Résultats & impact 5 août 2024
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L’agriculture de groupe, une solution pour une production durable ?
Les petites fermes produisent beaucoup mais rémunèrent mal, quand les grandes exploitations motorisées et industrialisées sont décriées pour leurs impacts négatifs sur l’emploi et les ressources naturelles. C’est autour de ce tableau, certes caricatural, que se cristallisent les débats mondiaux sur la sécurité alimentaire et les systèmes agricoles durables. Et si une solution résidait dans un juste milieu ? Dans une forme d’agriculture en association où terre, travail et capital sont mutualisés ? C’est le postulat duquel sont partis Bina Agarwal et Bruno Dorin, économistes à l’Université de Manchester et au Cirad. Ils se sont intéressés au modèle français du GAEC, la seule forme légalisée au monde d’agriculture de groupe, avec une loi remontant à 1962. Leurs résultats sont publiés dans la revue Environment and Planning A: Economy and Space.
Distinction entre agriculture de groupe et coopératives
L’agriculture de groupe est la coopération de plusieurs associés dans l’acte de production. En partageant la terre, le travail, le capital et la gestion de leurs exploitations, les agriculteurs améliorent ainsi leurs capacités à investir, à innover, à négocier, ou encore à dégager du temps libre... Elle est à distinguer des organisations coopératives qui fédèrent des exploitants en amont ou en aval de la production. Si ces dernières ont largement été étudiées, c’est loin d’être le cas pour l’agriculture de groupe qui a très peu de visibilité à l’échelle mondiale. Pour Bruno Dorin, « ce manque d’attention académique et politique est probablement lié aux expériences désastreuses de collectivisation forcée en Ex-URSS ou en Chine. »
L’agriculture de groupe, un modèle pertinent pour le Sud ?
Les scientifiques ont cherché à caractériser les circonstances favorables à cette forme collégiale d’agriculture en France. L’idée sous-jacente à ces travaux est d’éclairer les conditions d’émergence de l’agriculture de groupe dans des pays comme l’Inde, où domine une micro-agriculture. En 2011, 138 millions de fermes indiennes œuvrent sur une surface moyenne d’à peine 1,2 hectare. Cet éclatement des moyens de production pose plusieurs problèmes : ces micro-fermes génèrent de faibles revenus et les conjoints ou enfants peuvent difficilement se libérer du travail à la ferme pour s’engager pleinement dans d’autres activités ou études. Une petite taille rime également avec des capacités de négociation et d’investissement quasi nulles, ainsi qu’avec une grande vulnérabilité aux aléas climatiques ou économiques. Malheureusement, le nombre de micro-fermes ne cesse de croître, que ce soit en Inde*, mais aussi dans de nombreux pays du Sud**.
Les conditions favorables à l’installation des GAEC
En France, en 2010, les GAEC représentent 7,6 % des exploitations et 15 % des emplois en équivalent temps plein, mais leur nombre ou proportion varient considérablement d’un département à l’autre. Quels facteurs économiques, écologiques, sociaux ou démographiques peuvent expliquer de telles disparités ? Après une revue de la littérature, des enquêtes de terrain et un volumineux travail de collecte et de vérification de données, Bruno Dorin et Bina Agarwal ont identifié les critères à l’origine de ces différences. Les départements où la proportion de GAEC est la plus élevée sont également ceux :
- qui étaient dominées en 1970 par des exploitations de taille moyenne (20-49 ha) ;
- dont l’écologie locale (relief, pâtures…) privilégie l’élevage intensif en main-d’œuvre quotidienne plutôt que les grandes cultures motorisées ;
- qui ont une proportion plus élevée de diplômés en agriculture ;
- où l’égalité économique (évaluée avec le coefficient de Gini) est plus importante ;
- où des institutions sociales (ici catholiques) favorisent, ou ont favorisé, la cohésion communautaire.
Perspectives politiques
Ces résultats mettent en lumière non seulement les conditions favorables à l’émergence de l’agriculture de groupe en France, mais également celles sous lesquelles ce modèle pourrait essaimer dans d’autres pays, sous réserve d’adaptation aux contextes locaux. Bina Agarwal est lauréate des prix Balzan et Malassis en 2017. En 2005, elle avait fortement influencé la révision, en faveur des femmes, de la loi hindoue des successions, en particulier des terres agricoles. On peut imaginer un succès similaire pour l’agriculture de groupe… en Inde et ailleurs.
Genèse d’un projet de recherche franco-indien
L’idée de s’interroger sur ce sujet « orphelin » que représente l’agriculture de groupe remonte au colloque Planet Under Pressure organisé en 2012, à Londres. Bina Agarwal, alors Présidente de l’International Association of Ecological Economics (IAEE) questionne l’économiste français du Cirad sur les GAEC : « existent-ils toujours depuis la thèse nord-américaine qui leur a été consacrée en 1977*** ? Qu’est-ce qui les caractérise et comment fonctionnent-ils ? Peut-on en tirer des enseignements pour un pays comme l’Inde ? » Bruno Dorin n’avait jamais travaillé sur l’agriculture de groupe, mais le concept lui était familier puisque son père avait fondé, au début des années 1960, un des premiers GAEC de France avec 5 autres associés. C’est ainsi que Bina Agarwal et Bruno Dorin se sont mis à travailler sur ces formes d’agriculture collégiale si peu étudiées et considérées.
*** Murphy J.L., 1977. “The third way: Group farming in France”. Doctoral dissertation, University of California, Santa Barbara, CA