« Les communs ouvrent le champ des possibles »

Regard d'expert 30 novembre 2022
Face aux urgences écologiques et sociales actuelles, des scientifiques se font entendre pour proposer d’autres manières de faire société. L’approche par les communs est l’une d’entre elles. Entretien croisé avec deux spécialistes du sujet, Martine Antona, économiste de l'environnement, et Sigrid Aubert, anthropologue du droit.

Martine Antona, économiste de l'environnement, et Sigrid Aubert, anthropologue du droit, toutes deux au Cirad. DR

Comment définissez-vous les communs ?

Sigrid Aubert : Nous appréhendons les communs comme un ensemble de pratiques qui (re)lient des usagers (humains et non-humains) autour de l’usage d’une ou plusieurs ressources partagées (naturelles ou non) selon des principes et des règles appropriées exprimant un idéal de justice sociale et écologique.

Martine Antona : Les communs sont l’expression d’un désir, d’une orientation fondamentale qui pousse à déterminer en commun les conditions de l’usage de ressources et du soin porté aux divers usagers avec lesquels des relations de dépendance sont tissées. Il s’agit d’une coopération projetée dans l’espace et le temps pour l’entretien de la vie, le renouvellement du lien social, sa résonance dans le milieu. Avec la volonté de faire ensemble et la confiance dans le fait que chacun jouera le jeu, le commun se bâtit et renvoie à une organisation sociale.

Vous dites que l’approche par les communs est une pensée qui contredit le modèle dominant. Pourquoi ?

SA : Les communs remettent en cause l’idée de l’omnipotence de la propriété, qu’elle soit publique ou privée, comme unique possibilité d’émancipation, comme un préalable à toute forme d’investissement. Notamment en matière d’accès et d’usage de la terre et de ses ressources, les communs privilégient la coopération à la compétition. Ce faisant, ils deviennent le creuset d’une remise en question de notre rapport au vivant, de l’accroissement inéluctable des inégalités sociales, de la dégradation du climat ou de la biodiversité. Ils donnent un cadre d’action pour faire émerger et mettre en œuvre des projets de territoire valorisant le lien social et la conscience écologique.  

MA : Compte tenu des travaux de nombreux scientifiques, dont Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie en 2009, on peut dépasser des notions que l’on remet en question, comme celles de la propriété ou de la régulation systématique par le marché ou par l’État. Les communs ouvrent le champ des possibles.

SA : Les individus ne fonctionnent pas que sur la seule rationalité économique. Quand les gens se connaissent entre eux, d’autres valeurs comme la solidarité ou la volonté́ d’un bien-être partagé entrent en ligne de compte. Ce qui est essentiel, c’est le type de construction sociale, et écologique, qui peut se faire autour du commun.

MA : Les communs illustrent des possibilités d’action, qui peuvent s’appuyer sur les relations que les hommes entretiennent entre eux et avec le vivant (végétal, animal, etc.). C’est une base suffisamment solide pour engendrer de l’innovation sociale qui réponde, aujourd’hui comme hier, aux urgences sociales et écologiques.

Quelles sont les autres particularités de cette approche par les communs ?

SA : La notion d’interdépendance est centrale : entre les usagers d’une même ressource, mais également entre ces usagers et la ressource considérée, sachant que chacun est aussi susceptible d’être une ressource pour l’autre. Les collectifs d’humains et de non humains qui défendent des intérêts ou des attachements communs évoluent en permanence pour pouvoir s’adapter au contexte. Dans cette perspective, les communs naissent, vivent et meurent. C’est le « faire commun » qui compte, pas l’institutionnalisation du collectif. Celle-ci n’est souvent qu’un moyen pour le faire reconnaître. Cette perspective implique une posture particulière des parties prenantes à un projet de développement. C’est cette posture que nous avons travaillée, notamment avec l’AFD, pour préciser nos marges de manœuvre.

MA : Les situations qui caractérisent les communs se situent dans des groupes sociaux, des contextes, des systèmes sociaux et écologiques donnés. Nous sommes là dans une pensée du complexe. Il n’y a pas une seule solution pour toutes les situations, mais une multiplicité d’acteurs et d’approches, ce qu’Elinor Ostrom a nommé la gouvernance polycentrique. Il est proposé de s’intéresser aux interactions entre les éléments qui composent les systèmes étudiés. Il s’agit aussi d’intégrer l’incertitude, de sortir d’une pensée du contrôle et de prendre en considération que les communs constituent un champ en constante évolution.  D’où l’importance d’être dans une démarche pluridisciplinaire pour aborder ou accompagner les communs.

 

VIENT DE PARAÎTRE

« Les communs : Un autre récit pour la coopération territoriale »

Porter un autre récit fondateur de la coopération internationale, et par là même de l’aide publique au développement, tel est l’objet de l’ouvrage collectif Les communs : un autre récit pour la coopération territoriale, coordonné par Sigrid Aubert et Aurélie Botta.  Fruit de 20 ans de recherches et de réflexions transdisciplinaires, ce livre invite à adopter une approche par les communs et de replacer ainsi les productions techniques et scientifiques au service du bien-être à l’échelle des territoires, humains et non humains.

Le cadre d’analyse proposé permet aux différents acteurs du vivre ensemble (chercheurs, associatifs, politiques…) de relire les connaissances acquises et de les mobiliser de nouveau au service de collectifs d’usagers pour faire face à l’urgence sociale et écologique et innover.

Les Communs. Un autre récit pour la coopération territoriale. Coord. Sigrid Aubert et Aurélie Botta. Éditions Quæ, Coll. Nature et société. 272 pages

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