Le Cirad mobilisé pour éradiquer la peste des petits ruminants

Science en action 19 septembre 2023
Décimant moutons et chèvres, la peste des petits ruminants a des retombées dramatiques pour les familles rurales des pays du Sud. Amélioration des diagnostics et des vaccins, rôle de la faune sauvage dans la propagation du virus, renforcement de la surveillance par les populations locales… Le Cirad œuvre depuis 40 ans sur plusieurs fronts de recherche pour contribuer au plan international d’éradication de cette maladie. Le point sur les dernières avancées.
Famille kenyane élevant des chèvres | AdobeStock, T. Morozova
Famille kenyane élevant des chèvres | AdobeStock, T. Morozova

Famille kenyane élevant des chèvres | AdobeStock, T. Morozova

En 2011, la peste bovine est déclarée officiellement éradiquée. Ce succès -le premier pour une maladie animale- résulte d'un plan mondial lancé par la FAO et l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA), auquel le Cirad avait contribué. Aujourd’hui c’est la peste des petits ruminants (PPR) qui fait l’objet d’un plan international d’éradication avec un objectif à 2030. Le Cirad est à nouveau pleinement engagé dans celui-ci.

« Nous avons commencé avec le développement du vaccin et de tests diagnostiques dans les années 80, raconte Arnaud Bataille, virologue au Cirad et expert de la PPR auprès de l’OMSA et de la FAO. Aujourd’hui plus de 20 scientifiques du Cirad sont impliquées dans l’effort de surveillance et de contrôle. En tant que laboratoire de référence de la maladie pour l’Union européenne, la FAO et l’OMSA, notre rôle est d’harmoniser les protocoles de diagnostic, appuyer les laboratoires nationaux et mieux caractériser la maladie ».

Une maladie dramatique pour les populations rurales

La PPR est une maladie virale causée par un morbillivirus, comme la peste bovine. Elle affecte un grand nombre d’ongulés sauvages et domestiques en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient, jusqu’aux steppes de Mongolie. « Dans ces régions, c’est la pathologie la plus grave et répandue dans les élevages de chèvres et de moutons », précise Arnaud Bataille. La mortalité est de 30 à 70%, et peut grimper jusqu’à 90 %.

« Les conséquences sont dramatiques pour les populations rurales des pays du Sud, pour qui les petits ruminants sont une ressource très importante, en particulier les femmes qui gèrent souvent ces cheptels », souligne Alexandre Caron, écologue de la santé au Cirad, spécialisé sur les interfaces faune sauvage/élevage/humains.

Comment la faune sauvage propage-t-elle la maladie ?

« Le rôle de la faune sauvage dans la propagation de la maladie est une question de recherche importante sur laquelle nous nous penchons depuis quelques temps », explique Arnaud Bataille. Or, les indices divergent. Il n’existe aucune observation de mortalité dans la faune sauvage africaine, hormis dans des zoos. Alors que des milliers d’antilopes saïgas de Mongolie ont été décimées par la PPR en 2016-2017. Pour le chercheur, « la maladie est un véritable risque pour la biodiversité en Asie ».

S’il s’avérait que la faune sauvage est un réservoir, elle pourrait provoquer une ré-émergence de la maladie après son éradication. Les petits ruminants sauvages jouent également un rôle de sentinelle. « Lors de l’éradication de la peste bovine, la faune sauvage n’était pas vaccinée : nous l’avons surveillée pour nous assurer de l’absence de circulation du virus, explique Alexandre Caron. Elle pourrait jouer le même rôle pour la PPR ».

Des tests de dépistage inefficaces chez les ruminants sauvages

Des scientifiques du Cirad viennent de publier des résultats inédits concernant la fiabilité des tests diagnostiques utilisés aujourd’hui. Mis au point pour les animaux domestiques, les tests sérologiques de type Elisa se révèlent peu robustes chez la faune sauvage. « Ils produisent de nombreux faux négatifs et peuvent aussi générer de faux positifs pour des animaux infectés par d’autres morbillivirus », détaille Vladimir Grosbois, premier auteur de l’étude et épidémiologiste au Cirad.

Les scientifiques ont réanalysé des échantillons collectés lors de la campagne d’éradication de la peste bovine en Afrique entre 1994 et 2007, soit 2570 échantillons issus de 48 taxons sauvages. Un tel travail rétrospectif n’avait jamais été réalisé auparavant, mais s’avère primordial pour le nouvel effort d’éradication de la PPR.

« Nos résultats démontrent que l’utilisation de ces tests pour le diagnostic de populations d’ongulés sauvages pourrait même être contre-productive », ajoute Vladimir Grosbois. Il existe des moyens efficaces de surveiller et contrôler la maladie dans la faune domestique, mais pour mener à bien l’éradication, il est aussi crucial de surveiller les populations sauvages.

Améliorer les tests de diagnostic

Face à ce besoin, le Cirad travaille à l’élaboration d’un procédé de diagnostic fiable pour la faune sauvage. Premier axe : vérifier la robustesse des tests existants, développés depuis 2010 par le Cirad et Innovative Diagnostics. « Grâce à de récents travaux, nous avons maintenant confirmation que les tests Elisa commercialisés sont robustes chez les porcins et les camélidés », détaille Arnaud Bataille.

Autre piste : le développement de nouveaux tests. « En tant que laboratoire de référence pour l’UE, l’OMSA et la FAO, nous travaillons à la mise au point de méthodes non invasives, plus simples à mettre en œuvre et moins couteuses », précise le chercheur. Différentes pistes sont explorées : détecter des anticorps et des virus dans la salive, la matière fécale ou dans l’eau. En 2019, les scientifiques ont par exemple démontré l’efficacité d’une nouvelle méthode de détection du virus dans les déjections.

Ces incertitudes sur la circulation et la détection de la maladie ne sont pas un frein pour débuter la campagne d’éradication, mais doivent être éclaircies pour optimiser la stratégie de surveillance post-vaccination.

Les populations locales, premiers acteurs de la surveillance

Sur le terrain au Nigeria dans le cadre du projet Lidiski © Lidiski

Sur le terrain au Nigeria dans le cadre du projet Lidiski © Lidiski

Reste enfin à fiabiliser les opérations d’éradication. « Nous travaillons à améliorer les stratégies de contrôle et de surveillance grâce aux populations locales », précise Arnaud Bataille. Dans le cadre du projet européen Lidiski au Nigeria, les acteurs locaux sont formés à reconnaitre les symptômes de la PPR et à vacciner les petits ruminants. Le vaccin étant sensible à la chaleur, la logistique a également été améliorée par la mise en place de panneaux solaires pour alimenter les zones de stockage réfrigérées.

Autre exemple : le développement d'un vaccin nouvelle génération dans le cadre du projet européen SPIDVAC (Improved control of priority animal diseases: Novel vaccines and companion diagnostic tests for African horse sickness, peste des petits ruminants and foot-and-mouth disease). Mis au point dans les années 80 par le Cirad et l’Institut de la santé animale Pirbright, le vaccin actuel ne permet pas de distinguer les animaux vaccinés des animaux infectés lors du diagnostic. « C’est une information cruciale pour surveiller l’efficacité de l’éradication dans les pays touchés, atteste Arnaud Bataille. De plus, les pays libres de la maladie ne peuvent pas vacciner leurs animaux, car ils ne pourraient ensuite plus prouver l’absence de circulation de la PPR ». L’objectif est de mettre au point un vaccin offrant cette possibilité grâce à une marque qui induira une réponse spécifique en anticorps chez l’animal vacciné.