Climat | La nécessaire gestion du protoxyde d’azote dans les sols agricoles

Résultats & impact 4 décembre 2020
Le bénéfice climatique de certaines pratiques agricoles stockant du carbone dans le sol pourrait être surestimé. En cause : les émissions associées de protoxyde d’azote, un puissant gaz à effet de serre. Une équipe de recherche internationale a compilé des données pour dresser un bilan global. Ces résultats, publiés dans la revue Global Change Biology, soulignent la nécessité d’une gestion en parallèle de l’azote et du carbone dans les sols agricoles au regard des objectifs climatiques.
La mesure des émissions de N2O est techniquement compliquée car fortement liées à des évènements ponctuels comme la pluie ou la fertilisation. Ici, elles sont mesurées au Zimbabwe sur des essais de réduction du travail du sol et d’apports de résidus de culture © R. Cardinael, Cirad

Agroforesterie, non-labour, cultures intermédiaires, amendements organiques… Ces pratiques agricoles sont connues pour atténuer le changement climatique en favorisant la séquestration du carbone dans les sols. Et si elles n’étaient pas aussi efficaces que ça pour le climat ? Elles pourraient, en effet, accentuer les émissions des sols en protoxyde d’azote (N2O), un puissant gaz à effet de serre.

Changement climatique : le CO2 n’est pas seul en cause

C’est lors d’un séminaire organisé par l’institut de convergence CLAND fin 2018, que l’idée germe dans la tête d’un groupe de scientifiques de synthétiser les connaissances sur les émissions de N2O associées aux pratiques séquestrantes. « Il ne faut pas avoir une vision uniquement centrée sur le carbone si nous voulons maximiser la contribution des sols et des pratiques agricoles à l’atténuation du changement climatique,  » décrit Rémi Cardinael, agro-pédologue au Cirad et coauteur de la publication. Les scientifiques ont compilé les données existantes en matière de stockage/émission de carbone et de N2O pour chacune des techniques favorisant la séquestration de carbone organique. Les résultats de cette étude, compilant 700 mesures de stockage de carbone dans le sol et 200 d’émissions de N2O ont été publiés dans la revue Global Change Biology.

L’agroforesterie, comme ici au domaine expérimental de Restinclières (France), est largement bénéfique pour le climat, notamment grâce à une grande capacité de stockage du carbone dans le sol et dans la biomasse © R. Cardinael, Cirad

L‘amendement au biochar réduit les émissions de N2O

D’après ce premier bilan global, les pratiques considérées conservent dans la majorité des cas un bénéfice climatique. Mais leur potentiel est parfois surestimé comme pour le non-travail du sol (non-labour) qui semble stocker autant de carbone qu’il n’émet de N2O. « Cette étude compile des données à l’échelle de la parcelle, tempère Rémi Cardinael. L’arrêt du labour, extrêmement consommateur en carburant, conserve probablement un intérêt climatique si l’ensemble du système est pris en compte.  » En revanche, l’agroforesterie, les amendements organiques et les cultures intermédiaires montrent leur intérêt : les émissions de N2O exprimées en CO2-équivalent sont inférieures au carbone stocké dans les sols. L‘apport de biochar réduit même les émissions de N2O tout en stockant du carbone dans les sols.

Intégrer la gestion de l’azote dans les objectifs climatiques

« Ce travail de synthèse met en évidence la très grande diversité des processus en jeu et les nombreuses incertitudes qui demeurent, précise Rémi Cardinael. Seule une gestion en parallèle de l’azote et du carbone dans les sols agricoles permettra d’atteindre de bons objectifs climatiques.  »
Ces conclusions générales et globales doivent être adaptées au contexte local : climat, type de sol, espèces cultivées, etc. De nombreuses données restent à accumuler dans les différents contextes pédoclimatiques, notamment en zone tropicale, à commencer par les émissions de N2O. Les contraintes techniques liées à leur mesure, notamment en raison du caractère intermittent des émissions, demeurent nombreuses.

Les amendements organiques comme le fumier, ici produit au Zimbabwe dans un enclos à bétail, permettent d’augmenter les stocks de carbone du sol tout en augmentant les rendements © R. Cardinael, Cirad

L’albedo pourrait lui aussi brouiller les pistes

D’autres facteurs sont susceptibles d’impacter le bénéfice climatique des pratiques séquestrantes, notamment le changement d’albédo. Cette capacité des sols à réfléchir l’énergie solaire varie avec le type de sol mais aussi avec sa gestion (travail du sol, mulch…) et son couvert végétal. Elle influence in fine la température terrestre. Le Cirad vient de co-organiser à ce sujet un séminaire international Albedo & Climate Change mitigation.

L’agriculture, responsable de la moitié des émissions de N2O
« Le pouvoir de réchauffement du protoxyde d’azote est 310 fois plus élevé que celui du CO2, explique Rémi Cardinael. Et parmi les émissions anthropiques mondiales de N2O, l’agriculture compte pour plus de la moitié, principalement à cause de la fertilisation.  » Le secteur de l'agriculture, des forêts et des autres utilisations des terres (AFOLU) dans son ensemble représente quant à lui 81% des émissions anthropiques de N2O (d'après un rapport du Giec en 2019).
Dans le sol, les cycles du carbone et de l’azote sont intimement liés. De façon générale, les pratiques agricoles qui modifient la teneur en azote minéral du sol, l’activité biologique, l’aération du sol, son pH, etc., sont susceptibles d’impacter les émissions de N2O.