L’évolution des agrumes revisitée

Résultats & impact 8 février 2018
Une étude internationale, impliquant le Cirad et l’Inra, publiée dans la revue Nature le 7 février 2018, révolutionne les classifications botaniques des agrumes. Ces travaux mettent en évidence dix espèces vraies d’agrumes, dont quatre sont à l’origine des variétés cultivées modernes telles que les orangers, mandariniers, pamplemoussiers, pomelos, cédratiers, citronniers et limettiers. Ces connaissances ouvrent la voie à de nouvelles stratégies d’amélioration variétale pour ces fruits les plus cultivés au monde.
Des travaux venant d'être publié dans Nature mettent en évidence dix espèces vraies d’agrumes, dont quatre sont à l’origine des variétés cultivées modernes © P. Ollitrault, Cirad
Des travaux venant d'être publié dans Nature mettent en évidence dix espèces vraies d’agrumes, dont quatre sont à l’origine des variétés cultivées modernes © P. Ollitrault, Cirad

Des travaux venant d'être publié dans Nature mettent en évidence dix espèces vraies d’agrumes, dont quatre sont à l’origine des variétés cultivées modernes © P. Ollitrault, Cirad

Poursuivant l’effort du consortium international de génomique des agrumes qui avait produit la séquence génétique de référence des agrumes en 2014, des équipes scientifiques espagnoles, américaines et françaises, du Cirad et de l’Inra, se sont associées pour analyser l’évolution du genre Citrus et des genres apparentés*. En s’appuyant sur des données de re-séquençage complet du génome de 60 variétés et formes sauvages, représentatives de la diversité des agrumes, les scientifiques ont proposé un nouveau modèle évolutif du genre Citrus. Celui-ci remet cause les systèmes taxonomiques élaborés pour les agrumes dans les années 60, expliquant encore aujourd’hui l’existence de trois classifications botaniques différentes pour les agrumes.

Deux étapes de radiation remettent en cause les frontières du genre Citrus

Les travaux de phylogénomie menés dans cette étude ont révélé dix espèces vraies parmi les 60 variétés analysées. Ces dix espèces sont issues d’une évolution vieille de 8 millions d’années, dans laquelle les scientifiques distinguent aujourd’hui deux grandes étapes de diversification évolutive : la première en Asie à la fin du Miocène, entre 6 et 8 millions d’années, et la seconde en Australie au début du Pliocène, il y a environ 4 millions d’années. La première étape pourrait être liée à un affaiblissement dramatique des moussons en Asie à cette période. Elle a conduit à la séparation en huit embranchements dont quatre espèces ancestrales à l’origine des agrumes cultivés. La seconde étape, quant à elle, est à l’origine de trois espèces de lime australienne.

Origine géographique des agrumes et radiation © F. Curk, Inrae

Quatre espèces ancestrales à l’origine des grands groupes d’agrumes modernes

Quatre de ces dix espèces vraies, C. reticulata, C. maxima, C. medica et C. micrantha , correspondent à quatre groupes d’agrumes modernes, qui sont respectivement : les mandariniers, les pamplemoussiers, les cédratiers et un papeda connu sous le nom de Biasong dans les Iles du Sud des Philippines dont il est originaire. Ces quatre espèces ancestrales ont ensuite généré par hybridations interspécifiques naturelles la plupart des variétés cultivées dont les orangers, les pomelos, les citronniers et les limettiers.

Généalogie des agrumes © F. Curk, Inra - P. Ollitrault, Cirad

Certains groupes, comme les bigaradiers, le « Rough lemon » et le limettier « Rangpur », le limettier « Mexicain », sont issus d’hybridations directes entre ces quatre espèces ancestrales, respectivement : C. maxima x C. reticulata, C. reticulata x C. medica, C. micrantha x C. medica . D’autres, comme les citronniers, orangers, pomelos résultent d’évolutions plus complexes (impliquant des recombinaisons interspécifiques). « Le citronnier par exemple serait issu d’une hybridation entre le bigaradier et le cédratier ; le pomelo d’une hybridation entre pamplemoussier et oranger » , explique Franck Curk de l’Inra. « L’oranger, quant à lui, présente une structure complexe issus du mélange de deux espèces ancestrales, C. reticulata et C. maxima. Son origine exacte n’est pas encore claire » , complète Patrick Ollitrault du Cirad.

« Contrairement aux cédratiers et pamplemoussiers modernes qui apparaissent comme de purs représentants des espèces C. medica et C. maxima, tous les mandariniers cultivés renferment des parties de leur génome provenant du pamplemoussier. Ces introgressions naturelles pourraient avoir joué un rôle majeur dans la domestication des mandariniers en modifiant la synthèse de certains acides notamment, rendant ainsi leurs fruits plus appréciés. » précise Franck Curk.

Vers des stratégies d’amélioration variétales plus innovantes

Au-delà de l’identification des espèces ancestrales, parentes des agrumes cultivés, cette étude a permis de décrypter, tout au long du génome, l’origine des différents fragments chromosomiques des agrumes. Ce sont sur ces structures complexes que reposent largement les caractères essentiels qui font la typicité d’une orange, d’un pomelo, d’un citron ou d’une lime. Alors que jusqu’ici l’amélioration conventionnelle (par croisements sexués) de ces variétés cultivées paraissait impossible, la connaissance fine des espèces ancestrales et de leurs structures ouvre la voie à des stratégies d’amélioration innovantes. « Ces connaissances nous permettent de mieux cibler les parents des futures variétés. Il s’agit, lors des croisements, de reconstruire ces structures, à partir de la diversité des espèces ancestrales ou de groupes horticoles intermédiaires. Une telle stratégie est d’ores et déjà développée par le Cirad et l’Inra pour la diversification des limettiers en Corse et en Guadeloupe » , révèle Patrick Ollitrault.

Un Centre de Ressources Biologiques « Agrumes » en Corse pour appuyer la recherche et le développement

L’Inra et le Cirad s’appuient pour leurs recherches sur l’une des quatre plus importantes collections d’agrumes au monde. Présent à San Giuliano en Corse, ce Centre de Ressources Biologiques comprend plus de 1100 variétés cultivées sur 14 ha et provenant d’une cinquantaine de pays. C’est la plus riche en diversité de mandariniers. Il s’agit d’un outil précieux pour développer des recherches qui vont de la génomique à la sélection participative de nouvelles variétés d'agrumes avec les acteurs des filières méditerranéennes et tropicales. Les nouvelles variétés doivent répondre aux exigences du marché et aux contraintes des filières affectées par de nouvelles maladies (comme le Huaglongbing) ou ravageurs, et par des épisodes de sècheresse et de salinisation des sols, s'accentuant avec le changement climatique. Ces recherches ont un impact à la fois local, régional, national et international. La production d'agrumes est en effet l’une des productions fruitières les plus importantes au monde, avec 125 millions de tonnes annuelles réparties sur les cinq continents.

* A l’initiative de l’Instituto Valenciano de Investigaciones Agrarias (Ivia) en Espagne

Partenaires de l'étude :
  • Centro de Genómica, Instituto Valenciano de Investigaciones Agrarias, Espagne
  • US Department of Energy Joint Genome Institute, USA.
  • Computational Genomics Department, Centro de Investigación Príncipe Felipe (CIPF), Espagne
  • Unité Mixte de Recherche Amélioration Génétique et Adaptation des Plantes (UMR Agap), Cirad, Inra, France
  • Department of Botany and Plant Sciences, University of California, Riverside, USA.
  • Functional Genomics Node, Spanish National Institute of Bioinformatics, (ELIXIR-es) at CIPF, Espagne
  • Citrus Research and Education Center (CREC), Institute of Food and Agricultural Sciences (IFAS), University of Florida, Lake Alfred, USA
  • University of California, Berkeley, Department of Molecular and Cell Biology and Center for Integrative Genomics, USA.