Regard d'expert 12 août 2024
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Covid-19 & Sécurité alimentaire | Des pertes alimentaires accrues en Afrique
Etals de légumes (tomates, céleri, haricots verts, carottes, piments...) sur un marché au Cameroun © Laurent Parrot, Cirad |
Dans le contexte de la crise sanitaire et économique liée au Covid-19, les marchés régionaux africains n’ont que peu souffert de situations de pénuries . Certaines filières traditionnelles se sont même montrées résilientes face à la crise , notamment en réorientant les flux vers les circuits de proximité. Néanmoins, les mesures restrictives ont affecté les chaînes d’approvisionnement et engendré des pertes alimentaires accrues, voire critiques, dans certaines filières .
Les restrictions de transports de marchandises, premier facteur des pertes alimentaires
Les agriculteurs ont eu des difficultés à écouler leurs marchandises et les stocks se sont accumulés. "Près d'un million de poulets, près de 18 000 tonnes de produits maraîchers composés d’oignons (13 000 tonnes), de choux (550 tonnes) et de carottes (566 tonnes) sont en souffrance du fait des difficultés d’accès aux marchés" , indiquait le représentant de la FAO au Sénégal dans les médias pendant la crise.
La Guinée, le Sénégal et le Nigéria, ont enregistré des pertes allant de 20 à 50% de leur production de pomme de terre (4000 tonnes au Sénégal).
Les filières pastorales du lait et de la viande ont également été fortement impactées , selon l’ Association pour la Promotion de l’Élevage au Sahel et en Savane. En début de crise, le transport de marchandises n’était en effet autorisé qu’aux heures les plus chaudes de la journée, donc les moins favorables à la conservation des produits sensibles. Au Nigéria, ces mesures ont entrainé une altération du lait lors du transport des centres de productions vers les unités de transformation. Au Cameroun, les transports ont été totalement interdits, ce qui a entrainé des pertes énormes en lait et la faillite des unités de transformation. Au Tchad, la viande pourrissait sur les étals faute de demande, en particulier sur les axes routiers.
Cette situation n’est pas nouvelle. En 2014, la FAO estimait déjà des pertes de 30 à 40 % en Afrique Subsaharienne, pour la banane plantain, le manioc ou l’igname et 40 % pour les cultures légumières.
La baisse des revenus impacte la demande
Les plus démunis ont été les plus touchés par la baisse de revenus, en particulier ceux qui dépendent de l’agriculture. En Côte d’Ivoire, le Programme des Nations Unies pour le Développement estime que le revenu annuel des chefs de ménage a chuté de 47,2% tandis que le nombre de ménages supplémentaires passant sous le seuil de pauvreté est estimé à 32%.
Ceux qui pouvaient encore consommer, ont reporté leurs achats sur des denrées de bases au détriment des produits locaux (manioc, igname, plantain) et des produits frais pourvoyeurs d’autres nutriments. La baisse de la demande a accru les risques d’invendus sur les marchés de détail et chez les producteurs.
La crise a révélé le manque d’infrastructures et de moyens logistiques
La pandémie est survenue en plein pic de production , générant une tension supplémentaire entre l’offre et la demande. Les surabondances saisonnières se sont cumulées à une défaillance courante tant sur le plan logistique que technologique (conservation, conditionnement, transformation).
Les mesures de restriction ont également affecté la disponibilité des équipements, des intrants, des matériaux d’emballage et de la main-d’œuvre. Ce qui a ainsi généré davantage de pertes et une baisse de la qualité de production lors des activités pré-récolte et post-récolte.
Les produits d’exportation subissent la fermeture des frontières
Du côté des cultures d’exportation, la situation n’est pas meilleure. La fermeture des frontières et les contraintes logistiques ont ralenti la circulation des produits.
La Côte d’Ivoire, premier exportateur mondial de noix de kola, a ainsi enregistré près de 500 tonnes de pertes . Même situation en Guinée où les producteurs d’ananas, de pommes de terre et d’anacardes ont été contraints de détruire leurs stocks d’invendus. Les pertes liées au déclin de la demande ont été aggravées par les difficultés logistiques dans les ports : congestion des parcs à conteneurs, temps de chargements plus longs, attente des navires à quai.
De nombreuses pistes d’amélioration
Cette expérience a révélé des lacunes dans nos connaissances sur les pertes et le gaspillage alimentaires en Afrique de l’Ouest. Il en va de même pour la compréhension des effets d’une pandémie sur les systèmes alimentaires.
Pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise, il faut en priorité identifier les produits alimentaires de base les plus touchés et accompagner les acteurs lors du stockage, de la transformation et de la conservation des produits. La formation est également une mesure clé : 30 à 40 % des productions végétales se perdent après les récoltes du fait de la méconnaissance ou mauvaise utilisation des techniques de gestion et de capacité de stockage. La recherche doit se pencher sur la compréhension des mécanismes qui contribuent à l’adoption ou au rejet des technologies.
Il s’agit par ailleurs de raccourcir les chaînes logistiques et de développer les marchés régionaux décentralisés . Enfin, un meilleur accès à du matériel de transformation approprié à moindre coût, permettrait aux agriculteurs de réaliser la transformation de certaines denrées périssables. Ces pistes ne représentent qu’une partie de celles proposées par la recherche pour agir. Alors que certains États redoutent des pénuries, et qu’une partie de la population mondiale ne mange pas à sa faim, les pertes et gaspillages sont devenus aujourd’hui inacceptables.