Changements climatiques : en Afrique et en Asie, des paysans optent pour des cultures plus demandeuses en eau

Résultats & impact 19 octobre 2021
C’est le résultat paradoxal d’une revue de littérature couvrant environ 400 observations rapportées par les paysans dans 20 pays africains et 10 pays asiatiques. Alors que les changements climatiques impactent la disponibilité des ressources hydriques, de nombreux paysans s’orientent vers une agriculture irriguée pourtant plus coûteuse en eau. En cause : une baisse de rendements des cultures non irriguées et des incitations économiques pour des cultures à plus forte valeur ajoutée. Les scientifiques, qui publient leurs travaux dans Current Opinion in Environmental Sustainability, évaluent les potentiels impacts nutritionnels de cette tendance.
Champ de tomates à Yamoussoukro, Côte d'Ivoire © R. Belmin, Cirad
Champ de tomates à Yamoussoukro, Côte d'Ivoire © R. Belmin, Cirad

Champ de tomates à Yamoussoukro, Côte d'Ivoire © R. Belmin, Cirad

Les observations locales, rapportées par les paysans, font état de l’adoption de cultures horticoles (fruits et légumes) dans 38 % des cas, 47 % des abandons concernent les céréales. Les auteurs de l’étude soulignent ainsi une tendance chez les paysans à se tourner vers des cultures à forte valeur ajoutée, souvent irriguées, quitte à diminuer leurs efforts sur des cultures céréalières non irriguées mais moins rentables.

 « L’irrégularité de la pluviométrie a entraîné une baisse des rendements des cultures non irriguées pour de nombreux paysans en Afrique et en Asie, explique Vanesse Labeyrie,  agronome et ethnoécologue au Cirad et première auteure de l’étude. Pour tenter de compenser ce phénomène, une tendance générale est de se tourner vers l’horticulture irriguée, avec l’espoir d’améliorer leurs revenus. Ces comportements sont souvent liés à des incitations économiques gouvernementales, qui visent à dynamiser une agriculture commerciale, destinées à l’exportation ou aux zones urbaines. »

Plus forte dépendance au commerce international et aux sources extérieures de nourriture

Vente de produits maraîchers dans un marché local au Sénégal © V. Labeyrie, Cirad

Vente de produits maraîchers dans un marché local au Sénégal © V. Labeyrie, Cirad

Ces changements ont cependant un impact sur la nutrition des populations rurales concernées.

« Les céréales sont riches en calories mais pauvres en vitamines, et c’est l’inverse des fruits et légumes, note Vanesse Labeyrie. On observe donc une baisse de la production locale de calories, et une hausse de la production de vitamines. Selon les zones, cela peut avoir des impacts positifs ou négatifs sur l’apport nutritionnel dans les régimes alimentaires. La production de fruits et légumes ne bénéficie pas toujours aux populations locales car dans certains cas, elle est intégralement vendue. En revanche, dans tous les cas, la diminution des cultures céréalières augmente la dépendance des paysans au commerce international et à la variation des prix sur les marchés. »

Pour une meilleure prise en compte des savoirs locaux

« C’est grâce aux observations des paysans que nous avons pu construire cette synthèse, souligne Vanesse Labeyrie. Nous avons très peu de données sur la façon dont les changements climatiques impactent les populations rurales et leurs relations à la diversité des plantes cultivées dans les pays Sud. Bien connaître les évolutions locales permet pourtant de mieux appréhender les différents besoins selon les territoires, et donc de construire des politiques publiques de soutien à l’agriculture mieux adaptées aux spécificités de chaque zone. Pour cela, en l’absence de données, les observations locales des paysans constituent une source d’informations précieuse. »

Des études de terrain sont prévues cette année sur une quinzaine de territoires en Afrique, Asie, Amérique latine et Europe*, dans le cadre du groupe CITRON (assessing Crop dIversity TRends based on lOcal kNowledge). La première analyse, sur le Bassin arachidier au Sénégal, vient tout juste de paraître. Dans cette zone, les paysans disposent de peu de marge de manœuvre pour s’adapter en modifiant les espèces qu’ils cultivent. En effet, l’eau naturellement salée de la région limite le développement de l’horticulture. Dans les deux villages étudiés, les paysans restent donc fidèles aux cultures de mil, d’arachide et de niébé. Ils s’adaptent aux changements du climat en mobilisant la diversité variétale, faisant preuve d’une grande réactivité dans leurs choix de variétés à cycle long ou court selon l’évolution de la pluviométrie.

* Les pays des terrains étudiés sont : Brésil, Chili, Chine, Espagne, France, Inde, Italie, Madagascar, Maroc, Sénégal.

Références

Vanesse Labeyrie, Delphine Renard, Yildiz Aumeeruddy-Thomas, Petra Benyei, Sophie Caillon, Laura Calvet-Mir, Stéphanie M. Carrière, Marilou Demongeot, Elsa Descamps, André Braga Junqueira, Xiaoyue Li, Jonathan Locqueville, Giulia Mattalia, Sara Miñarro, Antoine Morel, Anna Porcuna-Ferrer, Anna Schlingmann, Julia Vieira da Cunha Avila and Victoria Reyes-García. 2021. The role of crop diversity in climate change adaptation: insights from local observations to inform decision making in agriculture. Current Opinion in Environmental Sustainability.

F. Ruggieri, A. Porcuna-Ferrer, A. Gaudin, N. F. Faye, V. Reyes-García, V. Labeyrie. 2021. Crop diversity management: Sereer smallholders’ response to climatic variability in Senegal. Journal of Ethnobiology