et non brûlé comme c’est le cas du bois-énergie. Ces arbres représentent donc une ressource économique potentiellement importante pour les producteurs de cacao travaillant en systèmes agroforestiers. 

D’où viennent ces arbres ? « Dans l’imaginaire collectif, les cacaoyères sont forcément des milieux très contrôlés : on pense que les arbres présents dans les systèmes agroforestiers ont été plantés par les agriculteurs, répond Bruno Hérault, écologue forestier au Cirad. Or, l’observation de la cacaoculture ivoirienne montre que c’est majoritairement faux. » 

Bruno Hérault a supervisé ce travail d’inventaire de plus de 240 hectares de cacaoyères ivoiriennes et les résultats qui en sont issus. Selon ces derniers, environ 70 % de la ressource actuelle en bois d’œuvre de ces cacaoyères proviennent d’arbres rémanents, c’est-à-dire ayant grandi dans la forêt préexistante à l’installation des cacaoyers. Les scientifiques ont été jusqu’à estimer la ressource future : 77 % de celle-ci proviendra très probablement d’arbres qui auront poussé de manière spontanée au sein des cacaoyères déjà installées. 

Des résultats qui viennent questionner l’efficacité des programmes actuels de plantation d’arbres, qu’ils soient publics ou privés. « En Côte d’Ivoire, la réintroduction d’arbres dans les cacaoyères est encouragée via des programmes extrêmement coûteux et ambitieux, détaille Bruno Hérault. On compte déjà plus de 10 millions d’arbres distribués ou plantés, ce qui représente plus de 5 milliards de francs CFA. Or, beaucoup de ces plants meurent, faute d’avoir été effectivement plantés ou faute de l’avoir été dans de bonnes conditions, tandis que d’autres arbres, souvent des mêmes espèces, poussent spontanément à côté ».

S’appuyer sur les dynamiques naturelles pour des arbres plus résistants

Le faible pourcentage des arbres plantés parmi les ressources en bois d’œuvre actuelles et futures s’explique notamment par le « choc de plantation ». Selon Aimé Kouassi, doctorant de l’Institut National Polytechnique Félix Houphouët-Boigny et premier auteur de l’étude : « En Afrique de l’Ouest, beaucoup d’arbres construisent d’abord leurs racines pour résister à la saison sèche. En pépinière, les arbres entament au contraire leurs premiers stades de croissance dans de bonnes conditions et, de ce fait, ne développent pas autant leurs racines. Cela crée un choc lorsqu’on les transplante en conditions réelles au sein des cacaoyères, et la plupart d’entre eux meurent ou végètent. » 

Sans tirer un trait sur ces programmes, les chercheurs évoquent un besoin d’appui technique et de suivi des plantations. Surtout, ils plaident pour une complémentarité avec d’autres approches, notamment la régénération naturelle des arbres déjà présents dans les cacaoyères.

« Les arbres spontanés sont souvent des individus très résilients, qui ont de bonnes chances de se développer correctement avec très peu d’accompagnement technique », atteste Bruno Hérault. Sur près des 2500 arbres de bois d’œuvre identifiés, les trois quarts ont en effet « poussé tout seuls ».

Appui financier et politique nécessaire

Les résultats de cette étude encouragent ainsi les financeurs des programmes de plantation à rediriger une partie des fonds vers l’accompagnement de pratiques de régénération naturelle, moins chères et plus efficaces. Mais les scientifiques pointent également le rôle primordial des décideurs publics pour assurer la bonne mise en œuvre du code forestier.

En Côte d’Ivoire, le code forestier a en effet été modifié en 2019, notamment pour garantir les droits des agriculteurs sur les arbres présents dans leurs champs, qu’ils soient d’origine naturelle ou non. Au-delà de ce cadre protecteur favorable, le transfert effectif de propriété tarde à se concrétiser, ce qui affecte grandement la capacité des agriculteurs à s’engager en agroforesterie, et participer ainsi davantage à l’effort de reconquête du couvert forestier national : 20 % d’ici 2030, contre 9 % aujourd’hui.

Référence

Aimé K. Kouassi, Irié C. Zo-Bi, Raphaël Aussenac, Isaac K. Kouamé, Marie R. Dago, Anny E. N'guessan, Patrick Jagoret, Bruno Hérault. 2023. The great mistake of plantation programs in cocoa agroforests – Let's bet on natural regeneration to sustainably provide timber wood. Trees, Forests and People 12 : 100386