Le caféier Arabica est né d’une seule « super-plante » il y a 10 à 20 000 ans

Résultats & impact 13 mars 2020
Une étude internationale, coordonnée par le Cirad (France), le World Coffee Research et l’Institut de Génomique Appliquée (Italie)*, a montré que le caféier Arabica, qui est l’espèce de caféier la plus cultivée dans le monde, est née d’une seule plante il y a 10 à 20 000 ans. Cela explique la faible diversité génétique observée aujourd’hui chez cette espèce, menacée par le changement climatique. Les résultats sont publiés dans Nature - Scientific reports le 13 mars.
« Une seule plante, un super-individu, a donné naissance à toute l’espèce C. Arabica et aux millions d’arbres qui sont aujourd’hui cultivés partout dans le monde » B. Bertrand, © Cirad

Le caféier Arabica est apparu probablement dans le Sud-ouest de l’Ethiopie où il pousse aujourd’hui dans les zones montagneuses, dans les sous-bois de forêts primaires ou secondaires. L’espèce est née du croisement entre deux espèces de caféiers : Coffea canephora et Coffea eugenioides . Cet évènement de spéciation a déjà été mis en évidence il y a 20 ans (1).

Une nouvelle étude publiée dans Nature-Scientific reports révèle que cet événement ne s’est produit qu’une seule fois, il y a 10 à 20 000 ans, alors que les études précédentes le situaient il y a 100 à 600 000 ans. « Cela signifie qu’une seule plante, un super-individu, a donné naissance à toute l’espèce C. Arabica et aux millions d’arbres qui sont aujourd’hui cultivés partout dans le monde dans la ceinture intertropicale » , précise Benoît Bertrand, l’un des coordinateurs de l’étude et responsable des programmes d’amélioration variétale du café au Cirad.

Trois conditions réunies pour la naissance de l’espèce C. Arabica

Ce ‘super-individu’ formé, lors de cet événement de spéciation, avait très peu de chances de naître et surtout de se reproduire, signale les chercheurs. « Pour que cet évènement survienne, il fallait réunir trois conditions : d’une part que les deux espèces parentales cohabitent dans une même zone, explique Benoît Bertrand. D’autre part, que les conditions climatiques soient favorables à des chocs thermiques qui permettent la fusion des gamètes des deux espèces. La probabilité était faible mais pas nulle. Enfin, évènement beaucoup plus rare, il fallait que les systèmes d’auto-incompatibilité des deux espèces parentales soient ‘éteints’ pour que la plante nouvellement formée puisse se reproduire et sans nécessité de se rétro-croiser avec les deux espèces parentales ce qui l’aurait déstabilisée. » Pour cela, il aura fallu l’insertion d’un rétrotransposon**lors de la fusion des gamètes (2).

Une faible diversité génétique au sein de l’espèce C. Arabica

L’étude montre ainsi que la diversité génétique au sein de l’espèce, qui en découle, est très faible et se divise en trois sous-groupes de variétés cultivées :

  • celles dites de Yemen-Harare qui ont donné naissance à toutes les variétés cultivées aujourd’hui partout dans le monde et surtout en Amérique Latine. « Il est vraisemblable que ces variétés ont été choisies par les Arabes vers le 14éme siècle pour leur capacité d’adaptation au plein soleil »
  • celles cultivées en Ethiopie (groupe nommé ‘Jimma-Bonga’)
  • celles issues de la forêt et encore très peu connu (population Sheka).

Cette structuration explique comment en croisant le groupe des variétés américaines par des ‘Ethiopiens’ issus de la forêt on obtient des hybrides F1 très vigoureux (6), bien adaptés à l’agroforesterie (7) et en bonne santé (8). « Cela conforte la stratégie d’amélioration du caféier que nous avons mise en œuvre il y a plus de 30 ans en Amérique Centrale à partir des ressources génétiques introduites par le Cirad, l’IRD et la FAO au CATIE », se réjouit Benoît Bertrand.

Une espère d’une grande faiblesse et d’une grande force à la fois

Cette histoire généalogique, dont l’origine prend sa source d’un seul et même super-individu, est à la fois une grande faiblesse et une grande force pour l’espèce C. Arabica . « Lorsqu'on lui fait subir des tests de stress thermiques, on voit qu’elle s’adapte bien à différents régimes thermiques par une modulation de l’expression des gènes en fonction de ses deux sous-génomes », observe Benoît Bertrand (3, 4). Elle réagit aussi très bien à une augmentation en gaz carbonique dans l’atmosphère. « Malheureusement le faible polymorphisme, c’est-à-dire la faible diversité génétique, de l’espèce la rend fragile aux épidémies » . Pour renforcer et appuyer la survie de cette espèce très menacée (5), l’améliorateur du Cirad préconise de développer des programmes basés sur l'introgression*** de gènes de résistance et de tolérance à partir des espèces de caféiers sauvages (il en existe 130), conservés dans les centres de ressources biologiques (CRB) du Cirad et de l’IRD à la Réunion et en Guyane. « Nous avons déjà démarré l’introgression de gènes de C. Canophora au sein de l’Arabica » , précise Lucile Toniutti du World Coffee Research (WRC), première auteure de l’étude. Mais Benoît Bertrand souligne que « de façon générale, les moyens mis en œuvre pour faire face aux grands défis de demain sont très largement insuffisants eu égard à l'importance économique du café ».

Une étude basée sur une première séquence du génome de C. arabica

L’ADN de la variété la plus cultivée d’Arabica, la variété Bourbon, a été séquencé par les équipes de Michele Morgante de l’Institut de Génomique Appliquée en Italie. Les résultats ont été comparés avec des séquençages des deux espèces parentales Coffea eugenioides et Coffea canephora. Parallèlement 736 génotypes cultivés et sauvages d’Arabica ont été ‘génotypés’ pour estimer la diversité génétique ainsi que 35 génotypes de Canephora représentatif de la diversité génétique de cette espèce. Cette étude a révélé une diversité génétique très faible. Les résultats ont ensuite été validés en utilisant un autre génome de référence d’Arabica récemment séquencé.

Cette étude a été financée par deux grands torréfacteurs européens, Luigi Lavazza S.P.A et Illycaffè S.P.A., ainsi que le World Coffee Research (WCR).

* en collaboration avec les universités Italiennes de Trieste, Udine, Padova et Verona et la contribution du CATIE, de l'University de Sana’a au Yemen, et l'Université du Texas A&M.

**Rétrotransposon : Les rétrotransposons correspondent à des séquences d'ADN endogènes capables de se déplacer et surtout de se multiplier dans le génome de l'hôte, donnant naissance à des séquences répétées dispersées.

***Introgression : transfert d'un gène d'une espèce au pool génétique d'une autre après une hybridation suivie de rétrocroisements répétés avec l'une des espèces parentes.

Référence

A single event at the origin of the tetraploid genome of Coffea arabica is responsible for the extremely low genetic variation in wild and cultivated germplasm. Scientific Reports - Nature

Autres références bibliographiques

(1) Mol Gen Genet MGG 261: 259–266.

(2) https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/j.1365-313X.2011.04590.x

(3) Genomic expression dominance in the natural allopolyploid Coffea arabica is massively affected by growth temperature

(4) Contribution of subgenomes to the transcriptome and their intertwined regulation in the allopolyploid Coffea arabica grown at contrasted temperatures

(5) https://advances.sciencemag.org/content/5/1/eaav3473