Invasion de criquets : renforcer la recherche et la formation pour une prévention permanente

Science en action 15 avril 2020
Dans un article de vulgarisation paru le 8 juin dans Passion Entomologie, trois chercheurs du Cirad reviennent sur la genèse de l’invasion actuelle des criquets pèlerins d’Afrique de l’Est à l’Inde. Celle-ci est sans précédent depuis plusieurs décennies. Pour les experts, seule la gestion préventive permettrait d’éviter ce type d’invasion à l’avenir. Ils appellent ainsi à investir dans la recherche et la formation en soutien à la prévention permanente.
Criquet pèlerin grégaire, adulte © Cirad
Criquet pèlerin grégaire, adulte © Cirad

Criquet pèlerin grégaire, adulte © Cirad

« Des dizaines de milliers d’hectares de terres cultivées et de pâturages ont déjà été ravagés en Éthiopie, en Somalie et au Kenya. Plus de 20 millions de personnes sont potentiellement en état d’insécurité alimentaire. Plus à l’Est, les essaims de criquets envahissent depuis deux ans plusieurs pays de la Péninsule Arabique, le Pakistan, l’Iran et l’Inde, dont la situation critique au Rajasthan fait aujourd’hui l’actualité. Ils sont également susceptibles de progresser vers l’Ouest en suivant les vents : l’est de l’Ouganda et le Soudan du Sud sont déjà atteints. Le Tchad puis l’Afrique de l’Ouest et du Nord pourraient être menacés dans les mois qui viennent. »

Carte prévisionnelle de l’avancée des criquets pèlerin pour la période jusqu’en juillet 2020 fournie par l’observatoire acridien de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) le 4 juin 2020

Carte prévisionnelle de l’avancée des criquets pèlerin pour la période jusqu’en juillet 2020 fournie par l’observatoire acridien de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) le 4 juin 2020. Déjà dès le début 2019, de petits essaims de criquets pèlerins s’étaient formés puis répandus au travers de la péninsule Arabique vers l’Iran, le Pakistan puis l’Inde.

Antoine Foucart, Pierre-Emmanuel Gay et Cyril Piou, chercheurs au Cirad, débutent leur article avec un constat alarmant : l’invasion actuelle de criquets pèlerins en Afrique de l’Est est la pire depuis des décennies générant des coûts sans précédent. Depuis les années 1960, la lutte contre ces ravageurs, et leur gestion préventive, avaient pourtant permis de faire considérablement baisser le nombre des attaques. Alors pourquoi cette recrudescence ?

Outre des conditions environnementales favorables à la prolifération des criquets – nourriture abondante liée aux fortes pluies sur les côtes yéménites et omanaises en octobre 2018 - les auteurs pointent un défaut de gestion préventive dans plusieurs pays d’Afrique de l’Est. Ils préconisent de renforcer la formation et d’investir dans des outils de prospection préventive de qualité.

Pour ces derniers, « la gestion préventive est permise par l’addition, années après années, de l’expérience des prospecteurs de terrain, des connaissances en écologie de l’insecte acquises par la recherche scientifique, et aux cartes de zones favorables aux débuts d’invasion élaborée grâce à l’imagerie satellitaire. »

Une dynamique de longue haleine qui montre l’importance de la surveillance permanente sur le terrain, de la coopération internationale entre les pays concernés et de la recherche scientifique pour mieux connaître ce ravageur et développer des moyens de lutte, plus respectueux de l’environnement.

La gestion préventive pour empêcher la formation des essaims

Les criquets pèlerins font partie des rares espèces de criquets capables de changer de comportement en fonction des conditions environnementales et de la densité de leur population. Généralement solitaires, ils peuvent ainsi s’agréger en essaims si des événements climatiques favorables les font se regrouper. Ils deviennent alors grégaires.

« Lorsque leur densité est suffisante, les grégaires initient […] des mouvements de groupe. Les jeunes forment des bandes larvaires, soit de gigantesques tapis mouvants comptant des milliers d’individus dépourvus d’ailes et se déplaçant de quelques centaines de mètres chaque jour. Devenus adultes, ils forment des essaims d’ailés et parcourent de longues distances (jusqu’à 150 km par jour) en suivant les vents dominants et les fronts pluvieux, comme le déplacement saisonnier du front intertropical, pour trouver de la nourriture fraîche. Les essaims peuvent atteindre des dimensions de l’ordre de plusieurs dizaines de kilomètres carrés voire davantage, et compter des milliards d’individus. Ils dévastent toute la végétation, cultures vivrières comprises, sur leur passage. »

Pour les chercheurs, empêcher les criquets de passer de cette phase solitaire à cette phase grégaire est la solution de gestion la plus efficace. Une fois les criquets formés en essaim, il devient en effet beaucoup plus difficile de lutter contre les invasions.

Lire l'article dans Passion Entomologie, écrit par Antoire Foucart, Pierre-Emmanuel Gay et Cyril Piou