Agriculture : réduire la fracture numérique en Afrique de l’Ouest

Science en action 24 janvier 2022
Réseaux sociaux et applications numériques sont de plus en plus utilisés dans le monde agricole. Caractériser les différents usages de ces technologies en Afrique de l’Ouest, telle est l’ambition du projet Fracture numérique, coordonné par le Cirad. Lancé simultanément au Bénin, au Sénégal et en Côte d’Ivoire dans trois filières aux enjeux variés, ce projet s’attache aussi à analyser les facteurs qui ralentissent ou favorisent l’essor du numérique en agriculture. Avec l’espoir, à terme, de pouvoir contribuer à un développement inclusif et durable de ces technologies pour le plus grand bénéfice des agricultrices et des agriculteurs.
Les technologies numériques facilitent la collecte du lait local comme ici au Sénégal © J. D. Cesaro, Cirad
Les technologies numériques facilitent la collecte du lait local comme ici au Sénégal © J. D. Cesaro, Cirad

Les technologies numériques facilitent la collecte du lait local comme ici au Sénégal © J. D. Cesaro, Cirad

Le numérique peut se révéler un formidable levier de développement en Afrique de l’Ouest, tout particulièrement dans le domaine agricole. Les technologies associées au numérique sont en effet susceptibles de contribuer à l’essor d’une agriculture plus diversifiée, compétitive, inclusive et durable. Mais le numérique comporte aussi des risques. Outre les problématiques liées aux données, ces technologies peuvent générer ou creuser des inégalités sociales et économiques. « Il existe d’ores et déjà des disparités d’accès et d’usages des technologies et services permis par le numérique en Afrique de l’Ouest », rappelle Nicolas Paget, spécialiste de l’agriculture numérique au Cirad. Alors que la 4G est disponible dans les grandes villes, de nombreuses zones blanches persistent dans des régions peu peuplées comme certaines zones sahéliennes. Par ailleurs, les coûts associés au numérique ainsi que les capacités et les motivations de chacun à utiliser ces technologies occasionnent des inégalités au détriment de populations déjà vulnérables, notamment les petits éleveurs et agriculteurs.

Caractériser et analyser la fracture numérique

Le projet Fracture numérique a été lancé en novembre 2021 pour explorer et comprendre ces inégalités dans trois filières agricoles aux situations contrastées : le maraîchage au Bénin, la collecte du lait au Sénégal et la filière cacao en Côte d’Ivoire. Financé par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, ce projet est porté par le Cirad avec le soutien de #DigitAg au travers du réseau international mis en place dans le cadre de l’Institut Convergences Agriculture Numérique.
Le projet s’attachera tout d’abord à mieux connaître cette fracture numérique à l’aide d’enquêtes de terrain. Il s’intéressera ensuite aux causes et aux conséquences de ces disparités d’usages sur le bien-être et le succès des actrices et des acteurs de ces filières à travers des entretiens individuels et collectifs.
« La diversité de cas étudiés nous permettra d’acquérir une vision d’ensemble des problématiques liées au numérique afin d’en tirer des leçons transversales, déclare Nicolas Paget, responsable de ce projet. Celles-ci seront alors restituées à travers des ateliers collectifs afin de renforcer la capacité des acteurs du numérique concernés à produire des outils et services numériques pertinents et adaptés aux capacités des agriculteurs et aux contraintes locales. »

Le maraîchage pour les centres urbains du Bénin

Au Bénin, les cultures maraîchères fournissent les grandes villes de Cotonou et de Parakou en produits frais. « La filière est très éclatée et décentralisée avec la plupart des acteurs disposant de leur propre réseau pour écouler leurs légumes, explique Nicolas Paget qui coordonne ce cas d’étude en collaboration avec l’Université nationale d’agriculture de Kétou. Or, « les producteurs et productrices n’utilisent pas d’outils numériques spécifiques bien que beaucoup d’entre eux se servent des réseaux sociaux pour vendre leurs produits ou échanger des conseils.. » Au-delà de la caractérisation de la fracture numérique, ce cas d’étude s’attachera aussi à déterminer si un usage avancé du numérique pourrait améliorer la capacité des producteurs à accéder au marché, à acquérir des connaissances ou encore à développer leur réseau.

La filière lait du Sahel sénégalais

Une application sur smartphone permet de faciliter la collecte de lait auprès des multiples producteurs comme ici au nord du Sénégal © J. D. Cesaro, Cirad

Une application sur smartphone permet de faciliter la collecte de lait auprès des multiples producteurs comme ici au nord du Sénégal © J. D. Cesaro, Cirad

La situation est tout autre dans le cas d’étude sur l’industrie laitière du nord du Sénégal, dans la zone sylvo-pastorale du Ferlo. « Les éleveurs associés à la Laiterie du Berger se sont appropriés plusieurs outils numériques pour la collecte du lait, les paiements ou encore la vente d’aliments destinés aux vaches », précise Jean-Daniel Cesaro, géographe spécialiste des flux liés à l’élevage dans les territoires au Cirad et responsable de cette zone d’intervention du projet Fracture numérique. Avec le soutien de l’Institut sénégalais de recherche agricole de Saint Louis et de la plateforme d’innovation lait de Dagana (PIL), l’étude s’appliquera notamment à comparer la situation de ces éleveurs associés à la Laiterie du Berger à ceux qui n’y sont pas affiliés.

Le cacao en Côte d’Ivoire

Quant à la filière cacao, celle-ci « est très verticale avec un marché caractérisé par plusieurs centaines de milliers de producteurs pour seulement quelques gros acheteurs », explique Martin Notaro, agronome au Cirad, qui coordonne le travail de ce troisième cas d’étude en collaboration avec l’Institut national polytechnique Houphouët Boigny de Yamoussoukro. À travers l’étude de trois régions productrices de cacao localisées à l’est, au centre et à l’ouest du pays, ce groupe de chercheurs s’emploiera notamment à déterminer si le numérique renforce le pouvoir des multinationales qui achètent les fèves de cacao ou s’il peut bénéficier aux petits planteurs qui tirent le plus gros de leurs revenus de cette culture de rente.