Pour encourager une gestion durable des forêts tropicales, les gouvernements doivent repenser leurs incitations

Plaidoyer 19 mai 2021
Les gouvernements pourraient faire beaucoup plus pour inciter à une gestion durable des forêts en région tropicale, selon un nouveau rapport de l’Organisation Internationale des Bois Tropicaux, rédigé par Alain Karsenty du Cirad. Ce rapport examine les régimes en place dans huit pays tropicaux (Brésil, Cambodge, Congo, Côte d’Ivoire, Myanmar, Pérou, Thaïlande, Viet Nam) et constate que les incitations permettant d’encourager la qualité de la gestion forestière sont rares. Le rapport formule ainsi 22 recommandations. Parmi elles, un mécanisme de « bonus-malus » pourrait aider à réduire la déforestation importée également sur d’autres produits que le bois, comme le cacao.
© A. Rival, Cirad
© A. Rival, Cirad

© A. Rival, Cirad

Le rapport « Incitations fiscales et non fiscales à la gestion durable des forêts » analyse les possibles incitations à la gestion durable des forêts tropicales ainsi que les aspects dissuasifs en la matière. L’objectif est d’aider les pays producteurs membres de l’Organisation Internationale des Bois Tropicaux (OIBT) à élaborer des incitations aussi effectives que fructueuses au développement durable de leurs forêts.

Le rapport formule 22 recommandations à l’adresse des pouvoirs publics et des parties prenantes (voir le détail des recommandations en pages 7-9 du rapport). Il préconise par exemple que les gouvernements assujettissent les incitations fiscales à une certification indépendante par un tiers. L’une des approches explorées est celle d’un mécanisme de « bonus-malus » suivant lequel un taux de taxe plus faible appliqué aux opérations certifiées (le « bonus ») est financé, au moins en partie (le reste pouvant être apporté par les partenaires internationaux), par un taux plus élevé sur les produits non certifiés (le « malus »).

Le rapport cite ainsi une politique de bonus-malus adoptée au Gabon en 2020 qui fixe trois taux de taxe :
1) le taux le plus favorable concerne les concessions ayant obtenu une certification de gestion forestière FSC ou PAFC ;
2) le taux intermédiaire s’applique aux concessions ayant obtenu un certificat de légalité ;
3) le taux le plus élevé est imposé sur les concessions dépourvues de toute certification.

Ce mécanisme de « bonus-malus » est actuellement à l’étude en Côte d’Ivoire, avec pour objectif de favoriser les exportations de « cacao durable » (zéro déforestation ou agroforestier).

Une autre recommandation cruciale de ce rapport est que les gouvernements élaborent des théories du changement afin d’optimiser les chances de réussite des politiques d’incitation à la gestion durable des forêts.

Le rapport examine par ailleurs les incitations d’ordre non fiscal. En vue de soutenir la foresterie privée de petite échelle, il recommande par exemple de prioriser la reconnaissance des droits de propriété des communautés et des familles rurales. Cela encouragerait les ruraux à planter, conserver et à en prendre soin de leurs arbres, et aussi à accroître les opportunités de développer des petites entreprises dans le respect de la légalité.

Ce rapport a été préparé dans le cadre du Programme de travail biennal de l’OIBT qui a financé par ailleurs un atelier sur les incitations à la gestion durable des forêts avec la Banque mondiale en 2019. Cet atelier a donné lieu à une publication de la Banque mondiale sur ce sujet en 2021 : Designing Fiscal Instruments for Sustainable Forests (Concevoir des instruments fiscaux pour des forêts durables), dont Alain Karsenty est auteur d’un chapitre (Using fiscal incentives in fragile States – Utiliser des incitations fiscales dans des Etats fragiles).

Le rapport et son annexe, qui comprend les études de cas menées au Brésil, au Cambodge, au Congo, en Côte d’Ivoire, au Myanmar, au Pérou, en Thaïlande et au Viet Nam, sont consultables sur le site de l’OIBT.

Communiqué extrait du site de l'OIBT.

L’exemple du bois pour rendre opérationnelles les stratégies nationales de lutte contre la déforestation importée en adaptant les politiques commerciales et douanières

Alain Karsenty propose de moduler les tarifs douaniers des produits agricoles « à risque de déforestation », en fonction de l’information et des garanties (certifications indépendantes accréditées et système de traçabilité) que les acteurs de la filière sont en mesure d’apporter pour prouver que leur production est « zéro déforestation ». « L’idée est de reprendre le principe du Règlement Bois de l’Union Européenne (RBUE), qui impose une diligence raisonnée aux importateurs pour s’assurer que le bois mis en marché ne provient pas de sources illégales, mais de compléter le principe par l’utilisation de droits de douane différenciés dans le cas où la déforestation est légale ».

Selon l’économiste, les recettes fiscales supplémentaires encaissées devraient être affectées intégralement à des projets d’appui aux petits producteurs de pays importateurs. Par exemple, les recettes supplémentaires levées sur l’huile de palme indonésienne non-certifiée iraient financer des projets de PSE et d’appui à la certification des petits producteurs indonésiens. Une partie de ces recettes supplémentaires pourrait également financer le développement des « système de gestion des risques » qui aideront les entreprises à réaliser leur diligence raisonnée. À terme, ces recettes supplémentaires devraient disparaître avec l’importation exclusive de produits certifiés « zéro déforestation ».

« Cette proposition de tarifs douaniers différenciés permet une réponse graduée allant de l’interdiction d’importer (si on peut montrer que le produit est associé à de la déforestation illégale) à la pénalisation fiscale (si la déforestation ou la conversion d’écosystème naturel sont légales), politiquement plus acceptable et moins susceptible d’entraîner des représailles commerciales. »