Séquestration du carbone dans le sol : privilégier la labellisation de produits pour éviter la déception liée aux crédits carbone

Résultats & impact 16 novembre 2021
L’objectif des certifications de séquestration du carbone dans le sol est d’inciter les agriculteurs à améliorer cette séquestration au sein de leurs exploitations. Il existe actuellement un nombre croissant de certifications. Mais sont-elles vraiment incitatives ? Selon un nouvel article publié dans Mitigation and Adaptation Strategies for Global Change, la labellisation de produits agricoles ou forestiers s’avère plus adaptée aux petits agriculteurs du Sud que les potentiels crédits carbone.
Terres dégradées à Guédé, au Sénégal © R. Belmin, Cirad
Terres dégradées à Guédé, au Sénégal © R. Belmin, Cirad

Terres dégradées à Guédé, au Sénégal © R. Belmin, Cirad

Trois scientifiques du Cirad et de L’Institut Agro viennent d’inventorier les certifications existantes de séquestration du carbone dans le sol. Face à une véritable « jungle » de certifications et labels, cette classification vise à orienter les agriculteurs et forestiers, et tente de répondre à une question en apparence simple : ces certifications sont-elles incitatives au niveau économique ? L’enjeu s’inscrit dans le cadre de « l’Initiative 4 pour 1000 : les sols pour la sécurité alimentaire et le climat », qui ambitionne de diffuser à très large échelle tout un ensemble de pratiques bénéfiques à la séquestration du carbone dans le sol.

Deux types de certifications

Ce premier inventaire mondial des certifications de la séquestration du carbone dans le sol comptabilise 22 outils de certification différents. Pour aider les agriculteurs et les forestiers à s’y retrouver, ils se sont attelés à les caractériser selon des critères relatifs aux coûts et bénéfices, à la transparence et la gouvernance, aux pratiques éligibles et au processus de certification. Deux grands types de certification de séquestration du carbone dans le sol se dégagent :

  • Les certifications de crédits carbone intégrées dans les marchés carbone (carbon farming). Ces standards permettent de générer des crédits carbone à partir d’une évaluation quantitative de la séquestration du carbone dans le sol. Ils participent ainsi au système de compensation des émissions de gaz à effet de serre à l’international.
  • Les certifications via des labellisations de produits agricoles ou forestiers. Plus généralistes, ces standards vont valoriser des produits issus de pratiques agricoles ou forestières durables. La séquestration du carbone dans le sol est alors incluse dans un ensemble d’autres services écosystémiques, comme la préservation de la biodiversité et la gestion de l’eau.

Une transparence à améliorer pour des outils vraiment incitatifs

Alors que le nombre de certifications ne cesse de croître, plusieurs questions subsistent sur leur capacité à constituer une incitation pour les agriculteurs et les forestiers. Pour Julien Demenois, chercheur en écologie au Cirad et premier auteur de l’étude, la majorité de ces standards ne sont pas assez transparents sur les coûts et bénéfices attendus :

« Sur l’ensemble des certifications étudiées, seules trois présentent des informations sur les coûts et bénéfices pour les agriculteurs. Comment prétendre inciter les agriculteurs ou les forestiers dans de telles démarches si les cartes ne sont pas mises sur la table dès le début du processus ? »

Le carbon farming : une option non adaptée pour les petits agriculteurs du Sud

Selon les auteurs, les certifications focalisées sur la production de crédits carbone (carbon farming) à partir de séquestration dans le sol ne constituent pas une incitation économique pour les petits agriculteurs du Sud.

« L’expérience nous a montré qu’il fallait un ‘ticket d’entrée’ de plusieurs centaines d’hectares de plantations forestières pour espérer un retour significatif sur investissement, précise Julien Demenois. Ceci est notamment dû aux coûts élevés du processus de certification et de commercialisation des crédits carbone. Avec les standards actuels, on peut s’attendre à une situation similaire pour la séquestration du carbone dans le sol : seules les grandes exploitations pourraient en bénéficier. »

En outre, ce carbon farming peut engendrer des effets négatifs sur la sécurité alimentaire d’une région, ou sur d’autres services écosystémiques :

« On observe la montée du carbon-farming dans certaines régions du monde, notamment dans le contexte actuel de course vers la neutralité carbone, indique Julien Demenois. Le risque est que certaines entreprises estiment qu’il soit plus rentable de « cultiver du carbone » plutôt que des denrées alimentaires, voire s’accaparent des terres pour prétendre à cette neutralité carbone. »

Ces services de séquestration de carbone entrent donc parfois en concurrence avec des services d’approvisionnement vitaux pour les populations locales. Pour les auteurs, il faut donc privilégier au Sud les systèmes de labellisations de produits agricoles ou forestiers. Plus généralistes, ces certifications sont aussi plus adaptées aux Objectifs de Développement Durable.

Référence

Julien Demenois, Alexia Dayet, Alain Karsenty. 2021. Surviving the jungle of soil organic carbon certification standards: an analytic and critical review. Mitigation and Adaptation Strategies for Global Change