Carbone du sol : une synthèse mondiale pour identifier les besoins et mieux répondre aux enjeux globaux

Résultats & impact 7 décembre 2021
Le carbone du sol est un élément central de la fertilité des sols et joue un rôle important pour le climat. Il représente 25 % du potentiel des solutions fondées sur la nature identifiées pour lutter contre le changement climatique. Si le sujet semble largement étudié, un article publié le 7 décembre dans Global Change Biology illustre au contraire un manque important de connaissances dans des régions à forts enjeux vis-à-vis du climat ou des changements d’usage des terres.
Prélèvement d’une carotte de sol (1m de profondeur) pour étudier l’impact de l’agriculture de conservation sur les stocks de carbone au Zimbabwe © R. Cardinael, Cirad
Prélèvement d’une carotte de sol (1m de profondeur) pour étudier l’impact de l’agriculture de conservation sur les stocks de carbone au Zimbabwe © R. Cardinael, Cirad

Prélèvement d’une carotte de sol (1m de profondeur) pour étudier l’impact de l’agriculture de conservation sur les stocks de carbone au Zimbabwe © R. Cardinael, Cirad

Les auteurs de l’article, huit scientifiques du Cirad, ont compilé 192 méta-analyses relatives au carbone du sol, regroupant ainsi 13 200 études menées sur un total de 150 pays entre 1910 et 2020. « Dans une optique de lutte contre le changement climatique, synthétiser l’état actuel des connaissances scientifiques est un enjeu crucial, remarque Damien Beillouin, chercheur spécialisé en analyse de données agronomiques au Cirad et premier auteur de la publication. Nos travaux montrent qu’il existe de nombreuses zones d’ombre au sujet du carbone du sol, alors même que les études sur le sujet sont légion. »

Angle mort sur l’Afrique et les zones riches en carbone

Sur les 13 200 études regroupées, près de la moitié ont été menées soit aux États-Unis soit en Chine. Par comparaison, plus de 80 % des pays africains ont moins de 40 études à leur actif. 

« On a recensé très peu de travaux relatifs au carbone du sol en région tropicale, et notamment en Afrique, détaille Rémi Cardinael, agro-pédologue au Cirad et co-auteur de l’étude. C’est un problème car le continent fait partie des zones les plus impactées par le changement climatique. »

En Afrique, la population devrait doubler d’ici 2050, entraînant une augmentation des besoins alimentaires. « La production agricole devra être intensifiée de façon durable sur les terres actuelles, ou bien s’étendre sur des zones naturelles au détriment d’une riche biodiversité », poursuit Rémi Cardinael.

Figure extrait de la publication montrant la répartition géographique des études primaires synthétisées dans les 192 méta-analyses © Global Change Biology, Damien Beillouin et al. 2021

Carte extraite de la publication montrant la répartition géographique des études primaires synthétisées dans les 192 méta-analyses © Global Change Biology, Damien Beillouin et al. 2021

Les auteurs estiment ainsi que les connaissances produites par la communauté scientifique répondent souvent mal aux besoins locaux et aux enjeux globaux. En témoigne également la faible présence d’études en provenance de l’Indonésie, de la Russie, du Pérou, de la Papouasie Nouvelle-Guinée, du Kazakhstan et de la République Démocratique du Congo. Ces six pays, pourtant parmi les 15 pays dotés des stocks nationaux de carbone du sol les plus élevés, représentent ensemble à peine 1 % des études synthétisées dans les 192 méta-analyses.

Recentrer les efforts de recherches vers les pratiques agricoles alternatives 

Une très large majorité des méta-analyses produites sont consacrées à la gestion des terres et à son impact sur le carbone du sol. 

« Sur la gestion des terres, la majorité des études sont consacrées aux terres agricoles et aux effets des pratiques classiques, comme la fertilisation minérale et organique ou la gestion des résidus de cultures, précise Damien Beillouin. En revanche, les systèmes de cultures plus complexes qui touchent à l’agroécologie et à la diversification des cultures, comme l’agroforesterie ou les mélanges d’espèces, restent encore peu étudiés ». « Les effets des différentes pratiques d’irrigation, ou encore des plantes à enracinement profond, sont également mal documentés », ajoute Rémi Cardinael.

Les zones humides ont fait l’objet de dix fois moins de méta-analyses malgré l’enjeu global de maintien de leurs stocks de carbone élevés.

Par ailleurs, les effets du changement climatique sur le carbone du sol, comme les événements pluvieux extrêmes ou les sécheresses sont également peu analysés dans les méta-analyses, alors même que leur prise en compte est primordiale pour les modèles climatiques globaux. 

Un besoin de transparence et d’accès aux données

Entre 30 et 40 % des méta-analyses compilées fournissent librement leur base de données. Pour Damien Beillouin, c’est insuffisant : « Sans données ouvertes et librement accessibles à la communauté scientifique, il est difficile de vérifier les hypothèses et les calculs des méta-analyses, mais aussi de les mettre à jour avec les nouvelles connaissances produites. Ce manque de transparence questionne la qualité même des méta-analyses et leur reproductibilité. »

Ce travail souligne la nécessité et l’urgence de mieux coordonner les efforts de recherche sur le carbone du sol. Il fournit des orientations en termes de zones géographiques et de pratiques agricoles où les manques de connaissances sont les plus criants. Au-delà des aspects scientifiques, une meilleure coordination est indispensable à l’émergence de politiques publiques efficaces en matière de lutte contre le changement climatique.

Référence

Damien Beillouin, Rémi Cardinael, David Berre, Annie Boyer, Marc Corbeels, Abigail Fallot, Frédéric Feder, Julien Demenois. 2021. A global overview of studies about land management, land-use change, and climate change effects on soil organic carbon. Global Change Biology.